« Histoire du Japon – Des origines à nos jours » est une réédition en format poche, avec la bien-connue édition Texto de chez Tallandier qui fournit ainsi au lecteur impécunieux le moyen d’avoir accès à des ouvrages de qualité.
Gérard Siary, est ex-pensionnaire de la Maison franco-japonaise, docteur d’État, professeur de littérature comparée à l’université de Montpellier, traducteur de littérature japonaise et européenne, toutes activités l’ayant amené à se pencher pendant toute sa carrière sur l’histoire des images croisées du Japon et de l’Occident.
Ce livre d’histoire mêle au dire de l’auteur de solides références liées à sa lecture des meilleurs écrits sur le sujetVoir notamment « Histoire du Japon et des Japonais », d’Edwin Oldfather Reischauer (deux tomes, Seuil, 2014). avec la subjectivité de son expérience personnelle et de sa passion pour ce pays.
Le Japon, un étranger autre ?
Autant dire que la chasse aux poncifs est ouverte. Pas question pour l’auteur de laisser penser que les Japonais seraient des guerriers – et des amoureux (!) – frénétiques, des stoïciens devant les séismes et autres tsunamis, qu’ils se suicident plus qu’ailleurs. La liste est d’ailleurs longue des parti-pris essentialistes ; l’auteur cite plusieurs auteurs qui se sont attachés à en décrypter les mécanismes :
La Fascination du Japon, idées reçues sur l’archipel japonais (3e édition)
Philippe Pelletier, éditions Le Cavalier bleu, 2021, 328 pages, 14 euros
France – Japon : compétition et fascination
Les Français, pour ne parler que d’eux, ne sont d’ailleurs pas avares de représentations de « leur » Japon, depuis la vague du japonisme à la fin du XIXe siècle jusqu’aux mangas et anime dont la France est devenue le 2e marché mondial. On pourrait tout aussi bien évoquer le judo, les judokas français s’étant emparé devant les maîtres japonais dans leur sanctuaire du Nippon Budokan de Tōkyō de la première couronne olympique par équipe mixte jamais décernéeNul doute que le judo japonais viendra pour prendre sa revanche aux JO de Paris en 2024…. Par contre, mais est-ce une mauvaise nouvelle pour la gastronomie française ? Le nombre de restaurants triplement étoilés au Japon dépasse en 2022 celui de leurs homologues français. Le plus intéressant en la matière, ce sont les échanges continuels entre les chefs et les 2 cuisines, chacune exerçant une fascination toute particulière sur l’autre.
Mais revenons à l’histoire du Japon
Les Clionautes ont déjà proposé un compte-rendu du livre grand-format paru en 2020, auquel nous vous conseillons de vous référer en ce qui concerne plus particulièrement les grande périodes chronologiques de l’histoire japonaise :
Histoire du Japon -Des origines à nos jours
Gérard Siary, ed. Tallandier, 2020, 461 p., 22,90 €
Pour mieux comprendre le paradoxe de la réception du Japon par les autres cultures et en attendant une histoire mondiale du Japon à l’instar de ce qui s’est fait dernièrement en France, ce second compte-rendu s’intéressera à la façon dans l’histoire du Japon s’insère dans l’histoire de l’Asie de l’Est, puis ce que furent ses voies propres, enfin dans le Japon contemporain, ce qui se joue, entre angoisses existentielles et résiliences .
Le Japon dans l’histoire de l’Asie de l’Est
Si comme on le sait en gros, le Japon ne peut se dissocier d’une histoire régionale marquée de l’empreinte du grand voisin chinois, il n’en suit pas moins des voies propres.
Les avancées de l’histoire connectée montrent combien du XVIe au XVIIIe les Européens n’ont pas considéré les Asiatiques comme des peuples en retard. Ce fut évident pour François-Xavier quand le supérieur jésuite découvre le pays au milieu du XVIe siècle. Pour lui et ses collaborateurs, il s’agit d’évangéliser un peuple de culture au moins égale voire supérieure par certains aspects à l’Occident chrétien !
Un cadre géo-culturel commun…
Prévaut dans cette région du monde des valeurs relativement commune sur l’autorité, la moralité, la valeur de l’individu, une culture commune du riz et une urbanisation ancienne.
L’influence du géant chinois…
Le poids considérable de l’empire chinois sur ses voisins – Corée, Japon, Vietnam – se manifeste par l’écriture, le confucianisme, la vision harmonieuse des liens entre l’être et l’univers, la tendance au syncrétisme.
…Mais une trajectoire historique propre
Pour l’auteur, « la geste du Japon est celle d’un peuple épris de nouveauté, d’hétérogène origine, qui s’est civilisé au contact d’autres mondes – la Chine puis l’Occident – pour se muer en un Etat-nation impérial, puis industriel ». Leçon si bien reçue que la Chine en fera les frais puis la Russie impériale.
La dure leçon de l’échec d’une guerre-éclair contre la puissance américaine et l’occupation qui s’en suit, le conduit à se muer en empire industriel et technologique, à la 2e place mondialeOn se souvient du slogan de la 1ère entreprise technologique mondiale de la fin du XXe siècle : « Vous en avez rêvé, Sony l’a fait »….
Une histoire qui a façonné une civilisation à nul autre pareille
Le milieu nippon
L’archipel du Japon est apparu il y a seulement 15 millions d’années AECAEC = Avant l’ère commune. La chronologie de l’ère commune ne change rien à la façon occidentale de numéroter les années, ni avant ni après Jésus-Christ. Les dénominations « EC » et « AEC » sont proposées par leurs défenseurs comme des alternatives qui évitent de faire référence à une civilisation ou à une religion particulière, ceux-ci mettant en exergue la neutralité de cette norme vis-à-vis des cultures et des croyances. (Source : Wikipedia) à la conjonction de 4 plaques tectoniques produisant volcans, montagnes, mineraisEncore un poncif, celui du Japon dépourvu de ressources naturelles…, séismes et le miracle du Mt Fuji au cône parfait. D’ailleurs, le fait que cette activité géologique soit continue explique le maintien des sols dans un état d’acidité peu propice à la conservation de fossiles.
Aux 4 îles principales formant « l’île-pays » s’ajoutent une myriade d’îles organisées en « chaine insulaire », comme les Nansei, de la pointe sud de Kyūshū à Taïwan, où arrivèrent les Jésuites portugais à la fin du XVIe siècle, ou bien les Kouriles, russes depuis 1945 à la pointe est de Hokkaidō. Cette configuration particulière, très étirée sur plus de 3000 km l’a conduit à des conflits avec ses voisins, par sa tendance à les considérer comme historiquement siennes. Au moins, ces 6852 îles assurent au Japon la 6e Zone Economique Exclusive mondiale.
Préhistoire et japonité
La population reste attachée au mythe de l’unicité japonaise alors que les recherches scientifiques que la polygénèse issue de migrations plurielles et hétérogènes s’impose comme seule exacte. D’autant qu’entre 35 000 et 16 000 AEC, des langues de terre ont permis le passage de populations continentales et certainement des circulations régulières. Si la « fermeture » du Japon du XVIIe siècle jusqu’à la 2nde moitié du XIXe siècle a favorisé le brassage et l’homogénéisation ethnique, c’est avec le nationalisme de Meiji, importé d’Occident avec l’idée de race que s’est formé ce sentiment d’unicité.
En ce qui concerne la langue, les débats sont également vifs sans faire apparaître de filiation avec les langues parlée en Asie ou dans le Pacifique, à part peut-être pour le coréen, la péninsule ayant été selon certains linguistes le berceau du coréen et du proto-japonais. En fait, comme le résume l’auteur : « On en sait finalement aussi peu sur l’origine du japonais que sur celle des Japonais ».
L’ascension des guerriers
Les bushi ou samouraïs sont à l’origine des paysans formés à l’usage des armes et recrutés par les daimyō propriétaires terriens locaux ayant bénéficié du droit de propriété héréditaire et exempt d’impôts mis en place par le tem.no ou « souverain céleste », selon la tradition taoïste. Au XIIe siècle, Yoritomo no Minamoto est le premier membre de ce qui est devenu une noblesse militaire à recevoir du tem.no le titre suprême de shōgun. La cour impériale perd alors son pouvoir absolu, le shōgun n’étant plus un courtisan mais un guerrier.
Débute ce qu’il est convenu d’appeler le Moyen Àge qui culmine avec l’époque EdoEdo, l’ancien nom de Tōkyō, siège du shoghunat des Tokugawa jusqu’en 1868. où le pouvoir est sans discontinuer dans les mains du clan Tokugawa (1603-1868). C’est au début de cette période que se scelle le sort du christianisme installé par les Jésuites et considéré comme menaçant l’intégrité culturelle japonaise autour du shintoïsme et du bouddhisme.
Le déclin samouraï sera finalement lié à leur appauvrissement qui les crispe sur leur crédo conservateur confucéen, pendant que la société évolue vers un capitalisme marchand.
Samouraï : 1000 ans d’histoire du Japon
Pierre-François Souyri, Presses Universitaires de Rennes, 2014, 264 pages, 39,50 €
La confrontation avec l’Occident
Il faut d’abord revenir sur la notion de « fermeture » du Japon entre le XVIIe et la moitié du XIXe. Contrairement à la vision des « Grandes Découvertes » véhiculées en Occident, et comme la montré « l’histoire connectée », les Asiatiques ont commercé avec les Européens et les échanges étaient clairement en faveur des premiers. Et dès 1582, les Jésuites envoient en Europe catholique de jeunes convertis nippons. Si le prosélytisme jésuite conduit le clan Tokugawa à fermer le pays à l’étranger, les produits artisanaux continuent d’arriver en Europe via les Hollandais autorisés à s’installer dans l’enclave commerciale de Deshima à Nagasaki.
De même, la vision d’une opposition franche entre le Japon Edo, fermé et le Japon Meiji ouvert est contredit par une mutation économique commencée bien avant 1868. L’intrusion de l’Occident dans les eaux japonaises n’a fait qu’accentuer une évolution marchande en plein essor.
L’ère Meiji symbolise toutefois l’entrée à marche forcée dans le système international dominé par les Occidentaux. L’Etat-major se réforme en s’inspirant de la Prusse qui vient de battre l’empire Austro-Hongrois à Sadowa, les secteurs économiques prennent modèles sur les technologies françaises et britanniques récentes, le tem.no devient monarque constitutionnel avec un premier Parlement élu en 1890. Les grandes puissances acceptent la renégociation des traités inégaux en 1894, reconnaissant le Japon comme un acteur de premier plan.
La mer comme frontière
L’un des grands spécialistes de la géographie du Japon, Philippe Pelletier, considère cette notion non comme une ligne, héritée de la tradition occidentale, mais comme un espace pensé en profondeur, sur le modèle chinois, séparant civilisés et barbares. On ne peut penser une territorialité classique pour un pays constitué de milliers d’îles s’étirant sur une distance équivalente à celle du Québec à la Floride.
Ensuite, cette notion est mouvante, car faite d’expansions et de rétractations, notamment en direction des voisins coréens et chinois. Un système très différent d’un autre empire insulaire, la Grande-Bretagne, qui dès qu’elle acquiert une flotte capable de se projeter au delà de la simple protection du pays, est en expansion continue.
À partir de 1853, le Japon se voit imposer une frontière « wesphalienne », celle d’un Etat-Nation qu’il n’est pas. Car sa conception est celle d’une stratégie en profondeur traditionnelle, issu du monde chinois, dans lequel certains voisins (Taïwan, Okinawa) sont au gré des époques des féaux ou des associés à la souveraineté japonaise. D’où la politique d’expansion militaire qui commence avec la prise de Taïwan, puis se continue avec les victoires sur la Chine et la Russie, l’occupation de la Corée et la prise de l’empire colonial allemand du Pacifique et culmine en 1942 avec l’extension maximale de « la sphère de copropriété asiatique » avant l’échec final de 45.
« Le Japon et la mer, entre frontière-glacis et nouvelle frontière »
Michel Chandeigne, Fabrice Jonckheere et Geoffrey Maréchal
Table ronde des Clionautes, les Rendez-Vous de l’Histoire de Blois 2022
Un présent entre angoisses existentielles et résiliences
La peur atomique
« Les deux bombardements atomiques ont profondément marqué la société japonaise de l’immédiat après-guerre avant de s’enraciner dans une mémoire culturelle toujours d’actualité. Aux destructions dantesques, se sont ajoutées la honte de la défaite, la mise à l’écart des survivants, une vague pacifiste profonde ; autant de signes d’un traumatisme absolu. Mais de ce chaos sont aussi nés des espoirs ; celui de la reconstruction, celui d’un avenir meilleur. Plus insidieusement, ces deux attaques nucléaires ont occulté bien des débats autour la mémoire de la guerre et de la résurgence d’une forme de nationalisme nippon dès les années 1950. Pour qui sait s’y plonger sans a priori, ces questions sont perceptibles à travers les Mangas, le Cinéma et l’ensemble de cette pop culture nippone à la richesse foisonnante. Aux esprits curieux les œuvres révèlent un rapport complexe à l’atome. Source de malheur et de destruction, il est aussi un marqueur clé d’un monde rendu meilleur grâce à la technologie et à la résilience humaine. »
Source : «Le nucléaire et la pop culture – Clio-Geek » par Ludovic Chevassus, 29 Mai 2019.
La fin du miracle économique ?
Fin 1989, l’indice Nikkei atteint son plus haut niveau, c’est l’acmé de la longue expansion économique dans laquelle le travailleur (qualifié) a joui de la sécurité de l’emploi et la classe moyenne est devenue largement majoritaire. L’éclatement de la bulle financière entraine une récession qui touche toutes les secteurs économiques et toutes les catégories sociales. Le Japon recule au 3e rang mondial derrière la Chine en 2010. Le leadership technologique est repris par les Etats-Unis et Taïwan. Le rapport à l’emploi des jeunes passe par un chômage structurel. L’accident de Fukishima ébranle la confiance dans la sécurité technologique du pays.
Une démocratie libérale en proie au doute
Le PLD parti libéral-démocrate issu de l’alliance tacite entre les hauts fonctionnaires de l’Etat et les anciens de l’appareil impérial ayant échappé à la justice américaine réussit à gouverner sans discontinuer jusqu’en 1993, bien que miné par les affaires de corruption. Mais l’opposition, socialiste et démocratique ne parvient qu’un temps à convaincre les Japonais qu’elle représente une meilleure option politique pour le pays, englué dans la récession.
L’impressionnant vieillissement de la population
Le premier cens remonte à 1721 et donne 26,1 millions d’habitants, comme celui de 1846, à la suite de disettes et d’épidémies. Les naissances remontent à partir de 1870 avec l’ère Meiji pour arriver à 72 millions en 1945 puis 127,2 millions en 2010, la transition démographique étant largement accomplie. Or la baisse structurelle du taux des naissances, somme toute commune à tous les pays développés, s’est accompagnée d’un concept nouveau de « couple à double revenu et sans enfants » dès les années 70. Le taux de fécondité n’a pas continué de chuter, jusqu’à 1,2 pour remonter à 1,4 avec les mesures natalistes prises par le gouvernement Abe. Quoi qu’il en soit, les prévisions pour 2030 annoncent le chiffre de 115 millions d’habitants…
La société japonaise vieillit donc plus vite que les autres sociétés développées – excepté la Corée du Sud. D’où plusieurs conséquences inédites : les Japonais doivent restés actifs plus longtemps, parfois au delà de 70 ans, et comme l’espérance de vie est la plus élevée du monde, le nombre de personnes dite du 4e âge l’est aussi, sans parler des centenaires.
Or le recours à l’immigration, censé pour les démographes remédier à la baisse radicale de la population active, reste un impensé culturel. Néanmoins les plus jeunes n’hésitent plus à se marier avec Philippines, Chinoises ou Coréennes.
Toujours est-il que le Japon nous renvoie en la matière, l’image d’un futur qui pourrait bientôt être le nôtre…
Vers de nouvelles relations internationales pour le Japon ?
La longue expansion économique et la constitution pacifique de 1947 avec son célèbre article 9 qui prévoit que le Japon « renonce à jamais à la guerre » et qu’aucun « potentiel de guerre » ne sera entretenu ont fait du Japon un nain politique qui lui a permis de faire oublier ses crimes de guerre contre ses voisins. En partie seulement, car les demandes d’excuses pour les atrocités commises restent entachées d’attitudes négationnistes, vis à vis des femmes coréennes, des manuels scolaires non expurgés ou des visites des 1ers ministres au sanctuaire Yasukuni dans lequel sont enterrés de hauts gradés condamnés pour crimes de guerre…
Mais dans les faits, il existe malgré tout depuis 1954 des « forces d’autodéfense », une armée composée de plus de 240 000 hommes, dont le pays peut se servir s’il est agressé. Mais il ne peut la projeter hors de ses frontières, en cas de conflit global par exemple entre la Chine et les Etats-Unis. Avec un budget militaire qui ne cesse d’augmenter, le Japon est loin d’être une puissance démilitarisée et le pays consacre près de 5% de son budget total aux dépenses militaires. La majorité des Japonais reste malgré tout attachée au pacifisme.
le Japon actuel doit en outre resserrer ses liens avec les pays de l’Asie Pacifique qui comme lui craignent l’hégémonie chinoise et les gesticulation bellicistes de la Corée du Nord. C’est entre autres le sens de la visite en Inde du temps de son dernier ministère de Abe Shinzō. La France qui est la seule puissance de l’UE présente dans l’Indopacifique pourrait être amenée à renforcer ses liens avec le Japon…