Beat

« La jeune fille a les yeux fermés et les lèvres ouvertes. Ses cheveux […] entourent son front comme une couronne de rayons […]. Autour d’elle, des jeunes […] sont figés dans des poses […] d’extase ». La photographie, qui sert de couverture à l’ouvrage, illustre pour l’auteur la « Beatlemania », « praxis émotionnelle », qui s’empare de nombre de jeunes filles et de jeunes femmes des classes moyennes au début des années 1960 et inquiète certains, voire fait scandale. Ce mouvement, qui surprend car il affecte des femmes, s’insère dans des transformations plus longues qui concernent tant la jeunesse que la culture de masse dans les années 1950-1960 que B. Mrozek se propose d’étudier.

Pop culture

Qu’entend donc cet auteur par culture pop ? « La « pop » est définie par ce qu’’elle n’est pas, la haute culture, la culture établie […] ou d’élite ». Afin d’être plus précis l’auteur ajoute qu’il étudie « les modes musicales et vestimentaires, les pratiques corporelles et la production d‘espace, les formations de communautés autour de produits culturels ». Mais aussi ces produits culturels, diffusés alors par les jeunes y compris ceux de milieux populaires qui n’ont pas fait de longues études.

Rockers, mods, yéyés, hippies…

Ces jeunes ne constituent pas en effet un groupe entièrement homogène : jeunes hommes et jeunes femmes réagissent et sont perçus différemment par les médias. Les modes musicales, culturelles… ne sont pas synchrones et ne sont pas les mêmes dans les espaces étudiés. De plus, les changements sont notables au fil des ans. Que ce soit du point de vue des acteurs, puis des actrices, de ces mouvements culturels. Mais aussi de par la perception de ceux-ci par les médias et les autorités. Perception qui évolue largement. D’autant plus que des supports destinés aux jeunes (radios, émissions TV, journaux, disques, posters…) apparaissent dans la période et jouent un rôle qui s’accroît. Par ailleurs, les jeunes ne constituent pas forcément un groupe unifié et des tensions sont parfois perceptibles entre sous-groupes de jeunes dont les affinités culturelles sont différentes. Ainsi celles entre yéyés et futurs hippies, symbolisées par l’opposition entre le chanteur Antoine et Johnny HallidayEn 1966, le chanteur Antoine suggérait de mettre Johnny « en cage à Médrano » mais aussi « Mettez la pilule en vente dans les Monoprix ». Johnny Halliday réplique la même année avec une chanson intitulée « Cheveux longs et idées courtes » :

« Si monsieur Kennedy

Aujourd’hui revenait

Ou si monsieur Gandhi

Soudain ressuscitait

Ils seraient étonnés

Quand on leur apprendrait

Que pour changer le monde

Il suffit de chanter, « da-da-da-da-dam! »

Da-da-da-da-dam

Et surtout, avant tout

D’avoir les cheveux longs »

.

De Londres à Paris, Berlin Ouest et Leipzig… une nouvelle classe d’âge ?

               Pour l’auteur, la culture pop, jeune qui émerge puis se diffuse dans les années 1950-1960 est transnationale. Et elle tend même, après un temps, à être reprise par les médias mainstream et certaines modes, comme le twist, deviennent transgénérationnelles. Il ne considère pas cependant qu’il y aurait eu une « américanisation » des cultures européennes sous le coup du développement de la société de consommation et de la diffusion de films et de musiques en provenance des États-Unis. Il s’agit davantage selon lui de croisements, de métissages aurait-on envie d’écrire avec des éléments culturels européens. Par ailleurs, Londres est un temps la capitale mondiale de de cette culture popRappelons que les Rolling Stones, groupe anglais, contribuent largement à la redécouverte du blues porté par des artistes Afro-américains, tel Muddy Waters, ignorés par nombre de jeunes Américains du fait du racisme de la société US. Voir Robert Palmer, Deep blues. Du Delta du Mississippi à Chicago, des États-Unis au reste du monde : une histoire culturelle et musicale du blues, Editions Allia, Paris, 2020, recensé par La Cliothèque. Voir sur youtube les premières interviews des Rolling Stones aux EU ou B. B. King évoquant la première fois où il joue devant un public blanc dans La route de Memphis, film de Richard Pearce (2003).. L’auteur repère ces transformations dans l’ensemble des pays étudiés : Royaume-Uni, RFA, France mais aussi et c’est un des intérêts du livre RDA. Le rideau de fer, en effet, n’empêche pas la diffusion de musiques, de modes et de façons de se vêtir qui heurtent à l’Ouest comme à l’Est les plus conservateurs. L’auteur étudie ainsi quatre moments de tensions, amplifiées largement par certains médias : « la nuit de la Nation » à Paris (1963), les violences entre mods et rockers (Brighton, 1964), les violences en marge d’un concert des Rolling Stones (Berlin, 1965) et des tensions à Leipzig en 1965.

Autant d’éléments qui amenèrent Edgar Morin à évoquer l’affirmation d’une « nouvelle classe d’âge » pour laquelle les « communications de masse (presse, radio, TV, cinéma) ont joué un grand rôle […], en lui fournissant mythes, héros et modèles », dans un article que nombre d’enseignants utilisent. Nouvelle classe d’âge qui diffuse largement de nouveaux sons, de nouvelles danses, de nouvelles façons de se vêtir et de se comporter…

 

Un livre dense à la confluence de l’histoire culturelle et sociale centré sur deux décennies jugée charnière et qui porte sur plusieurs pays européens.