Chic, c’est l’été ! Le temps de chemins de traverse en histoire. Le moment d’une halte gastronomique et historique.
Les Clionautes connaissent, pour nombre d’entre eux, Antoine de Baecque. Les cinéphiles ont consulté ses articles dans la revue L’Histoire pour savoir si tel ou tel film pouvait être vu par leurs élèves ou ont approfondi leurs recherches avec ses autres travaux sur le cinéma. Les amoureux des Alpes ont parcouru La traversée des Alpes : essai d’histoire marchée ou ont été intrigués par son Histoire des crétins des Alpes. En 2019, ce touche-à-tout a publié une histoire du restaurant rééditée ce printemps en collection de poche qui donne envie de la déguster.
« Soudain, grâce aux restaurants, Paris mange moderne » (p. 34). En 1766, sous les coups de boutoir de cuisiniers intrépides l’ancien monde chancelle. La cour de justice du Parlement de Paris, l’affirme, la sauce poulette est un nappage et non un ragoût (p.31). Les restaurateurs qui commencent à apparaître dans la ville ont remporté une victoire sur la corporation des traiteurs. Les restaurants deviennent plus nombreux avec la Révolution et le départ de nombre de nobles de la capitale qui poussent les cuisiniers au service de l’aristocratie à travailler pour d’autres couches sociales dans des établissements qu’ils créent. Or, à partir de 1789, les députés et leurs proches prennent l’habitude de manger en dehors de chez eux. Les restaurants se différencient des auberges et autres lieux où il était possible de se restaurer par l’existence de tables individuelles, par un « choix de plats à prix connus et fixés » et un décor plus soigné (p. 33). Le nombre de restaurants augmente donc significativement, à partir de 1789, à Paris.
Parallèlement, un discours sur le bien manger se développe et « une série d’ouvrages de cuisine […] font évoluer le rapport à la nourriture » (p. 45). Discours qui fait la singularité française, perdure encore et surprend nombre de contemporains étrangers. Deux hommes ont donné naissance avec leurs ouvrages au discours gastronomique français. Alexandre Grimod de La Reynière publie ainsi L’Almanach des gourmands (entre 1803 et 1812) et crée un jury dégustateur (en 1802). La Physiologie du goût, paru en 1825 est l’œuvre de Jean Anthelme Brillat-Savarin. Ces deux auteurs issus de l’Ancien régime ont légitimé la gastronomie.
« La Révolution française est une étape décisive dans le développement des restaurants et l’histoire de la cuisine française » (p. 73). Des cuisiniers recherchent de nouveaux débouchés, des membres de la bourgeoisie entendent montrer leur réussite dans un cadre moins ostentatoire que les hôtels particuliers de la noblesse. Un grand nombre de restaurants s’installent au Palais-Royal, « lieu privilégié de la fête, du jeu, du sexe, de l’estomac », devenu « the place to be » dès avant 1789 (p. 126). Par ailleurs, le développement des restaurants et l’essor de la gastronomie s’accompagnent de ce que l’auteur appelle « les métamorphoses du service » : horaires des repas, façon de servir les plats, politesse de table…
Enfin, des grands maîtres s’affirment et donnent naissance à la « grande cuisine » : Antonin Carême et plus tard Auguste Escoffier. Mais pour la plupart, les Parisiens qui vont au restaurant ne fréquentent pas les palaces mais se rendent, après 1840, sur les boulevards où cohabitent des restaurants aux prix et aux clientèles fort variés.
Un livre qui permet de comprendre en quoi les évolutions réglementaires, politiques et sociales ont favorisé la naissance de ce qu’on pourrait appeler l’exception culinaire française, singularité culturelle qui étonne au-delà de nos frontières.