Les origines du chocolat sont fabuleuses. Boisson des dieux chez les Mayas et les Aztèques, le chocolat a tôt fait de conquérir la faveur des hommes. Rapporté en Europe par les conquistadors et les missionnaires espagnols, il demeure entouré d’un halo de mystère et ses vertus réelles ou supposées suscitent une longue polémique.

Le monopole établit par l’Espagne sur le commerce du cacao éveille les convoitises. Hollandais, Anglais, Français et Portugais tentent d’en implanter la culture dans leurs possessions du Nouveau Monde, tout en favorisant un fructueux trafic clandestin. Avec le XIXe siècle, l’usage du chocolat se développe. Il devient une friandise dépourvue de toute équivoque, consommée par petits et grands, tandis que la culture du cacaoyer traverse l’Atlantique pour gagner l’Afrique, puis l’Asie du Sud et l’Océanie. La généralisation de sa consommation, tirée par une nombre réduit de grandes entreprises chocolatières, n’a pourtant en rien altéré l’énigmatique pouvoir de séduction de cette friandise essentielle à l’imaginaire gourmand de nos sociétés.

Nikita Harwich est historien et économiste franco-vénézuélien. Professeur d’histoire et civilisation de l’Amérique latine contemporaine à l’université de Paris-Nanterre, il est l’auteur de nombreux ouvrages et travaux consacrés à l’économie et aux mouvements révolutionnaires d’Amérique du Sud. Il est également, depuis 2022, membre correspondant de l’Académie nationale d’histoire du Venezuela.

Un produit mystérieux très convoité dès l’origine de sa découverte

Médicament ? Drogue aphrodisiaque, voire poison violent, le chocolat a suscité bien des controverses. Ce produit suscite tout d’abord la méfiance et ne s’impose que lentement. Hors de l’Espagne où son usage s’est popularisé, la boisson des dieux restait une denrée très rare de luxe et par conséquent réservée à une élite. Suscitant bien des convoitises, les puissances coloniales européennes tentent d’en implanter dans leurs colonies du Nouveau-Monde. D’Amérique centrale, la production des précieuses fèves de l’arbre aux cabosses se concentre à partir du XVIIe siècle en Amérique du Sud, berceau naturel du cacaoyer. Le Venezuela et l’Equateur voient augmenter leurs exportations. Le cacao assure la prospérité de la province de Caracas, et Guayaquil devient l’un des grands ports de la côte américaine du Pacifique. Au XIXe siècle, le chocolat devient une friandise bonne pour la santé. Puis il traverse l’Atlantique pour s’établir sur les côtes équatoriales de l’Afrique puis fait tâche d’huile en Asie du Sud et en Océanie. Ce n’est qu’au XXe siècle qu’il devient un produit de consommation de masse produit par un nombre réduit de manufactures.

Avancées archéologiques

L’histoire du chocolat est celle d’une industrie aux caractères bien particuliers. Pionnières d’un capitalisme social mâtiné de paternalisme, les grandes maisons du chocolat ont réussi à créer une véritable culture à partir de leurs produits. Les recherches archéologiques menées au cours de ces vingt dernières années tendent à prouver que ce furent les Olmèques, les fondateurs de la première grande civilisation du Nouveau Monde, qui transformèrent les fèves plates et amères en boisson de chocolat. Une technique adoptée quelques siècles plus tard par les Mayas. De récentes découvertes archéologiques démontrent que la transformation de la fève de cacao en une boisson cacaotée eut également lieu en Amérique du Sud, quelques 1500 ans avant la manifestation du même phénomène en Méso-Amérique. Il reste à déterminer si cette transformation a également accompagné une culture systématique de l’arbre aux cabosses. De nouvelles sources d’archives ont également permis une meilleure perception des voies de transmission du chocolat à travers l’Europe des XVIe et XVIIe siècles et une connaissance plus approfondie des débuts de son industrialisation au cours du XIXe siècle.

Recherche agronomique

La recherche agronomique a confirmé également le caractère de front pionnier, associé à la culture du cacaoyer depuis ses origines, ce qui explique pourquoi plus de 80 % de la production mondiale de cacao provient aujourd’hui de petites exploitations familiales de moins de 5 hectares. Ces fronts pionniers se sont constitués au détriment de l’espace-forêt, ce qui présente une menace non-négligeable sur le plan écologique. Cette menace est d’autant plus réelle que, malgré un tassement relatif dans les principaux pays consommateurs, la production annuelle de cacao a augmenté de près de 50 % en vingt ans pour se situer aujourd’hui aux alentours de 499 000 tonnes.

Nouveaux territoires – nouvelles tendances

Cette culture s’est aujourd’hui étendue sur de nouveaux territoires comme le Vietnam, tandis que la fièvre du cacao s’est emparée de l’Afrique orientale, la Papouasie-Nouvelle-Guinée, la Bolivie, le Brésil en conquérant de nombreux adeptes et hectares. Cette expansion s’expliquer par trois facteurs :

  • Le soucie prioritaire de veiller à la culture d’un cacao fin en  l’évolution des cacaoyers ;
  • Le souci d’un meilleur contrôle d’opérations comme la fermentation ou le séchage ;
  • Enfin, le souci de faire du cacao un facteur de développement durable et promoteur d’un commerce équitable.

Ces intentions font désormais parties d’accords internationaux qui reflètent une volonté partagée par les pays producteurs que des consommateurs et des entreprises qui le transforment.

Bien que la majeure partie du cacao provienne toujours d’un nombre réduite de pays, sept d’entre eux représentent près de 90 % de l’offre mondiale, la tendance qui a marqué les vint dernières années est celle d’un retour actif du monde américain dans les circuits de production, plaçant le monde asiatique en seconde place.

Enfin, cette filière du cacao-chocolat a également vu se confirmer le phénomène de concentration industrielle déjà perceptible depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, puis accélérée depuis par le phénomène de mondialisation des économies. Cinq multinationales produisent aujourd’hui environ la moitié de tout le chocolat consommé dans le monde. Pourtant, au cours de ces vingt dernières années, toute une gamme de petites et moyennes entreprises et un certain nombre d’artisans maintiennent vivante la pratique d’un véritable art de la chocolaterie à l’échelle mondiale.

Ouvrage passionnant qui s’insère dans une collection des éditions Desjonquères consacrée aux outre-mer. A découvrir.

Pour les Clionautes

Bertrand Lamon