Après la description minitieuse de la méthodologie utilisée est posée la question de l’origine de ces aménagements dont les fouilles récentes attestent de leur existence au moins depuis l’époque romaine. Les textes en apportent la confirmation à partir du XIIIe siècle dont les importants comptes de châtellénies. L’étude combine l’utilisation des sources anciennes, des publications des société savantes locales. Les cartes anciennes dont la Mappe sarde (1728-1738), premier cadatre enrichissent les données associées à un corpus d’interviews de personnes ayant encore connu ces canaux ce qui permet une localisation précise et donne des détails sur le fonctionnement.
Le chapitre 3 s’intéresse aux infrastructures de distribution des eaux pour l’irrigation essentiellement des prés de fauche, si importants dans cette région d’élevage confrontée à un hiver long mais aussi des alpages, des prés-vergers et des triffouillières champs de pommes de terre. Ces canaux racontent une forme d’exploitation des pentes des fonds de vallée aux prairies d’altitude en passant par les montagnettesprairies à mi-hauteur pacagées à la montée et à la descente des alpages et souvent fauchées en été. La description des canaux est minutieuse et illustrée de photographies: point d’alimentation, cheminement de l’eau, écluses et vannes assurant la distribution à chaque parcelle. L’ensemble montre l’importance du travail de construction et d’entretien repris au chapitre 5. l’ étude est complétée avec les canaux d’amenée d’eau aux moulins mais aussi les systèmes de drainage des zones humides.
Le voyage de l’eau décrit des réseaux complexes avec canaux principaux et secondaires nécessitant des accords entre communautés rurales voisines. L’alimentation des rigoles d’irrigation était régulée par des vannes ou des tournes. La mise en eau se faisait du printemps à l’automne avec un cycle complexe pour augmenter la pousse de l’herbe sans gêner les fenaisons.
Les premiers documents qui traitent de la construction datent du XIIIe siècle1441 à Macôt, Tarentaise, 1446 à Termignon, Maurienne. La construction et surtout l’entretien étaient faits par les bénéficiaires lors de corvées dont est décrite l’organisation. Au XIXe siècle les « arrosants » préfèrent souvent contribuer en argent pour payer un entrepreneur, on assiste donc progressivement à une professionnalisation des tâches.
Alors que la plupart des canaux servent à l’arrosage, d’autres usages existent (chapite 6) : alimentation des moulins, apport d’eau potable aux villages ou chalets isolés, nettoyage des étables dit lavage du fumier. Les moulins dont nombreux , à grains bien sûr mais aussi à scie, martinets, pressoirs à noix ou à pommes, moulin à gypse pour faire le plâtre, battoirs à draps ou à chanvre [l’un d’eux est encore utilisé par la filature Arpin à Seez http://arpin1817.com/histoire/]. A proximité des chalets d’alpage l’eau froide des canaux était utilisée pour garder la fraicheur dans de petites constructions (frégué, saleye, bouida) où on déposait les produits laitiersencore visibles au Monal (Tarentaise) .
Ce chapitre aborde également les usages en relation avec la révolution industrielle : alimentation en eau des gares, premiers équipements hydroélectriques.
Les auteurs analysent ensuite la répartition de l’eau entre les usagers, présentent les « rôles » des syndicats d’arrosage grâce à des documents notariés d’époque médiévale, des textes plus nombreux et plus précis pour les XVIIe et XVIIIe siècles qui attestent de règlements concernant les jours, les dates, les heures et durées de l’accès à l’eau, de nombreux sous-entendus demeurent, règles sans doute de transmission orale. A partir du XIXe siècle la règlementation augmente et devient plus formelle, liée à la cadastration généralisée après le rattachement à la France en 1860.
Le chapitre 8 est consacré aux modes d’organisation des acteurs : le « consortage », terme médiéval qui demeure pour désigner l’association des usagers, organisation communautaire qui se retrouve pour d’autres activités comme l’exploitation des forêts. Après 1860 apparaissent les associations syndicales qui sont la suite des formes antérieures d’organisation mais avec la participation des agents de l’État : ingénieurs des Ponts et Chaussées, agents des Eaux et Forêts.
La question des rapports entre le local et des autorités supérieures : régime féodal, régime sarde, État français permet d’aborder l' »albergement » : bail emphytéotique d’usage, et le rôle des autorités dans la régulation des conflits.
Si la propriété des canaux dans certains cas est privée il existe toujours un contrôle collectif, une « jouissance conjointe ». La compréhension du régime des droits à la lecture des sources est malaisée comme le montre le chapitre 10 qui resitue le cas des canaux dans le droit du Moyen Age au XXe siècle ainsi que la relation entre possession de l’eau et propriété de la terre.
L’eau est un bien commun de la paroisse puis de la commune qui qui peut décider ? A partir d’exemple précis les auteurs montrent les nombreuses variantes : critères d’appartenance au « consortage », place des femmes, rapports entre les différents usages pour les plus gros canaux : irrigation, moulins, eau potable et la cogestion entre communes.
Si la gestion de l’eau est bien organisée elle n’empêche toutefois pas les conflits abordés au chapitre 12 à partir d’exemples précis qui touche à la répartition de l’eau, à la composition des organes de gestion, aux querelles de clochers, à l’opposition aux agents de l’État. Les garde-champêtres avaient en charge de surveiller et sanctionner les délinquants.
Les deux derniers chapitres sont un élargissement de la réflexion, d’abord autour des savoirs populaires, des traditions agropastorales notamment en matière de connaissance du milieu : nature des roches, débit et qualité des sources. Puis on quitte la Savoie pour constater que la connaissance des tels réseaux de canaux est plus avancée par exemple en Suisse, en Afrique du Nord ou même en Chine. Les auteurs mettent en avant l’intérêt d’une historiographie de l’irrigation partout dans le monde.