Mais qu’est-ce qui peut bien relier la médecine légale, un arbitre de football, les parapluies de Cherbourg et les chantiers de jeunesse sous Vichy ? Le point commun, c’est ce numéro de Soif !, une nouvelle revue originale qui marie bande dessinée et recherche. Un des objectifs est donc de parler de toutes les sciences sociales comme en témoigne le sommaire éclectique de ce numéro. 

Soif, qu’est-ce que c’est ? 

Comme le dit le texte de présentation de la revue, les éditions Petit à Petit ont « toujours eu à cœur de rendre accessibles les savoirs au plus grand nombre en imaginant un genre nouveau : le Docu-BD. Après la découverte ludique d’un sujet en bande dessinée, le lecteur peut étoffer ses connaissances grâce aux pages documentaires venant compléter et enrichir l’ensemble. Avec un style journalistique et rythmé, une mise en page sobre, claire et aérée, la lecture est facilitée pour permettre au cerveau d’emmagasiner les informations facilement et durablement. » 

Découvrir un peu plus la revue

Une accroche en haut à gauche, au début du reportage, met en exergue le thème, au-delà de l’exemple développé. Ainsi « Une étonnante méthode de rééducation » annonce l’article sur « La rééducation de la posture à partir d’une cheval mécanique ». La partie bande dessinée est agrémentée de petites bulles de commentaires. Pour plus de lisibilité, et pour éviter de multiplier les paragraphes, j’ai choisi de proposer un regroupement par discipline. C’est un peu arbitraire car une des grandes originalités de la revue est d’offrir une approche ouverte autour des sciences humaines. La couverture signale d’ailleurs qu’elle contient «  13 Docu-BD : sociologie, psychologie, ethnologie, sport, histoire… »

Un dossier central sur les fake news

Le premier article est proposé par Justine Simon qui s’intéresse à la sensibilisation aux formes d’infox par l’image. La bande dessinée qui accompagne cette entrée montre de façon concrète comment une image transformée peut devenir une fake news. La double page qui suit offre d’autres exemples mais aussi indique quelques remèdes possibles. Maryvonne Holzem souligne quant à elle que dans le régime de post-vérité, ce qui compte c’est l ‘émotion et les croyances plutôt que les faits. Le cas Donald Trump illustre parfaitement cela comme le montre la bande dessinée qui suit.  

La revue offre ensuite des rencontres et discussions avec Eric Delamotte et Nicolas Vanderbiest autour de l’essor du faux dans l’espace numérique. C’est aux usagers aujourd’hui d’évaluer et de valider les ressources trouvées. Le dossier se conclut avec un entretien avec Gérald Bronner qui insiste sur les mécanismes dans la propagation des fausses informations ou encore sur la nécessaire éducation à l’esprit critique. 

Un peu de ciné et un peu de lecture

Le premier reportage « Les parapluies de Cherbourg, l’envers du décor »  permet de comprendre le métier de décorateur au cinéma à travers l’exemple de Bernard Evein qui a travaillé avec Jacques Demy. Ce décorateur a fait l’objet d’une thèse de la part de Léa Chevalier. Elle souligne l’importance de la couleur dans les films de Jacques Demy et combien elles reflétaient les sentiments des personnages. Vous apprendrez sans doute que la fabrication des papiers peints dans le film a représenté 13 % du budget réservé à la décoration ce qui est très inhabituel. De leur côté, François Gaudin, Anne Fouqué et Benoit Vieillard racontent l’étonnante histoire  de Larive et Fleury. Ces derniers ont rédigé des grammaires scolaires sous la IIIe République qui connurent un grand succès. Ils furent également les auteurs de dictionnaires et s’enrichirent au point de se payer une sacrée demeure. Signalons aussi qu’il ne s’agit pas de leur vrai nom puisqu’ils écrivirent sous pseudonyme, histoire de garder leur tranquillité. Cet article aurait pu être classé dans l’entrée histoire.

Du côté de l’histoire

Christophe Pécout, Anne Fouqué et David Soyeur abordent l’exemple des chantiers de jeunesse sous le régime vichyste. Si on veut changer d’époque, on lira l’entrée autour des Kalinago, une population des Caraïbes au XVII ème siècle. Deux entretiens terminent le numéro avec Marie Favereau qui a participé à la bande dessinée «  Gengis Khan » et une de Florian Mazel, co-auteur d’un des volumes de la remarquable «  Histoire dessinée de la France ». Entre l’histoire et la sociologie, on peut lire l’article autour des travaux d’Ellie Mevel. Docteure en sociologie, elle s’intéresse aux Palestiniens en exil ce qui implique une mise au point historique. Ensuite, elle explique qu’ils se trouvent dans une situation étrange, comme une double injonction. En effet, les Palestiniens en exil doivent s’engager vis-à-vis de leur pays d’origine et, en même temps, doivent réussir socialement dans leur pays d’accueil. La double-page finale évoque la méthode de recherche d’Ellie Mevel. Elle a mené pendant six ans des entretiens auprès de quarante Palestiniens installés en France. 

Du côté de la sociologie 

Dans « Le mental des arbitres  de football »,  Benoît Louvet, ancien arbitre de football, s’intéresse aujourd’hui à la compréhension de la relation émotion-arbitrage dans le football. On suit un arbitre entre le moment où il part de chez lui, laissant sa famille, et le moment où il revient après le match. On est avec lui lors de plusieurs phases du match et on s’aperçoit de l’importance de cette question de la gestion des émotions lors des rencontres. Au passage, on apprend l’origine du carton jaune et du carton rouge. En prolongement, il y a plusieurs entrées dont une sur l’arbitrage vidéo ou encore un rappel du tour de passe-passe que Maradona avait joué à un arbitre lors de la coupe du monde 1986. Alice Sohier s’intéresse elle à cette pratique culturelle qu’est la fréquentation d’un festival rock. Elle met en avant cinq points clés : les festivaliers cherchent à partager des moments avec leurs proches, ils se rendent en priorité dans le festival de la région ou encore il s’agit de faire des rencontres. Les festivaliers sont attachés à l’idée de communion sociale et ce rendez-vous est vu comme un monde à part. Soif ! se penche également sur les hommes qui travaillent en crèche. La situation surprend encore aujourd’hui. Dans la bande dessinée, on voit qu’un homme qui exerce cet emploi est forcément vu comme bricoleur, incarnant l’autorité y compris par ses collègues féminines. 

Un peu de médecine 

A travers l’histoire d’un cascadeur devenu hémiplégique et des travaux d’Héloïse Ballet, le Docu-BD aborde la question de l’équithérapie. Le cheval mécanique permet en effet de faire pratiquer des exercices dans des conditions sécurisées avec pour objectif de travailler la posture et d’améliorer la position des patients. Un autre reportage se penche sur la médecine légale. Depuis quelques années, les séries télévisées ont mis sur le devant de la scène cette profession mais qu’en est-il de leur quotidien ? C’est ce que l’on apprend dans ce reportage. Il faut déjà mesurer que dix ans d’étude sont nécessaires pour exercer ce métier. On découvre à travers un exemple concret le rôle essentiel que peut jouer un légiste, en lien avec les enquêteurs. 

Au moment où on referme la revue, on ne peut que souligner l’ambition de mettre à disposition de tous, et de façon accessible, des travaux de recherche récents ou en cours. On se surprend à lire des sujets qui ne nous auraient pas forcément intéressés a priori, ce qui est un sacré gage de réussite. Le numéro 3 et le numéro 4 sont sortis depuis. A suivre et à se procurer ! 

Jean-Pierre Costille