Cet ouvrage est issu d’un travail d’habilitation à diriger des recherches que Bernard Hours, professeur d’Université avait soutenu à la Sorbonne.
Spécialiste du XVIIIe siècle français, de la spiritualité, des écrits mystiques et des formes de piété à la cour, Bernard Hours avait publié un premier ouvrage sur la sour du dauphin, Madame Louise au Carmel puis un ouvrage sur Louis XV et sa cour (2002). Il nous enfin donne à lire une excellente synthèse sur un prince resté jusque-là mal connu, le fils de Louis XV.
L’originalité de ce travail d’abord repose sur une lecture extrêmement précise et rigoureuse des sources peu nombreuses. Décortiquant les mémorialistes comme Luynes, Croÿ, Argenson, Angivillier, Barbier, Besenval, mais également les ouvrages d’hagiographie rédigés dès la mort du dauphin en 1765, l’auteur met au point une méthode d’analyse qui fait date dans l’ historiographie française. En cela, la lecture de cet ouvrage est à recommander aux étudiants en histoire pour leur faire prendre conscience de la finesse de l’analyse des textes, de la construction d’un objet historique à l’aide d’une méthode d’investigation dans un corpus de sources directes assez réduit.
La deuxième originalité tient dans le plan qui est animé d’une dynamique de démonstration. L’auteur énonce d’abord les représentations du prince, passages obligés de chaque biographie, lieux communs édifiants répétés à l’infini selon des modèles mis au point par les hagiographes chrétiens.
Devant la rareté des sources directes, il mène une analyse très serrée du personnel encadrant le prince dans son éducation et dans sa Maison.
Apparaissent ainsi les réseaux mal connus qui animent la cour de Louis XV dans les années 1740-1765. Ces hommes qui ont entouré le dauphin ne cadrent pas avec ceux retenus par les premiers biographes. Le cercle de sociabilité du dauphin plus diversifié ne se résume pas au parti dévot. Le prince n’a pas cherché à constituer une clientèle qui deviendrait une faction. Cette approche de l’analyse des réseaux curiaux est relativement nouvelle et constitue un acquis méthodologique d’une grande valeur.
C’est ensuite la religion, la pratique religieuse et la connaissance de la
science religieuse du dauphin qui sont percés à jour grâce à des éléments de comparaison sur la liturgie, la dévotion, la pratique eucharistique rarement analysés ailleurs.
C’est enfin la formation politique, l’apprentissage concret du métier de roi qui est passé au crible au travers de la participation du dauphin aux Conseils, de ses prises de position ou de ses retraits dans les querelles qui animent le milieu du règne de Louis XV.
Petit à petit, Bernard Hours déconstruit l’image du dauphin donnée au début de son ouvrage pour reconstruire un personnage surprenant, un dauphin d’une grande tolérance, ayant une écoute attentive et pragmatique des groupes politiques et religieux. Il souligne la discrétion de ce dauphin qui ne chercha pas à sortir de l’ombre de son père (p 62) et qui en était apprécié.
Il montre en contre-point, un roi Louis XV qui gouverne, ce qui est également loin de la vulgate des livres d’histoire à son sujet. Un Louis XV qui sait utiliser les sociabilités de sa cour et qui dirige subtilement le pouvoir. Un Louis XV qui, cependant, n’a pas laissé ni su préparer de place politique à son fils, qui n’a pas été assez attentif à l’image que la cour construisait autour du dauphin adulte, chef de guerre virtuel, prince à la pratique religieuse sans défaut, prince marié pour le bien de l’État. Ce prince à la pratique religieuse salésienne, rempli d’une morale en politique basée sur la lecture des textes antiques, de la philosophie politique de l’État exaltée par l’Église, se résout finalement à renoncer et à devenir un homme d’une grande culture, d’une curiosité très ouverte sur la production philosophique et scientifique de son époque. Avec le dauphin, s’accomplit le passage du prince à l’homme privé.
Bernard Hours a conduit une analyse qui renouvelle profondément la méthode et la connaissance historiographique du Dauphin. Pendant longtemps « l’hagiographie du prince » a tenu lieu « d’apologie du christianisme » (p 368) dans un contexte d’affrontement entre la France contre-révolutionnaire et la France républicaine. L’auteur montre comment une faction a pu élaborer des biographies qui servent une cause politique et religieuse, quitte à manipuler les sources pour instrumentaliser la mémoire du prince à des fins apologétiques (sa conclusion est d’une grande clarté). Bernard Hours propose la lecture d’une représentation nuancée de ce prince, remarquablement écrite, une « nouvelle esquisse » (p 375) de ce discret dauphin, qui fera
date dans la connaissance historique. »copyright Clionautes »