Cet ouvrage collectif rédigé par une équipe de sociologues et d’anthropologues propose à partir de quelques cas : Vanoise, Cévennes, Pyrénées et Mer d’Iroise un tableau de l’évolution des mentalités et des situations de la création de ces espaces protégés et des enjeux actuels. C’est l’occasion de quelques portraits des initiateurs mais aussi une tentative de réponse à la question de l’acceptation ou des populations riveraines.

En avant propos, Jean Marie Petit, directeur des parcs nationaux de France rappelle que les 6 premiers furent créés entre 1963 et 1979 mais le septième seulement en 1989. Pour lui la création en 2007 des parcs d’outre-mer (Guyane et Réunion) marque la fin de la crise d’identité des parcs nationaux. Dès lors il est possible de retracer leur histoire, s’interroger sur leurs missions de la conservation à la notion de biodiversité et sur la place d’une nature “sauvage”, sur les traces culturelles de la présence humaine.

L’introduction de Bernadette Lizet resitue cet ouvrage dans le projet de recherche en écologie et en sciences sociales à la suite de la convention signée en 1994 sur la diversité biologique. La mise en valeur de la nature ordinaire a introduit l’idée d’une cogestion entre spécialistes et populations détentrices de savoirs empiriques sur la nature, le pastoralisme servant de fil rouge à ces recherches.

Les parcs nationaux en perspective historique

Six contributions dans cette première partie pour un voyage dans le temps.

Raphael Larrère rappelle que les premiers essais eurent pour cadre les colonies avant même le premier projet de parc dans la Vanoise.
L’histoire du parc de la Vanoise est intéressante à plus d’un titre. Précurseur, il servit de base à la loi et de modèle aux projets suivants. Il est à la rencontre de deux idées : la conservation naturaliste des espèces et la mémoire des terroirs ruraux en voie d’évolution rapide sans pour autant être un refus de la modernité ce qui se traduisit par la conception de deux espaces : la zone centrale, sanctuaire de protection et la zone périphérique pour l’accueil d’activités économiques. Mais cette histoire fut mouvementée, un contexte conflictuel lié aux choix d’une agriculture productiviste, au développement touristique et au lobby des chasseurs, une situation qui se retrouve aussi bien lors de la création des parcs des Pyrénées, des Ecrins que du Mercantour. Dans les Cévennes, la négociation avec les habitants a permis de conserver des activités humaines en zone centrale. Après ce tour d’horizon, l’auteur présente les objectifs de du travail collectif publié dans cet ouvrage qui vise notamment à constituer des archives pour une mémoire ou plutôt des mémoires, témoignages des pionniers et de ceux qui les ont fréquentés.

Adel Selmi retrace les toutes premières expériences de protection de la nature. Sous l’influence de l’école de Barbizon, dès 1861 une partie de la forêt de Fontainebleau fait l’objet d’une mesure de protection. Cette idée est reprise par le Touring Club de France et le Club Alpin Français (1913 autour de La Bérarde en Oisans) tandis que les sociétés naturalistes sont favorables à des réserves intégrales sur le modèle américain (Camargue 1927). C’est pourtant dans l’empire que l’activité des protecteurs sera la plus visible : Maghreb, Madagascar ou Afrique noire, certains de ces parcs existent encore comme le parc du Niokolo Koba au Sénégal.
Isabelle Mauz s’interroge sur les projets savoyards en Vanoise et dans le massif des aiguilles rouges. Elle dresse le portrait de quatre personnages: de Marcel Couturier, le chasseur intéressé à la protection du bouquetin à Gilbert André, protecteur d’une culture alpine menacée par l’exode rural et les grands chantiers de l’hydroélectricité et du tourisme naissant ; de Gilbert Amigues le forestier à Jean Eyheralde curé et passionné de botanique. Elle met en regard quatre personnes, quatre projets, deux espaces, deux places différentes pour l’homme : protéger contre ou par et pour les habitants ?
Quand Denis Pradelle fut chargé de réaliser l’étude préliminaire du parc de la Vanoise, c’est l’option naturaliste qui est retenue dans le texte législatif, la dimension culturelle et pédagogique en est absente même si elle ne fut pas totalement oubliée par les premiers directeurs ni surtout par Gilbert André et Jean Eyheralde qui n’ont cessé d’oeuvrer dans ce sens.

Il faut suivre Karine-Larissa Basset pour découvrir l’histoire du parc des Cévennes. Dix ans de gestation entre parc forestier et parc “culturel” du monde camisard. Ce sont les projets d’équipement électrique de la vallée du Chassezac qui ont réactivé les volontés de conservation autour d’un personnage emblématique Pierre Richard.

Sophie Bobbé parcourt l’histoire du parc des Pyrénées caractérisée par un conflit entre intérêt local et administration nationale, entre réserve biologique et protection de la tradition culturelle. Les fortes oppositions du monde pastoral mais aussi touristique explique ce parc où la zone centrale est réduite à un mince cordon frontalier.

Après la montagne, l’espace marin et la difficile gestation du parc de la mer d’Iroise auscultée par Véronique Van Tilbeurgh et Muriel Charlier-Kerbiguet ; ce projet récent, 1990, s’inscrit sur un espace très occupé par les usages professionnels : marins, pêcheurs, goémoniers ainsi que par les activités touristiques qui accueille des espèces emblématiques : phoques et dauphins. Pour convaincre le public de son intérêt, le projet a évolué de la protection d’un écosystème remarquable vers un parc pour gérer les risques environnementaux en association avec les professionnels de la mer. Un maître mot pour concrétiser ce parc : Concertation.

Savoirs, manipulations et visions de la nature

Cinq contributions pour cette seconde partie qui mettent en lumière des exemples précis.

Marie Roué se penche sur les savoirs locaux et la cogestion dans le parc des Cévennes. En France, les “savoirs traditionnels”, ici de l’agro-pastoralisme, ont longtemps été ignorés par le monde scientifique par crainte selon l’auteur de revendications territoriales. Les choses évoluent et une réelle co-gestion se met en place car sans élevage traditionnel pas de maintien des paysages patrimoniaux.

C’est ce que montre l’analyse de Julien Blanc avec l’exemple des “agneaux de parcours” objets d’un partenariat entre le parc des Cévennes et un groupe d’éleveurs depuis 1997 sur le Causse Méjean. Les pratiques traditionnelles semblent seules capables de maintenir la diversité biologique, de lutter contre l’embroussaillement en contre partie les accords permettent de valoriser la production de viande, de mettre en place un groupe d’éleveurs fédérés autour d’objectifs communs et de mettre en place une véritable filière.

Avec Richard Dumez on découvre la question des feux pastoraux dans les Cévennes. Longtemps dénoncé par les forestiers, le feu n’est plus considéré comme un mal en soi, il peut même favoriser la biodiversité. Cet article est une étude pointue sur les usages et la gestion du feu et des espaces brûlés.

On retrouve Sophie Bobbé dans les Pyrénées pour une interrogation sur les animaux : objets et acteurs de la gestion environnementale. Ils sont souvent révélateurs des sujets de discorde, des groupes en conflits, des enjeux de concertation. C’est le cas des plantigrades qui est central ici : protection, réintroduction source de conflits mais la question se pose pour d’autres espèces : ongulés ou rapaces. L’auteur aborde également les mesures de gestion pastorale.

Isabelle Mauz pose la question du devenir du Parc de la Vanoise, de la société de la vache au parc animalier. C’est la question de la grande faune qui est centrale et notamment les prédateurs : loups, lynx. Le recul des activités agricoles a favorisé la grande faune et constitue un atout pour attirer un public désireux de l’observer. L’ancienneté des mesures de protection et de gestion a permis le développement d’une éco-zoo-technie. L’auteur s’intéresse aussi aux réactions contrastées des populations : des chasseurs aujourd’hui plutôt satisfaits, malgré les restrictions sur certaines espèces, de voir prospérer le cerf, le chevreuil etc. aux agriculteurs gênés par la trop grande proximité des animaux sauvages et des troupeaux (maladies, concurrence sur les pâtures) et surtout crainte du loup.

Raphael et Catherine Larrère concluent sur le pari français de concilier protection de la nature et développement économique dans un contexte scientifique en évolution et la nécessaire association des populations locales à la gestion : pour un nouveau partenariat entre habitants et scientifiques.

Un glossaire et une riche bibliographie complètent l’ouvrage.

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