Les habitants de la montagne ont, jusqu’à la modernité, occupé ces espaces de façon différente ce qui conduit l’auteur à une approche thématique: contraintes, agriculture et pastoralisme, exploitation du bois, des minerais mais aussi franchissement, relations de solidarité et rapports aux pouvoirs politiques.
Un livre qui embrasse de vastes domaines d’autant qu’il nous conduit des Alpes au Tibet, des Andes à l’Éthiopie, une synthèse passionnante et bien documentée.
Fabrice Mouthon fait le choix pour cette fresque de multiplier les exemples, au plus près des spécialistes de tel ou tel peuple à qui il cède la parole sous forme de courts encarts, toujours référencés, ensemble de documents exploitables en particulier dans le programme de seconde mais aussi autant d’invitations à aller approfondir un aspect, une montagne ou une période.
Terre de contraintes
Fidèle à la tradition française d’union de l’histoire et de la géographie l’auteur ouvre ce premier chapitre par une citation de Jules Blache. sont traitées, tour à tour, les contraintes biologiques liées à l’altitude, climatiques: froid, neige, de relief: pente, cloisonnement de l’espace.Le chapitre se termine sur les interactions homme/montagne avec une évocation des défrichements mais aussi de la conservation des sols.
Terre d’espoir
les origines d’un peuplement discontinu et de densité variable, une fréquentation saisonnière puis puis pérenne dès le paléolithique et le mésolithique sont montrées dans divers massifs des Alpes au Caucase, de la Nouvelle Guinée au Karakoram.
Depuis les chasseurs cueilleurs jusqu’aux agriculteurs, l’importance de l’activité pastorale est attestée sur de nombreux sites de fouilles. L’auteur analyse ici les raisons, les modes et les limites de ce peuplement, la diversité ethnique notamment du Caucase souvent conservée du fait du rôle refuge de la montagne et de l’étagement des populations comme au Vietnam.
Malgré l’irrédentisme culturel quelquefois mis en avant comme celui des Walser, les crêtes ont rarement été des frontières main plutôt des traits d’union entre vallées (Ossétie, Briançonnais, Tibet).
Les sociétés montagnardes ont-elles été malthusiennes par nécessité pour limiter la pression sur les ressources comme semble le montrer de nombreux comportements: recul de l’age au mariage, éviction des cadets, héritier unique ou au contraire indivision mais aussi émigration temporaire ou définitive.
Apprivoiser la montagne
Ou comment les hommes se sont approprié un territoire, comment une communauté humaine a nommé les lieux, limité son espace, imaginé des légendes et créé des rites pour se protéger des dangers spécifiques à la montagne. Fabrice Mouthon montre la vision étagée et symbolique qui s’est construite entre une espace approprié, un espace exploité par intermittence et les « hauts », domaine des esprits. Cette forme de découpage est commune à tous les continents, des références religieuses y sont attestées par des pèlerinages de sommets. les espaces intermédiaires, fréquentés à certains moments de l’année, ont induit des pratiques variées souvent liées à la superstition: fées, monstres très nombreux dans les légendes des vallées.
Implantation
La connaissance du milieu nécessaire au choix de l’implantation des villages n’a pas toujours mis la population à l’abri des éléments. L’auteur dresse un catalogue des formes d’adaptation aux conditions locales et des choix faits entre confort, sauvegarde de terres à exploiter et recherche de sécurité face aux éléments comme aux hommes. Si les formes sont très variées, un point commun demeure: le partage entre habitat permanent et habitat saisonnier. La disponibilité des matériaux, les contraintes du climat, les activités économiques pratiquées expliquent cette diversité tant des maisons que des villages. un paragraphe est consacré au phénomène urbain de montagne: existence de capitales: Cuzco ou Leh, de grandes voies de passage ou de la nécessité de protéger une frontière: Briançon.
L’auteur pose la question de l’existence ou non de lieux centraux dans hautes vallées et de la position souvent marginale des zones de montagne.
Le pain de chaque jour
Contrairement à une idée répandue l’élevage n’a pas été l’activité dominante en particulier en climat chaud mais plutôt une activité associée aux cultures assurant ainsi une autosuffisance. C’est l’ouverture aux échanges avec les plaines qui a sans doute amené vers une spécialisation pastorale. Ce qui domine c’est l’étagement des activités et de leur répartition au long de l’année assurant à al fois complémentarité et limitation des risques: réalités illustrées dans les Alpes, le plateau éthiopien et les Andes.
Sur la piste des troupeaux
Élevage extensif qui permet l’utilisation des sols les plus pauvres, la montagne a été un foyer de domestication d’espèces variées. En bon médiéviste l’auteur analyse comment, dans les vallées alpines, assez tôt l’élevage a été une spéculation: dans la vallée de la Gruyère, au moment même où un déclin démographique impose une nouvelle forme d’exploitation des espaces. Se pose la question de l’appropriation des pâturages d’altitude individuelle ou collective, de la charge en bêtes entre été et hiver amenant à l’accueil de troupeaux qui passent l’hiver ailleurs: la transhumance qui se met en place dès la Moyen Age en Europe ou de la cohabitation montagnards/nomades en Asie, notamment au Tibet.
Ramassage, prédation et extraction
La distinction entre montagne chevelue et montagne chauve amorce la question de l’exploitation forestière avec un rappel de l’histoire, du rôle et de l’organisation de l’ONF. C’est aussi l’occasion de montrer les découvertes récentes des spécialistes de paléoenvironnement sur les évolutions du manteau forestier en surface comme en boisement. si l’accent est mis ici sur la France, l’Asie n’est pas oubliée. La forêt c’est bien sûr le bois mais aussi nombre de cueillettes: fruits, baies, champignons et pacage souvent réglementé car concurrent de l’arbre.
Le bois outre le chauffage domestique a été une source de différentes activités pré-industrielles: fonderies, salines, verreries. L’auteur présente ensuite une histoire de la forêt du Sud-Est asiatique: brûlis et longues jachères qui ont mal résisté à la pression démographique. Une place est faite à la chasse et à la pêche, apports alimentaires importants, montre l’intérêt de la noblesse pour ces espaces et permet l’évocation de techniques spécifiques comme la chasse à l’aide de rapaces dans l’Hindu Kush.
Enfin les activités minières dont déclinées: déjà évoquées par Hérodote dans le Nord de l’Inde, les minéraux exploités même à haute altitude sont nombreux, sans oublier les pierres recherchées des le paléolithique: obsidienne ou lapis-lazuli.
La montagne traversée
La plupart des écrits anciens parlent de la montagne comme d’un espace à traverser: obstacle ou trait d’union?
Qui sont ces voyageurs: envahisseurs tel Alexandre franchissant le Taurus ou Hannibal qui conduisent les États à fortifier leur frontière en altitude (Porte de fer en Cilicie); pèlerins, marchands mais aussi ambassadeurs ou lettrés tel Montaigne qui franchit le Mont Cenis en 1581.
La montagne parcourue
Itinéraires et moyens de transports se sont adaptés aux réalités de la montagne, sans oublier la carte : des tables de Peutinger aux descriptions de la route de la soie.
La montagne impose des travaux souvent titanesque dans l’aménagement des routes: du Brenner au chemin de l’Inca, la route a généré tout un système de haltes, auberges, lieux de protection comme la Dômerie d’Aubrac ou le caravansérail de Gambosh dans l’Elbrouz ou les tampu andins. C’est toute une économie de la route qui existe pour entretenir, déneiger la route, guider le voyageur, porter les marchandises et qui est décrite dans de nombreux exemples.
Solidarités
En montagne la communauté petit ou grande, nomade ou sédentaire joue un grand rôle, elle existe par son territoire, communauté d’exploitants, mais aussi par ses mythes. Les vallées du Dolpo en sont un exemple.
L’organisation est tantôt aristocratique, tantôt égalitaire , les assemblées villageoises y sont souvent un instrument face à une domination politique extérieure.
La montagne contre l’État
Lieu refuge la montagne est souvent lieu de dissidence d’autant plus facilement qu’elle constitue une marge. De nombreux exemples démontent le caractère souvent incontrôlable des montagnards. De l’Antiquité à nos jours, les populations défendent souvent seuls leur territoire, voire constituent une menace pour les habitants des plaines par la brigandage comme dans le Caucase. Au Moyen Age des vallées ont pu négocier une certaines autonomie: Vallée d’Uri dans les alpes, Val d’Aran en Pyrénées.
Des États montagnards
Si en Asie notamment de nombreux peuples semblent réfractaires à l’État, anarchistes comme le pensait Élysée Reclus, des formes d’État existent, des confédérations: Dzorgues au Tibet, Suisse, ou autres dans les Balkans ou en Kabylie. L’auteur nous entraîne dans l’histoire de la Grèce antique au XIXè. s., des Andes au Ladakh par passant par les Ossetes avec un détour en Afrique avec le Lesotho. On ne saurait échapper aux royaumes du toit du monde: Mustang et Bhoutan qui illustrent ces états forteresses souvent limités en superficie. pourtant des empires (Tibet, Andes) ont eu une existence éphémère.
En conclusion Fabrice Mouthon tente un bilan des caractères communs: une économie souvent précaire, une difficultés à construire des villes et des états. La montagne a souvent été en marge des grands systèmes économico-politiques, situation qui a permis l’émergence de civilisations montagnardes, d’une identité spécifique.
Les très nombreux exemples pris sur tous les continents, un index des noms de lieux pour une recherche rapide par zone géographique, une abondante bibliographie apportent une vision très large et invite à la découverte.