Il fallut des années et des armées pour vaincre Napoléon. L’épopée aurait pourtant pu tourner court bien avant, si les attentats royalistes contre le Premier Consul Bonaparte avaient abouti. La politique de réconciliation de ce dernier avait pacifié la Vendée, donné le Concordat à l’église catholique et amnistié les émigrés. Mais elle n’avait pas désarmé le noyau le plus fervent des partisans des Bourbons. Le spectaculaire attentat de la rue Saint-Nicaise, perpétré en 1800, avait démontré leur détermination. Temporairement apaisée par la paix d’Amiens, la menace est ravivée par la reprise de la guerre avec l’Angleterre en 1803. L’ennemi s’empresse alors d’encourager et financer les entreprises de déstabilisation royalistes.

La plus ambitieuse, à défaut d’être aboutie, est la conspiration de l’an XII

Articulée sur la personnalité exceptionnelle du chef chouan Georges Cadoudal, elle a beaucoup fasciné les historiens du XIXe siècle. Homme de presse, homme de lettres et éditeur, Jean-Claude Demory revisite aujourd’hui cet épisode délaissé par l’historiographie depuis une cinquantaine d’années. Il met en valeur les contours d’un événement qui défraya fortement la chronique politico-policière à la charnière du Consulat et de l’Empire. Le drame se noue sur les accords et surtout les désaccords entre quatre protagonistes centraux. Celui qui tient toute l’affaire sur ses colossales épaules est le chouan Georges Cadoudal. Homme d’action intrépide mais médiocrement entouré, il est remarquable par son courage et son physique herculéen très reconnaissable. Homme de conviction, il a refusé les avances tentatrices de Bonaparte pour rester fidèle à la cause monarchiste au service de laquelle il a combattu durant toute la Révolution. Il conçoit un projet d’enlèvement armé du Premier Consul qui nécessite la caution de trois autres personnalités. Commanditaire veule et défaillant mais référence symbolique indispensable, le comte d’Artois joue les courants d’air dynastiques. Traitre à la République devenu un agent actif de la monarchie, le général renégat Pichegru parie sur son ancien prestige militaire et son amitié passée avec son ex-camarade le général Moreau. Rival frustré du Premier Consul, ce dernier conserve le respect de l’armée. Mi-complice mi-pièce rapportée, il se compromet aussi maladroitement que sottement dans l’affaire en s’imaginant tirer les marrons du feu à son propre profit.

Le complot engage de l’ambition et des moyens

Il rassemble des dizaines de comparses, ce qui fait que la discrétion n’est pas tout à fait au rendez-vous. Il implique toute une cohorte d’intermédiaires plus ou moins doués et avisés, parmi lesquels se glissent des agents de Fouché. Un nombre imprudent d’émissaires et de messagers circule, ce qui ne peut passer inaperçu. Un climat d’amateurisme certain règne chez une partie des conjurés. Pourtant, la police est elle-même défaillante, jusqu’à oublier d’interroger les suspects qu’elle emprisonne ! D’autant que Fouché a été évincé de son ministère au profit d’un juriste intègre mais peu capable dont les services ne détectent rien… Il faut donc que l’ancien maître de la police, qui a évidemment gardé la main sur son précieux réseau d’informateurs, sonne l’alarme pour que la présence des comploteurs soit révélée. Il démontre ainsi le caractère indispensable de ses services. La nasse policière se referme au moment où, ironiquement, la conjuration avait déjà fait long feu du fait des dissensions entre ses têtes principales. Le danger s’était évanoui de lui-même, sans que l’opération soit allée plus loin que le stade des préparatifs logistiques et des conciliabules furtifs. Mais les participants à la conjuration étaient encore là, pris au piège au moment où ils s’apprêtaient à s’enfuir.

Le dénouement est dès lors inéluctable. Une traque intense est menée dans la capitale cadenassée par les forces de l’ordre. Dispersés dans Paris, les fugitifs, dont le réseau a été infiltré par des espions de Fouché, tombent les uns après les autres. L’arrestation spectaculaire et dramatique de Cadoudal en est le point culminant. Le régime démontre sa force et la solidité de son socle social. Le châtiment s’abat sur les coupables mais aussi sur un innocent. Le suicide suspect de Pichegru défraie la chronique carcérale. Prince considéré à tort comme impliqué dans le complot, le malheureux duc d’Enghien est enlevé en Allemagne. Son exécution en fait le bouc émissaire de la conjuration avortée. La justice se charge de Cadoudal et ses affidés. Un grand procès examine le sort de quarante-deux prévenus. Vingt-deux sont condamnés. Tandis que Moreau s’en tire avec un ordre de bannissement, les condamnés à mort les plus aristocratiques sont graciés. En revanche, le destin de Georges Cadoudal est tranché d’avance. En chef donnant vaillamment l’exemple, il est le premier des douze guillotinés à monter sur l’échafaud le 25 juin 1804.

Cette entreprise à la fois audacieuse et brouillonne aurait pu tuer dans l’œuf l’épopée impériale si elle avait été mieux menée. Bien au contraire, elle contribue à faire de Napoléon un empereur. L’auteur en donne un aperçu vivant et facile à lire. L’exercice de vulgarisation est réussi. Son style clair et enlevé, divertissant grâce à son sens du récit rehaussé d’anecdotes, fait de cette lecture un moment d’agrément tout en synthétisant l’essentiel du sujet. Un compromis idéal pour séduire les adeptes de cette période historique.