À l’heure où le paléontologue suédois Svante Pääbo reçoit le prix Nobel de médecine pour ces travaux sur le génome de l’homme de Néandertal, Johannes Krause et Thomas Trappe proposent un long voyage migratoire grâce à l’ADN. Ils étudient également les épidémies du passé, notamment le voyage de la peste depuis la préhistoire.

Johannes Krause est archéogénéticien à l’institut Max-Planck, où il a travaillé avec Svante Pääbo sur l’homme de Néandertal. Thomas Trappe est journaliste scientifique. L’un et l’autre ne manquent pas d’humour comme le montre le choix des titres de chapitre, ce qui rend la lecture très agréable.

Tomber sur un Os

Tout commence avec un petit os de la main, trouvé dans la région de Novossibirsk, qui s’avère être celui d’une fillette. Le séquençage du génome, rappelé dans ses grandes lignes, a permis d’en savoir plus sur nos lointains ancêtres. Dans le cas de ce fragment, la science a permis de démontrer qu’il appartenait à un nouvel élément de l’arbre généalogique des hommes : l’homme de Denissova du nom d’une grotte de l’Altaï. L’analyse de l’ADN mitochondrial montre que les humains actuels ont un ancêtre commun il y a 160 000 ans.

Les auteurs relate les différentes étapes de l’analyse et les hypothèses sur la parenté avec Néandertal. Après la préhistoire l’archéogénétique s’intéressera à l’époque antique pour mieux connaître les Européens. Le décryptage de l’ADN apporte de nouvelles connaissances sur les flux de populations, mais dès le VIe siècle la trace des migrations se perd dans l’ensemble génétique d’une population déjà nombreuse. Le nouveau champ de recherches porte sur les pathogènes anciens. Des migrations anciennes ont apporté des maladies infectieuses d’autant plus dévastatrices qu’elles touchaient des populations qui n’avaient jamais été en contact avec le pathogène.

L’immigrant obstiné

Le chapitre ouvre sur une carte des mouvements de population entre -50 000 et –20 000 ans. Alors qu’on a longtemps cru impossible le métissage entre les diverses familles d’hominidés, l’ADN a démontré que les Européens, les Asiatiques portent, dans leur patrimoine génétique, 2 à 2,5 % de Néandertal, mais pas les Africains.

Les Néandertaliens vivaient à une période de vagues glaciaires, peu nombreux, migrants mais isolés de l’Afrique. On peut penser qu’existait une certaine consanguinité et que le contact avec les « hommes modernes » était une chance génétique. Mais quel a été ce contact ? Violent ou pas ? Ont-ils pu communiquer ? Les scientifiques ne sont pas tous du même avis sur le fait que Néandertal ait eu une forme de langage rudimentaire.

Les auteurs évoquent les premières tentatives de l’ « homme moderne » de migrer vers l’Europe1 , avant la grande migration il y a environ 40 000 ans. Ils rappellent les caractéristiques principales des Aurignaciens et notamment les « Venus »2.

Dans le même temps, l’éruption volcanique des Champs Phlégéens et la dernière glaciation permettent, peut-être, d’expliquer la disparition de Néandertal et de quelques espèces : mammouth, ours des cavernes… Le squelette d’un « homme moderne » de cette période a été retrouvé à Markina-Gora. Les auteurs évoquent une nouvelle migration, venue de l’est, celle des Gravétiens. Ces derniers semblent avoir succombé à la dernière glaciation alors que les Aurignaciens ont pu trouver refuge dans la péninsule ibérique, puis il y a 18 000 ans regagner le centre de l’Europe. Les auteurs montrent plusieurs métissages entre groupes après la dernière glaciation.

L’avenir, c’est les immigrés

Ce chapitre est consacré aux migrations des premiers agriculteurs3. Le réchauffement du climat a offert de nouvelles opportunités. C’est le début du néolithique et de la croissance de la population. Les chasseurs-cueilleurs vivaient en pleine nature ; la tombe de Bad Dürrenberg atteste d’une représentation religieuse au Mésolithique. Partis du croissant fertile, ce sont les Anatoliens de Göbekli Tepe, hommes à la peau claire qui apportent l’agriculture en Europe. Les auteurs expliquent l’évolution de la couleur de peau entre adaptation au rayonnement solaire et rôle du lait qui permet aux peaux claires de stoker la vitamine D. La couleur de peau de nos ancêtres préhistoriques est ainsi liée à leur régime alimentaire. Pour la couleur des yeux, les évolutions génétiques sont liées à des mutations plus ou moins favorables selon l’ensoleillement.

La route des Balkans a été de tout temps la route privilégiée de pénétration de la culture néolithique. La céramique, souvent retrouvée, est un bon marqueur de la révolution néolithique. La cohabitation chasseurs-cueilleurs/agriculteurs a duré 2 000 ans.

Sociétés parallèles

L’arrivée des Anatoliens a conduit, pour partie, les chasseurs-cueilleurs à se réfugier dans des régions peu adaptées à l’agriculture, les montagnes. Le site de Blätterhöhle, parce qu’il accueille des sépultures des deux communautés, est très intéressant. L’étude de l’ADN a montré que chaque communauté avait son propre régime alimentaire, que des métissages correspondent à des unions entre agriculteurs et cueilleuses uniquement.
Comment expliquer le lent succès de l’agriculture ?
Stress d’une nouvelle récolte, longue journée de travail (contre 3 à 4 h pour les chasseurs), mais aussi un plus grand nombre d’enfants et un niveau de vie plus élevé ; il semble bien que la néolithisation et la sédentarisation se soient accompagnées des premiers conflits, véritables massacres de tout un groupe comme pour la grotte de Talheim.
Les auteurs décrivent une civilisation originale en Scandinavie : la culture des vases à entonnoir, une société prospère qui utilise l’attelage des bovins pour extraire les souches lors du défrichement et qui a conduit à des déplacements vers le Sud, repérable dans l’ADN.

L’heure des jeunes hommes célibataires

D’Ötsi aux débuts de l’âge du bonze, il y a environ 5 000 ans, une nouvelle migration marque l’ADN des Européens. L’ADN a montré des traits communs entre les Européens et les amérindiens, ce qui semblait être en contradiction avec la connaissance de l’arrivée sur le continent américain par le détroit de Béring. Le génome du « garçon de Mal’ta » donne la réponse à cette énigme : une même origine migratoire vers le lac Baïkal pour des hommes qui, il y a 15 000, ont migré vers l’Est puis d’autres vers 4 800 ans vers l’Europe. Cette migration, la culture Yamna a peut-être apporté la peste4. Ces gens sont des pasteurs nomades, dont les lointains descendants sont très présents outre-Manche. Leur succès est mis en relation avec l’usage du cheval et de l’arc court qui leur donnaient un avantage dans les combats avec les agriculteurs. Cela correspond à la culture de la céramique cordée. Autre remarque, cette migration fut essentiellement masculine comme le montre l’analyse de l’ADN mitochondrial. Cette migration a eu pour conséquence un développement de l’élevage, de la consommation de lait et l’évolution génétique de la tolérance au lactose chez l’adulte.

Les Européens se trouvent une langue

Que sait-on du langage grâce à la génétique ?
L’arrivée des voyageurs de la steppe, dont il était question au chapitre précédent, s’est accompagnée de l’arrivée d’une langue5. Les plus anciennes traces écrites d’une langue indo-européenne se trouvent chez les Hittites et les Mycéniens (linéaire B). Les Minoens (linéaire A non déchiffré à ce jour) semblent avoir utilisé une langue non indo-européenne. Si les anciens Grecs continentaux possédaient des gènes issus des peuples de la steppe, ce n’était pas le cas des Minoens. L’hypothèse d’une extinction du linéaire A après l’éruption de Santorin existe.
Quelques langues encore parlées de nos jours ne sont pas indo-européennes : basque, finnois…
Les auteurs consacrent un paragraphe au paléo-sarde qui comme le basque, le minoen et l’étrusque seraient des langues arrivée d’Anatolie avec les premiers agriculteurs vers 8 000. L’arbre linguistique, mis au point à l’institut d’Iéna par l’équipe de Russell Gray est rendue caduque par la génétique.

Structures patriarcales

Une nouvelle période commence, il y a 4 200 ans en Europe centrale : l’âge du bronze lié à l’extraction du cuivre puis de l’étain. C’est une étape importante, le développement des civilisations autour de la Méditerranée qui met les hommes en relation avec les contrées plus au Nord où se trouve l’étain. Des échanges métal/savoir-faire se sont développés sans nouvelle migration. C’est le début de la propriété, la hiérarchie sociale et le patriarcat visible dans les traces génétiques. Les études, à propos de la culture Unetice (disque de Nebra), grâce à l’émail dentaire des sépultures de Lech révèlent que les hommes ne quittaient pas leur région de naissance contrairement aux femmes. Elles montrent aussi une différence de statut social.
L’âge du bronze ouvre une nouvelle ère : spécialisation des métiers liés à cette technologie, intensité des échanges, inégalités de richesse et concurrence entre individus. C’est le début d’une production en série, d’armes plus efficaces et le développement de structures militaires du pouvoir. Le IIIe millénaire est donc, à la fois, le temps du progrès technique et des conflits guerriers6.
En Europe, des études renseignent sur les mobilité par exemple des Anglo-saxons vers les Îles britanniques. Les études sur la période de l’Antiquité tardive restent à faire.

Ils apportent la peste

L’étude des gènes de la peste7 apporte aux historiens de nouvelles perspectives. L’explication des mécanismes de contamination montre pourquoi ces épidémies ont eu de telles conséquences démographiques : des dizaines de milliers de morts pour la peste justinienne et encore plus pour la peste noire.
C’est un programme du Pentagone pour se protéger d’attaques biologiques qui a permis de financer les recherches. Elles ont révélé le plus vieux bacille de la steppe pontique d’environ 5 000 ans, mais aussi les voies de diffusion des épidémies8. Diverses hypothèses existent quant à l’animal vecteur : puce, rat, cheval. D’autres facteurs existent pour en expliquer la virulence : une instabilité du bacille et l’augmentation de la population et des menaces qui pèsent sur elle9, le développement des échanges. En réponse, la peste a entraîné une fermeture des ports et des frontières, la montée de la méfiance envers les étrangers. Au Moyen Age, on connaissait la contagiosité comme le montre le siège de Caffa en 1346. L’évaluation de l’ampleur de l’épidémie reste difficile à établir, sans doute au moins un tiers de la population européenne. Avec la peste bubonique, un malade sur deux en réchappe et est donc immunisé. Malgré tout la peste noire reste présente en Europe avec plusieurs vagues importantes, notamment à Marseille, 1720-1722, sans variation de souche comme le confirment les analyses ADN. C’est cette même souche qui touche la Chine au XIXe siècle et qui permet au médecin Alexandre Yersin d’isoler la bactérie. La peste persiste, de nos jours, en Asie centrale et en Amérique.

Nouveau monde, nouvelles épidémies

Les auteurs passent en revue les différents fléaux sanitaires, leur origine, leurs déplacements d’un continent à l’autre avec le cortège de leurs effets : la lèpre connue de l’Égypte ancienne et toujours présente en Inde de façon résiduelle, la tuberculose. Ils retracent les diverses hypothèses depuis une source initiale en Afrique, l’arrivée au Pérou avant Colomb, peut-être d’Afrique en Amérique via les phoques, le passage de l’homme aux bovins. C’est cependant la colonisation des XVIe et XVIIe siècles qui a décimé les Amérindiens. La syphilis a, elle, traverser l’Atlantique d’Ouest et Est. La génétique montre des traces semblables entre cette maladie et le pian10 ce qui ouvre de nouvelles hypothèses sur l’origine et les migrations de la syphilis qui comme le pian se retrouve chez les singes africains. La danger bactérien persiste malgré les antibiotiques.
L’archéogénétique peut aider, dans la mesure où elle permet d’expliquer comment les pathogènes ont évolué, à trouver des parades.

La fin d’un monde en noir et blanc

La conclusion s’ouvre sur une carte du solde migratoire en 2012. Les auteurs veulent mettre à distance la peur actuelle du migrant qui, comme autrefois, repose sur la crainte de la violence, des épidémies et d’une atteinte à la culture.
L’archéogénétique a confirmé que les grandes migrations, depuis la préhistoire, ont été des phénomènes lents et positifs. Les Européens sont le produit de ces migrations.
De la même façon, l’idée d’un âge d’or primitif est rejetée : « les gens de cette époque [chasseurs-cueilleurs], pour se nourrir de viande, ne se contentaient pas de prélever les filets : ils mangeaient tout ce qu’ils avaient sous la main, escargots, insectes ou autres bestioles[…] en conclure que tout ce qui est arrivé en Europe à partir du néolithique aurait les hommes du mode de vie qui leur était destiné, voilà qui s’apparente à une erreur d’appréciation quasi-religieuse.»11.
Les auteurs concluent sur les apports possibles et positifs de la génétique, loin de tout eugénisme, de toute conception de race, ils refusent l’idée d’une Afrique uniformément noire, en génétique, c’est faux.

————

1  Carte p. 42-43

2  Sur ce sujet voir Femmes d’hier – Images, mythes et réalités du féminin néolithique, Jean Guilaine, Odile Jacob, 2022

3  Carte p. 66-67

4  Sur ce sujet voir le chapitre « Ils apportent la peste » p. 167 et suiv.

5  Carte de la diffusion des langues indo-européennes p. 132-133

6  Représentation de la guerre sur un bas-relief du temple funéraire de Ramsès III

7   A partir de l’étude des dents des morts de la peste médiévale en Angleterre

8  Carte p. 168-169

9  Tremblement de terre de 542 à Constantinople pour la peste justinienne

10   Le pian fait partie d’un groupe d’infections bactériennes chroniques que l’on désigne couramment par le terme « tréponématoses endémiques ». La maladie est présente principalement dans les communautés défavorisées des régions forestières tropicales chaudes et humides d’Afrique, d’Asie, d’Amérique latine et du Pacifique.

11 Citation p. 230