Gilles Richard, élève et continuateur de René Rémond, a commencé son analyse en 2012 pour la terminer en 2017. Il constate l’effondrement des gauches et remarque qu’une nouvelle fois l’élection que nous venons de vivre a opposé un candidat représentatif de la droite libérale à une candidate modèle de la droite extrême. La Gauche, élue en 2012, a déçu. Simple constat. Certes. Cependant au-delà de celui-ci, une analyse plus profonde semble s’imposer. A moins que l’on souhaite se tromper… Durant quelque 50 ans, René Rémond fut le spécialiste des droites et, de façon plus générale, un analyste politique reconnu. Son livre, Les droites en France, a été maintes fois réédité, c’est dire son intérêt et son succès. En 2005, afin de faire une mise au point plus actuelle, René Rémond publia Les Droites aujourd’hui. Il ne faut certes pas oublier l’ouvrage collectif, sous la direction de Jean-François Sirinelli, Histoire des droites en France (1992) et qui, en trois volumes, propose plus de 2.500 pages !
Pour Gilles Richard la difficulté consistait donc à faire un nouvel apport. A cette fin, il s’est appuyé sur les recherches des 20 dernières années (thèses, colloques…). Toutefois l’auteur constate que, en réalité, l’histoire des Droites est un terrain encore mal défriché si on le compare aux abondantes publications concernant les gauches. Ainsi, il donne un exemple précis, celui du Parti social français, dirigé par le lieutenant-colonel François de la Rocque, et qui comptait dans les années 1930 environ 1.200.000 adhérents tandis que le PCF ne pouvait se prévaloir que de 800.000 ! Or, il a fallu attendre 2016 pour que paraisse un ouvrage sur ce qui aura été le plus grand parti de France. Un parti de droite en l’occurrence. Étrange car si l’on suit Guy Mollet (1957) et plus tard Louis Pauwels, la France est stupide puisqu’elle accorde sa confiance à la Droite la plus bête du monde…
L’Histoire des Droites présentée par Gilles Richard débute en 1815 afin de montrer au lecteur les évolutions de ce courant politique. Or, les discours des représentants de cette famille politique ne sont pas suffisants pour une analyse de qualité si l’on veut éviter de tomber dans le piège du «Tous pourris». L’Histoire s’avère nécessaire pour comprendre et éviter ce genre de simplifications. En ce qui concerne la France, tout le monde le comprendra aisément, il faut remonter, au moins, jusqu’à la Révolution, c’est-à-dire le moment où les choses se sont fixées. Figées ?… En son temps, René Rémond avait défini trois droites : légitimiste, orléaniste, bonapartiste. Cette classification d’ailleurs n’avait pas manqué de susciter des critiques. Est-elle toujours opérationnelle en ces temps plus modernes ? C’est toute la question que pose Gilles Richard. Sans trahir «le maître», il souhaite se détacher de l’«approche généalogique» de Rémond. Ce dernier ayant d’ailleurs, dans son dernier ouvrage sur le sujet, changé les termes attribués aux «trois familles» pour en conclure : traditionalistes, libéraux, gaullistes. De fait Gilles Richard souhaite se détacher de «l’approche généalogique» de Rémond. En effet, selon lui, René Rémond n’a pas su analyser certains phénomènes tels le FN ou l’agrarisme. Ainsi, le grand historien serait resté un enfant de son temps. Celui de ses parents.
Selon Gilles Richard, depuis la Révolution, la France a connu environ une quinzaine de familles politiques : légitimistes, républicains, orléanistes, bonapartistes, libéraux, radicaux, socialistes, nationalistes, démocrates-chrétiens, anarchistes, communistes, agrariens, gaullistes, écologistes. Gilles Richard emploie le mot «famille» pour désigner toutes ces tendances. On ne peut alors s’empêcher de penser au livre de Jacques Julliard (Les gauches françaises, 1762-2012. Histoire, politique et imaginaire, Flammarion, 2012) qui est un peu le pendant de celui nous concernant et dans lequel il précise : «Les familles sont l’invariant politique ; les partis la forme transitoire ; les cultures, des valeurs transversales. Toute la difficulté de la politique, c’est que partis et familles ne coïncident pas, et que les partis sont toujours à cheval sur plusieurs cultures» (op. cit., p. 11). L’auteur souligne un fait : la famille républicaine, en essor depuis 1848 connaît lors de sa victoire (1877-1879) une nette rupture. les «républicains» se divisent en libéraux (les opportunistes), en radicaux ou en socialistes. Se pose alors la question : comment combiner autant de familles politiques ?
Les «droites» qui constituent le cœur de l’ouvrage ne peuvent évidemment s’envisager que par leur rapport aux «gauches». Ce que propose Gilles Richard est donc une histoire qui met en connexion les deux courants et, au-delà, la société dans son ensemble. Ainsi, la question posée en 1789, pouvoir personnel ou pouvoir partagé, va mettre un siècle à être tranchée ! De même, la question des relations Église / État attendra 1905 avec tous les heurts que l’on connaît. Par ailleurs, dès 1906, lors de la première tentative de grève générale, la République libérale est ouvertement contestée par les tenants de la République sociale. Or, là aussi il est à nouveau question d’un affrontement droite /gauche. 1936 et la victoire du Front populaire marquent un nouveau tournant dans cet affrontement. Afin de mieux comprendre ces évolutions il convient de ne pas oublier le contexte historique : le salariat, le mouvement ouvrier, la mutation du capitalisme lors de de la seconde révolution industrielle, la mise en place de «l’OST» ou encore les effets d’Octobre 1917.
Depuis 30 ans la France connaît une nouvelle ère politique sous l’effet de nombreux changements (chômage structurel, intégration à l’UE, révolution technologique…). Cette nouvelle période de vie politique française est marquée par un estompement du clivage traditionnel gauche/droite pour laisser l’essentiel de la place à un nouveau clivage détonnant qui oppose la droite libérale à la droite nationaliste. Gilles Richard a choisi pour son ouvrage trois questions essentielles : quelles sont le réponses apportées à la question du régime (question institutionnelle), à la question sociale et à la question nationale (la place de la France). Cela ne répond pas à toutes les interrogations créées par notre histoire politique mais permet d’en cerner l’essentiel. Il y a donc depuis deux siècles à la fois une bipolarisation politique et une quinzaine de familles qui tentent d’apporter des réponses aux questions de société qui se posent ! Ainsi des analyses plurielles s’imposent.
Ces analyses ont été entreprises dans les années 80 par l’Institut d’études politiques de Paris (ParisX-Nanterre) autour de René Rémond et ont débouché sur la publication d’un ouvrage collectif, Les cultures politiques en France, sous la direction de Serge Bernstein en 1999. Ce renouveau de l’histoire politique s’est fait concomitamment avec celui de de l’histoire culturelle. Rien d’étonnant… L’objectif était de donner une réponse à l’école des Annales alors qu’on semblait privilégier, pour résumer, l’Histoire-bataille et celle des dirigeants sans prendre en compte le temps long. L’association du renouveau de l’Histoire politique et de l’Histoire culturelle nous a offert des analyses précieuses. Toutefois, selon Gilles Richard, ce nécessaire renouveau s’est fait au détriment de l’analyse des partis politiques et, disons, d’une historiographie plus classique. Son point de vue étant que les électeurs votent pour un candidat et le programme qu’il présente et non pour des attendus philosophiques de plus grande ampleur. On ne saurait le contredire…
La politique passe de toute évidence par les partis même si la nature de ceux-ci a beaucoup évolué avec le temps. Quelles que soient nos idées, une fois dans l’isoloir enfermés, c’est sur un bulletin que le choix se fait. A moins de refuser d’y aller…
Par Jorris Alric