Compte rendu par Jacques MUNIGA
L’ouvrage que nous présentent le Centre international de hautes études agronomiques méditerranéennes (Ciheam) et le Plan bleu (le centre d’activités régionales du Plan d’action pour la Méditerranée) est en fait un recueil d’expertises et se veut être un outil d’aide à la décision pour, comme l’annonce son titre, « repenser le développement rural en méditerranée ».
De nombreuses problématiques comme la préservation des ressources naturelles ou l’évaluation du développement agricole et rural ou encore la lutte contre la désertification sont abordées, traitées, analysées sous le prisme du développement durable pour « fournir aux professionnels et aux chercheurs du monde euro-méditerranéen, les clefs de lecture et les indicateurs stratégiques essentiels sur le développement agricole et rural ».
Prenant appui sur les émeutes de la faim qui ont fait la triste actualité de l’année 2008, les experts ouvrent une large page consacrée à l’insécurité alimentaire qui touche indifféremment villes et campagnes. Une insécurité alimentaire qui amène indubitablement à « repenser » le modèle agricole aujourd’hui trop souvent intensif et qui fait dire aux experts qu’il n’y aura pas de développement rural en Méditerranée sans agricultures dynamiques et il ne saurait y avoir de développement agricole sans vitalité des milieux ruraux.
Mais, conscients de la tâche à accomplir, les auteurs soulignent dès la préface que ce recueil d’expertises « lance finalement un chantier dont l’exploration scientifique exigera du temps : la définition de nouveaux modèles de développement agricole et rural pour la Méditerranée. »
Dès lors, et malgré ce premier tour d’horizon qui saura tenir en halène plus d’un professeur d’histoire géographie, nous sommes en droit de nous poser la question de l’apport d’un tel recueil d’expertises, qui a même l’ambition d’être un outil pour les décideurs, à notre jeune public scolarisé dans le secondaire.
En fait, l’enseignant dispose avec cet ouvrage d’une mine de documents cartographiques, statistiques et de textes variés qui pourront être des apports non pas pour une décision immédiate (l’enseignant, l’élève ne sont pas des décideurs) mais pour la compréhension du problème. Et, au-delà, l’enseignant pourra contribuer à l’information citoyenne qui permettra à nos jeunes adolescents d’agir par le biais d’actes citoyens engendrés par des choix éclairés même s’ils sont différés dans le temps à cause de leur jeune âge. Mais les auteurs n’ont-ils pas écrits eux-mêmes que ce chantier exigera du temps ?
Comment a été « construit » ce recueil d’expertises ?
Il suit un axe principal, une idée directrice, bien présentée dans le titre à savoir « repenser le développement rural en méditerranée ». Autour de cet axe, les auteurs ont développés onze problématiques, chacune sur une trentaine de pages environ. Chaque problématique constitue ainsi un petit dossier dans lequel on retrouve un texte concis fruit d’une mutualisation de plusieurs auteurs, de nombreux documents (cartographiques, statistiques…) et une bibliographie sinon exhaustive du moins très fouillée sur la question. Un des intérêts de ces dossiers consiste par ailleurs dans la variété des exemples présentés pour asseoir la démonstration.
Ainsi conçu, il est évident que l’enseignant pourra soit exploiter un dossier de manière très approfondi, soit prendre un pays et se servir des problématiques pour donner du relief à son cours sous forme d’étude de cas, soit, tout simplement, glaner ci et là des documents pour appuyer la démonstration de sa propre leçon.
Quel que soit l’usage, ce recueil est tellement riche et surtout tellement proche de notre enseignement de géographie dans le secondaire que chacun pourra y puiser sans jamais l’épuiser comme en témoignent ses onze problématiques que nous allons découvrir.
Dans une brève introduction les auteurs dressent une toile de fond qui présente un monde méditerranéen avec des « agriculteurs sous pression » car ici, l’eau est rare et les terres agricoles insuffisantes. C’est pourquoi ils placent le développement agricole et rural au rang de priorité politique. Une politique qui doit néanmoins s’inscrire dans le cadre d’un développement durable tant pour les agricultures que pour les mondes ruraux.
Voilà, la route est tracée, les barrières sont placées pour la délimiter.
Avec le premier chapitre, les auteurs insistent sur la nécessaire préservation des ressources naturelles. Ils nous rappellent les savoir-faire parfois millénaires pour répondre à l’accroissement de la demande en eau due à l’accroissement de la population. Ils nous présentent ainsi l’irrigation en Tunisie, en Italie.. En précisant toutefois que l’irrigation devrait être raisonnable et ne pas céder aux « profits » exemples à l’appui. Mais, dans tous les cas, ils constatent tout autour du bassin méditerranéen une « lente et progressive désertification » à cause de « terres malmenées et perdues ». A grands renfort d’exemples, les auteurs cherchent un « coupable », ils en trouveront plusieurs car « les difficultés à maintenir, en quantité et en qualité, ou à renouveler les ressources en sol et en eau, au rythme de la croissance des populations affectent les deux rives de la Méditerranée malgré les panoplies de mesures ». C’est donc dans la participation des populations et le renforcement de la formation et de la recherche-développement qu’ils nous invitent à trouver la solution.
Un des problèmes fondamentaux reste néanmoins la révision des stratégies hydrauliques qui est développée dans le deuxième chapitre. Le premier constat est sévère : « l’évolution de la demande en eau agricole est incompatible avec celle des ressources disponibles ». Certes, nous écrivent-ils, l’irrigation dans ce bassin méditerranéen a été pendant longtemps « la » solution à l’augmentation des productions agricoles. Mais aujourd’hui, le volume d’irrigation exerce de fortes pressions sur les ressources en eau et même sur les écosystèmes. Il faudrait donc « mieux gérer la demande en eau agricole » et surtout « économiser un quart de la demande en eau d’irrigation ». Mais surtout, les auteurs amènent un éclairage nouveau pour l’orientation des politiques agricoles, celui de l’eau virtuelle. L’eau virtuelle est celle contenue dans les produits agricoles. Ainsi, en analysant la balance des échanges des produits les auteurs ont pu observer que « l’eau virtuelle assure à elle seule l’essentiel de la demande alimentaire à Malte, en Libye, en Israël, à Chypre et au Liban ».
Outre ce déficit millénaire en eau tout autour de la Méditerranée à cause de son climat, les récentes sécheresses récurrentes et intenses appellent à une adaptation des agricultures face au changement climatique, ce qui constitue le troisième chapitre. Cette partie très technique dresse tout d’abord un constat. Les sols deviennent de plus en plus médiocres nous disent les auteurs avant de présenter à travers des exemples l’intervention de l’Etat et l’approche participative comme solution possible. Puis, suivent des analyses très pointues sur les « tendances climatiques et projections futures » et les « impacts multiples du changement climatiques » avant de proposer « des stratégies d’adaptation » qui font ressortir une « nécessaire coopération régionale ».
Ces changements climatiques ayant aussi entraîné une désertification, le quatrième chapitre s’interroge, presque naturellement, sur la manière de « lutter contre la désertification ». La désertification, nous disent les auteurs, est liée à « l’action anthropique et à la variabilité climatique mais aussi aux modifications de la biodiversité ».C’est pourquoi les Etats et les Institutions ont mis en place une véritable surveillance de la désertification et de l’environnement qui ont pu déboucher sur des « techniques de lutte contre la désertification »
Mais, une des réponses à tous ces maux reste « la promotion du développement des territoires ruraux » qui fait l’objet du cinquième chapitre. Après un état des lieux exhaustif des « politiques de développement rural et des approches territoriales en Méditerranée », les auteurs s’interrogent sur ces politiques et ces approches territoriales.
Le concept même de développement rural et développement territorial abordé dans le chapitre ci-dessus amène les auteurs à nous présenter dans un sixième chapitre, comment « vivre en milieu rural ». Après nous avoir présenté les « réalités plurielles » du milieu rural, les auteurs posent la question de la place de l’agriculture en milieu rural. Si la « perte de l’importance économique de l’agriculture » est réelle la « diversification des activités est fortement mise en avant comme facteur de dynamisme et de renouveau » constatent les auteurs mais, le milieu rural reste toujours marqué par la pauvreté et la « prédominance des petites exploitations et du travail familial ».
Avec le septième chapitre, les auteurs lèvent le voile sur les outils. Ainsi, « sauvegarder les espaces collectifs et de parcours » pourrait être un début de solution. Après un long rappel historique de cette pratique ces derniers signalent que « la mauvaise utilisation des terres collectives est unanimement dénoncée » c’est pourquoi la « gestion pastorale est en accusation ». Malgré cela, ils constatent toutefois de « profondes mutations des systèmes de production » qui amènent de « nouveaux modes de conduite des troupeaux » dans le cadre de « stratégies anti risques ».
Dans tous les cas, les solutions envisagées ou envisageables doivent passer, selon les auteurs, par une « amélioration de la gouvernance rurale » présentée dans le huitième chapitre. Une gouvernance qui résulte de politiques engagées à plusieurs niveaux de compétences et qui aboutie, selon les auteurs, à une « surterritorialisation et surchauffe institutionnelle » au Nord tandis qu’au Sud on passe « des territoires vécus aux illusions de la participation » comme l’illustre le plan de développement de douar au Nord-Ouest de la Tunisie.
Cependant, « diversifier l’activité rurale » reste une grande priorité pour les auteurs. C’est ce que propose de traiter le neuvième chapitre. La Méditerranée du Nord et celle du Sud ne partent pas sur un pied d’égalité dans le cadre d’une diversification devenue inéluctable, constatent les auteurs. D’ailleurs, un « tissu socio-économique et institutionnel favorable » permet, au Nord, la diversification des exploitations et des économies rurales. En revanche, au Sud et à l’Est, même animées d’un esprit dynamique et vital, plusieurs communautés rurales vivent dans des territoires isolés les rendant peu visibles et leurs territoires peu attractifs.
Enfin, dans une partie très technique, les auteurs nous livrent comment « mesurer le développement agricole et rural » dans le dixième chapitre. Intéressante mais probablement beaucoup trop pointue pour nos élèves du secondaire, on pourra cependant y puiser une cartographie et des graphiques qui, là comme ailleurs, sont abondants et de qualité.
Et pour finir, les auteurs, dans un onzième chapitre, abordent l’évaluation de la prise en compte de la Stratégie Méditerranéenne de Développement Durable (SMDD). En effet, le Plan Bleu avait été chargé par les parties contractantes à la convention de Barcelone d’effectuer un suivi de cette stratégie.
En conclusion, on pourra dire que cet ouvrage, s’il ne peut pas être mis entre toutes les mains de nos élèves du secondaire pour une lecture linéaire, sera cependant indispensable à l’enseignant soucieux d’introduire le développement durable dans sa progression. L’élève, quant à lui, pourra sous la conduite de son professeur s’attacher à découvrir dans le détail une ou deux problématiques au cours d’une année scolaire.
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