L’excellente revue L’Alpe, coéditée par le Musée Dauphinois et les éditions Glénat, publie son 100e numéro : Alpins 7000 ans d’histoires.

Comme depuis 1998, les articles, toujours intéressants sous la plume de spécialistes, sont complétés d’illustrations de grande qualité, des références bibliographiques. Le dossier thématique est accompagné d’un portfolio. Pour ce numéro, le photographe suisse Hans Peter Jost s’est intéressé à l’hypertourisme et des actus : la culture de l’Europe alpine, de Nice à Vienne et de Genève à Ljubljana, des expositions, des rencontres, des livres.

Quelques numéros ont déjà été chroniqués par la Cliothèque Terre de protestantisme, N°92 Printemps 2021 – Un hiver au Mont Blanc, n°87 hiver 2020 – L’Alpe : A saute-frontières, Revue N° 86, 2019 – Climat – Sale temps pour les glaciers, n° 78 Automne 2017 – Ecoliers des montagnes, N°70 automne 2015..

Le Dossier : Alpins 7000 ans d’histoires

Olivier Cogne, directeur du Musée dauphinois, présente la nouvelle exposition du Musée dauphinois : (EN)CHANTER LA MONTAGNE. Exposition qui viendra remplacer « Les Gens de l’Alpe » qui ouvrait le premier numéro de la revue. C’est une actualisation du discours sur la vie et l’histoire des Alpins pour montrer la continuité et la complexité de cette histoire des premières communautés aux Alpins d’aujourd’hui, la capacité à s’adapter à l’environnement. La nouvelle exposition utilisera bien sûr les outils actuels (vidéo, sons, outils numériques interactifs). Elle est attendue avec impatience.

LES ALPES DOMESTIQUÉES : Pierre-Yves Nicod, archéologueConservateur du département «  Préhistoire et Antiquité  » du musée d’histoire du Valais à Sion fait le point sur ce que l’on sait de l’implantation des communautés humaines dans les Alpes. Après quelques chasseurs-cueilleurs du Paléolithique supérieur et du MésolithiqueSur ce sujet L’Homme dans les Alpes, de la pierre au métal, Pierre Bintz, Christophe Griggo, Lucie Martin, Régis Picavet (coord.), Chambéry, Editions de l’Université Savoie Mont Blanc, Collection EDYTEM n° 20, 2019, 382 p., le Néolithique marque un tournant. Vers 5500/5000 avant notre ère, les premiers terroirs agropastoraux sont présents dans le massif alpinEncarts sur La bergerie de la Grande Rivoire (Vercors) p. 16 et sur Une halte de chasse à l’Aulp du Seuil (Chartreuse) p. 18. L’auteur évoque les premiers villages (Naters en Valais, Bozel en Savoie…), des traces de culture jusqu’à 1500 m. Les déplacements d’une vallée à l’autre par les cols sont attestés pendant tout le Néolithique, même sur la neige.

C’est l’archéologue Maxence Segard qui rappelle la conquête en deux temps : de 125 à 121 avant notre ère et 63 avant notre ère à l’an 14 avec Auguste. Il montre le rôle des élites locales dans LA ROMANISATION DES ALPES, notamment le place dans l’administration et le contrôle des voies de passage durant l’Empire. Au quotidien, des produits méditerranéens sont présents dans les bourgs comme Aix-les-Bains et ses thermes. La diffusion du culte des dieux romains attestent de cette romanisation, mais en dehors des axes de communication, la vie quotidienne a peu changé.

L’ARMOIRE DES ESCARTONS, Anne MontenachProfesseure d’histoire moderne à l’université d’Aix-Marseille présente cette expérience étonnante de gouvernance autonome dans cinq hautes vallées. L’armoire réalisée en 1773 dans le Queyras avait huit serrures, huit clés pour les sept communautés plus une pour le secrétaire de la vallée. Cette armoire contenait les registres de délibération des assemblées de la vallée. Elle est le symbole des Escartons, créés en 1343. En franco-provençal, « escartoner » signifie  régler les conflits, ici relatifs aux pâturages, aux forets, aux usages de l’eau.

Le Grand Escarton réunissait les représentants des 51 communautésVallées de Briançon, Eyras, Oulx, Val-Cluson et Château-Dauphin. Ils se réunissaient pour partager l’impôt royal, lever des gens de guerre et des gardes-frontière, mais aussi défendaient leur liberté économique. Le système ne fut aboli que la nuit du 4 août 1789. Au XIXe siècle, une mythologie se développa sur fond de revendication régionaliste.

LA FORMIDABLE ASCENSION DES LIBRAIRIES DU BRIANÇONNAIS, Laurence FontaineHistorienne, directrice de recherche émérite au CNRS rattachée au centre Maurice-Halbwachs ; Après sa thèse sur Le Voyage et la mémoire, colporteurs de l’Oisans au XIXe siècle, Lyon, Presses universitaires de Lyon, 1984, elle s’est intéressée à aux pauvres (L’Économie morale. Pauvreté, crédit et confiance dans l’Europe préindustrielle, Paris, Gallimard, 2008, Grand Prix des RVH de Blois en 2009). montre que le colportage particulier des livres, en France, et même en Europe, qui s’est maintenu au XVIIIe siècle quand il se repliait sur la région pour les autres produits. Des hommes, originaires du Briançonnais ont ouvert boutique partout en Europe grâce à des réseaux familiaux, souvent issus des réseaux protestants. La montagne a aussi favorisé le contournement de la censure.

Anne-Marie Granet, professeur émérite d’histoire contemporaine de l’université Grenoble Alpes, propose de relire la période contemporaine à la lumière du temps et de l’espace, du pas des mules au rythme des locomotives : TOUJOURS PLUS VITE. Elle montre comment la pluriactivité était une façon de s’adapter et de saisir des opportunités. Elle évoque la permanence du discours négatif sur l’enclavement des vallées qui aujourd’hui devient un atout de territoires préservés.

VIES CROISÉES, Gilles Della-Vedova, historienChercheur associé au Laboratoire d’études rurales (Lyon II). Sa thèse La Montagne des possibles. Les acteurs du développement rural (Villard-de-Lans XIXe-XXe siècles) a été publiée en 2020 aux Presses universitaires de Grenoble., se penche sur l’histoire économique et sociale du Vercors, plus précisément du Pays des Quatre MontagnesIl s’agit du Nord-Vercors, le plateau des Quatre Montagnes correspond aux communes de Lans-en-Vercors, Villard-de-Lans, Méaudre et Autrans, à hauteur de « vies minuscules » : les éleveurs de villardesRace locale de bovins, les transporteurs qui assuraient la liaison du plateau avec Grenoble et la vallée, acteurs du tourisme naissant. C’est aussi le bon air de la montagne pour les poumons des petits citadins accueillis à Autrans ou à Villard-de-LansÀ noter que le Lycée Jean Prévost de Villard-de-Lans a une vocation climatique.

Thierry Amrein, anthropologue social, s’intéresse à la place de la montagne dans les projets des jeunes européens, à partir de l’enquête Euromontana. La majorité des jeunes alpins souhaitent vivre en montagne, mais que faire ? Dans CONNECTÉ(E)S, il présente des projets innovants, mais aussi coûteux : le parcoursArianna et miaEngiadina. Il recommande la prudence à propos d’une redynamisation de l’économie de vallées par les nouvelles technologies.

DEMAIN LA MONTAGNE, L’ouvrage Demain la montagne de Sandy Plas et Mathias Virilli présente 101 initiatives de transition pour faire face aux défis : hausse des températures, adaptation de la biodiversité, un panorama des solutions environnementales et sociales.

C’est enfin une carte blanche à un écrivain, Philippe ClaudelEcrivain et réalisateur et enseignant. Il a notamment reçu le prix Goncourt des Lycées en 2007 avec Le rapport de Brodeck (Stock). En 2008, son premier film sort sur les écrans : « Il y a longtemps que je t’aime », avec Kristin Scott Thomas et Elsa Zylberstein : NAÎTRE, MOURIR, RENAÎTRE, NE JAMAIS MOURIR. Il dit son amour de la montagne et son inquiétude face à l’empreinte de l’homme.

Un très beau numéro, pensez à vous abonner.