Serge MamLam Fouck, Histoire de l’assimilation, des « vieilles colonies » françaises aux départements d’outre-mer. La culture politique de l’assimilation aux Antilles et en Guyane françaises (XIXe et Xxe siècles), Ibis rouge, 2006, 258 p.

par Dominique Chathuant, professeur d’histoire-géographie (Reims). Auteur de travaux sur les Antilles, l’assimilationnisme et l’action en France de parlementaires coloniaux.

UN OUVRAGE QUI ECLAIRE SUR UN MALENTENDU

Il est toujours délicat de chroniquer un ouvrage portant sur un sujet qu’on a soi-même abordé. On l’oublie vite quand on se trouve pleinement en accord avec ce livre indispensable à qui veut comprendre le malentendu entretenu à propos de l’histoire, très paradoxale, des actuels DOM.

Malentendu sur l’identité – Il faut pour présenter l’ouvrage, rappeler qu’à diverses époques, des sensibilités tiers-mondistes et anticolonialistes ainsi qu’une bonne partie de la gauche française ont souvent commis l’erreur de percevoir Antillais et Guyanais comme des nationalistes à la veille d’arracher l’indépendance de micro-Etats souverains. Il en résulte un certain décalage entre un discours identitaire et différentialiste venu de l’hexagone et régulièrement confronté sur place à l’affirmation d’une appartenance à la nation française. C’était déjà le cas lorsque, en 1915, Maurice Delafosse, promoteur du relativisme culturel et de l’égalité raciale, regardait comme ethnocentrique une proposition de loi départementaliste des députés Achille René-Boisneuf (Rad.-soc., Guadeloupe) et Joseph Lagrosillière (SFIO, Martinique). Il y a peu de temps, le Monde, relevait à propos d’une visite en Guadeloupe de Ségolène Royal, alors candidate aux présidentielles de 2007 que, « les propositions de nature identitaires, pour la plupart, de Mme Royal, semblent avoir moins convaincu » « Cahier spécial – Résultats des présidentielles », le Monde, mardi 24 avril 2007, p. 55.. On se souvient que la première place obtenue en 1981 par le candidat Valéry Giscard d’Estaing avait également été attribuée par de nombreux analystes à la crainte d’un largage de la part du candidat Mitterrand.

Réplique aux danseuses de la France – Le second rappel préalable concerne un discours plus marqué à droite selon lequel l’affirmation d’une appartenance à la France relevait avant tout d’une demande d’assistanat. Si l’on se souvient des discours de Valéry Giscard d’Estaing sur « les danseuses de la France » et de celui, beaucoup plus récent, d’un polémiste aussi radiotélévisé qu’approximatif dans ses connaissances, on oublie que l’origine de cette sensibilité doit être recherchée dans les milieux d’affaires français de l’époque coloniale, dans un courant anticolonialiste de droite qu’on appellera plus tard « cartiérisme », en référence à un journaliste de Paris-Match.

Dans les deux cas rappelés ici, on est surpris de l’ignorance dont les deux points de vue témoignent à propos de la culture assimilationniste des Antillais et des Guyanais.

ETRE CONSIDÉRÉS COMME DE VRAIS FRANÇAIS

Un ouvrage nécessaire – Malgré des ébauches d’études que l’auteur ne manque pas d’évoquer, il manquait un ouvrage capable d’expliquer par quel mécanisme, s’est développé, aux Antilles et en Guyane (et plus tard à la Réunion), une culture politique dont l’un des traits spécifiques est l’affirmation d’une identité française. Il est significatif que lors des différentes manifestations intellectuelles ayant accompagné les anniversaires de la loi de départementalisation de 1946, il ait souvent été question de l’assimilation comme revendication ponctuelle, sous forme de proposition de loi portée par les députés des vieilles colonies, plutôt que comme ce qui relevait d’une structure mentale de longue durée, objet d’histoire dont il convenait d’expliquer la genèse.

Une revendication des élites de couleur – L’ouvrage de Serge Mam-Lam-Fouck, prolifique historien guyanais, se propose donc d’aborder cette culture politique en s’attachant dans un premier temps à rappeler l’origine des positions assimilationnistes dans les élites de couleur en Guyane et aux Antilles, vieilles colonies dans un empire dont la grande majorité des habitants n’étaient pas des citoyens. L’auteur explique ainsi, en rappelant la situation d’apartheid vécue après le rétablissement napoléonien de l’esclavageLe terme apparaît peu discutable compte tenu de textes précisant explicitement que le titre de Français ne peut être porté que par des hommes blancs. Ex : http://abolitions.free.fr/article.php3?id_article=46#doc, que la revendication assimilationniste se confond avec les aspirations égalitaires des élites de couleur, dont les représentants veulent être des Français crédibles alors qu’il sont dans la position inconfortable du colonisé. Est évoqué, entre autres, le discours du Guyanais Gustave Franconie qui, vers 1880, ne conçoit le passé esclavagiste que comme une aberration de la conscience française.

Les deux France – A travers une étude du cas guyanais, Serge Mam Lam Fouck souligne combien le projet assimilationniste se situe au cœur de l’action du Conseil général de la Guyane. Un mécanisme est mis en avant : le rôle joué, dans les représentations, par l’image des deux France. La mauvaise est celle de l’administration coloniale qui admet un principe sans vraiment le respecter. L’autre France idéalisée est celle qu’on ne cesse de réclamer, à travers la demande d’application de la loi de conscription (décret Poincaré de 1913) puis avec la revendication départementaliste.

De la France rêvée à la départementalisation – Rencontrant régulièrement les réticences de milieux dirigeants inquiets de créer un précédent, la loi d’assimilation est finalement votée le 19 mars 1946, par des parlementaires de gauche d’autant plus portés à demander plus de France, que le tripartisme penche alors de leur côté dans le contexte d’un développement de l’Etat-Providence avec, entre autres la création de la Sécurité sociale.
Dans son 4e chapitre, l’auteur analyse comment, une fois la loi obtenue, on passe du rêve à la réalité, de la France rêvée à la départementalisation vécue et bientôt contestée. Après une dizaine d’années, c’est en effet le temps des déceptions et des discours autonomistes puis nationalistes.

UNE PROBLÉMATIQUE NATIONALE

Un pan de l’histoire nationale française – Cet ouvrage, aussi utile que pertinent, ne doit pas être adressé au seul lectorat guyanais ou même domien. A l’heure où l’on s’emploie à intégrer à la trame de l’histoire nationale française, une dimension coloniale jusqu’ici rejetée par la mémoire autant que par l’organisation des chapitres de nos programmesIl suffit, pour s’en convaincre, de constater quelles acrobaties sont effectuées pour distribuer dans deux chapitres distincts des dates concernant l’histoire de la IVe et de la Ve et d’autres dates qui ne concerneraient que la décolonisation. Cf. aussi Nicolas Bancel et Pascal Blanchard (dir) en collaboration avec Sandrine Lemaire, Culture post-coloniale (1961-2006), traces et mémoires coloniales en France, Autrement, « Mémoires / Histoire », 286 p. , il convient d’être en mesure d’expliquer aux élèves de tout le système éducatif français pourquoi les Antilles, la Guyane et la Réunion prirent un autre chemin que les autres colonies et virent dans la départementalisation, qu’elles revendiquaient, une forme de décolonisation. C’est bien la perception d’une France idéalisée, généreuse et égalitariste qui pousse à de telles revendications, venues de la gauche et repoussées par les forces les plus hostiles à l’avènement local des institutions républicaines, celles-là même qui ont cru voir en Vichy la divine surprise, à savoir le retour d’un ordre politique excluant le descendant d’esclave par l’abolition des institutions de la IIIe République.
Paradoxalement, à l’instar de l’inversion gauche-droite qui s’est produite en France lors de l’affaire Dreyfus pour le nationalisme français, les valeurs portées par la culture assimilationniste furent transférées à droite alors qu’apparaissaient à gauche des revendications autonomistes et nationalistes. Ces dernières sont d’ailleurs aujourd’hui d’autant plus présentes dans le champ culturel qu’elles ont reculé dans celui du politique.

Une grande possibilité d’adaptation pédagogique – Les collègues désireux d’inclure un exemple domien à leurs cours sur la colonisation et la décolonisation comme à toute autre séquence sur l’étude du sentiment national, pourront, entre autres utiliser le texte de Gustave Franconie figurant à la page 74. Il y a également lieu d’utiliser l’exemple de l’image de Félix Eboué telle qu’elle est peu à peu transformée par les différentes idéologies qui se l’approprient. La liste des suggestions n’est pas exhaustive.

Voir aussi :

Interview : Serge Mam-Lam FOUCK – Professeur d’histoire (Université Antilles-Guyane) : « Il y a un consensus à propos de la revendication de la départementalisation »