Judith Perrignon entreprend dans cet ouvrage de revisiter les années Thatcher. Elle a écrit précédemment « Victor Hugo vient de mourir » ou plus récemment «  Là où nous dansions »

Sur les traces de Margareth Thatcher

En février 2020, Judith Perrignon part en reportage pour une dizaine de jours sur les traces de l’époque Thatcher. Ce reportage était prévu pour une radio. Elle veut capter ce moment de rupture dans l’histoire du pays et, comme elle le dit  magnifiquement : «  Nous sommes allés vers le nord, de ceux qui règnent à ceux qui vivent ». Judith Perrignon imprime sa marque et son style dans cet ouvrage et, pour celles et ceux qui ont déjà pu apprécier son écriture dans ses précédents ouvrages, ils ne seront pas déçus. Tout ici est ciselé, écrit avec intelligence, sans fioriture ni maniérisme mais avec un style qui dit beaucoup sans s’étaler. Elle insère dans son récit ses rencontres avec des hommes politiques de l’époque, des personnalités connues, des Irlandais qui l’ont combattue ou de simples Anglais.

La City

Son livre commence au cœur de la City qui est devenue, sous Thatcher, la première place financière du monde. L’auteure y croise de jeunes golden boys qui n’étaient pas nés sous Thatcher. En évoquant simplement son nom dans un pub, cela déclenche des réactions de ferveur ou de rejet profond. Elle discute avec Kenneth Clarke, pilier du parti conservateur ou encore Neil Kinnock. Ils pointent le fait qu’elle a fissuré le consensus qui s’était mis en place dans le pays au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Mais « Thatcher n’a rien inventé. Elle a été le bras armé d’un changement d’époque ». Plus loin elle poursuit : « Elle n’aura fait qu’administrer sévèrement la potion amère d’un monde qui change ». L’écrivain David Lodge décrit ce que le thatchérisme a fait à l’Université. 

L’enfance d’une cheffe

Judith Perrignon se rend ensuite à Grantham, la ville natale de Margareth Thatcher et, le moins que l’on puisse dire, c’est qu’elle représente un héritage encombrant pour cette ville. La statue réalisée n’a toujours pas été installée de peur des réactions. L’auteure retrace ensuite l’enfance de Margareth Thatcher. Fille cadette d’un épicier, elle devient par ailleurs à vingt-quatre ans la plus jeune candidate aux législatives. Elle se marie avec Denis qui a onze ans de plus qu’elle et qui est plus à l’aise économiquement. Margareth n’aime pas la culture et la musique des années 60.

Les premiers pas au pouvoir

Appuyée par Keith Joseph, figure intellectuelle et politique des conservateurs, celle qui est alors vue comme une dame patronnesse remporte les élections législatives de 1979. Elle fait de la réforme des syndicats une de ses priorités. Ceux-ci étaient alors très puissants dans le pays. L’économie anglaise était en mauvais état et elle surprend tout le monde quand, sur le perron du 10 Downing Street, elle emprunte ses premiers mots à Saint-François d’Assise « Là où il y a l’erreur, puissions-nous apporter la vérité ». 

Margareth au quotidien

Pas question d’imaginer de portrait intime de la part de celle qui ne se livrait jamais quand on lui posait une question personnelle. Ce qui est certain, c’est que contrairement à certains politiciens, elle ne cherchait pas à se faire aimer. Longtemps, elle ne fut pas considérée comme légitime par les hommes de son parti. Inflexible, elle pouvait se montrer cassante comme le raconte Kenneth Clarke. Tous les interlocuteurs pointent sa grande capacité de travail mais aussi le fait qu’elle n’hésitait pas à récupérer les idées des membres de son gouvernement. Elle fonctionnait en cercle restreint avec une petite troupe de quatorze personnes. Margareth Thatcher n’était pas obsédée par les médias et avait la capacité à ignorer les petites polémiques. 

Le temps des réformes

Judith Perrignon retrace les différents chantiers menés par la Dame de fer, surnom qui lui vient d’ailleurs des Soviétiques. La guerre des Malouines et sa décision d’intervenir ont beaucoup fait pour sa popularité. L’auteure évoque la réforme du système de santé, le NHS, qui constituait le ciment du pays. Elle revient sur sa politique de privatisation en relatant quelques formules tranchantes comme celles de Neil Kinnock : « Le seul génie de Thatcher a été d’identifier les craintes sous-jacentes de l’époque – souvent basées sur une interprétation et un souvenir erronés de l’histoire récente – et de les rassembler dans cette métaphore du médicament amer que devait prendre la Nation pour se remettre sur pied ». David Lodge poursuit en disant que « Thatcher a élevé le management au rang de culture, une façon de voir le monde et de gérer les choses ». 

La question irlandaise

La situation en Irlande occupe évidemment une part importante du livre. L’auteure s’appuie à la fois sur des témoignages de témoins encore vivants mais cite également de larges extraits des journaux intimes des protagonistes des grèves de la faim. «  C’est une si longue histoire, une plaie jamais refermée qui aspire les enfants d’Irlande du Nord lorsqu’ils naissent et encombre les gouvernements britanniques dès qu’ils se forment ». Margareth Thatcher se montra intransigeante, laissant mourir de faim dix opposants politiques dont le célèbre Bobby Sands. Elle échappa aussi miraculeusement à un attentat en 1984. Les témoignages sur les mesures d’isolement appliquées aux opposants nord irlandais de l’époque sont marquants. 

La grève des mineurs

Dans plusieurs villes d’Angleterre, on était mineur de génération en génération. Ils étaient un million au début du XXème siècle et considérés comme l’aristocratie ouvrière. Ce chiffre ne fit que régresser malgré la grève d’un an qu’ils menèrent contre la Première ministre. Au travers des témoignages auxquels elle laisse une large place mais aussi des journaux d’époque, Judith Perrignon nous fait ressentir la violence de cet affrontement inédit. Elle évoque aussi l’émeute à Orgreave «  cette journée est à l’histoire du monde industriel ce que sont certaines batailles dans le récit des nations. C’est la dernière… le dernier spasme avant l’effacement de l’histoire ouvrière ». 

Margareth l’Européenne

Judith Perrignon  confesse qu’il est difficile de faire de la politique fiction mais se demande néanmoins ce qu’aurait pensé la Dame de fer du Brexit. Elle souligne que si elle critiquait l’Europe, elle n’a jamais exprimé l’idée de vouloir en sortir. Pour elle en effet, cette union était avant tout un marché qui pouvait servir les intérêts de son pays. 

La chute

Les dernières pages du livre sont consacrées à la chute du Premier ministre dont le déclin commença sans doute de façon irrémédiable avec son inflexibilité sur la poll tax. En interne, on commence à s’organiser pour l’écarter lors du congrès du parti. On aboutit à un sacré paradoxe puisque elle a obtenu en 1990 le plus grand nombre de voix aux élections à la direction du parti conservateur et pourtant elle en est écartée. Charles Moore, son biographe, raconte sa relation avec elle et ses dernières années.

Judith Perrignon éclaire donc de façon très intelligente le phénomène Thatcher sans jamais juger. L’écriture de l’auteure fait à plusieurs reprises merveille pour rassembler en une formule une complexité, un paradoxe, sans pourtant céder à l’art de la phrase choc. Une réussite comme d’ailleurs ses autres livres. 

Jean-Pierre Costille