Le Premier Empire est une période riche en parutions chaque année. L’Empereur, ses faits d’armes, ses maréchaux et autres dignitaires font l’objet de nombreux ouvrages. Mais rares sont ceux qui ont une approche globale de la période qui vit Bonaparte puis Napoléon 1er gouverner. C’est à cet exercice de synthèse que s’est attaché Jean-Philippe Rey.
Ce spécialiste lyonnais du Premier Empire nous fait un récit de ces seize ans qui changèrent la face de la France et de l’Europe. Il s’attache à nous présenter comment cela a contribué à la naissance de la France moderne et en quoi le projet napoléonien a été mis au service de cette ambition. Un récit chronologique en quatre grands moments qui nous permet de mieux comprendre les mécanismes de cette période.

La dictature de salut Public (1799-1802)
C’est une période courte mais dense. L’auteur nous plonge au cœur du coup d’Etat de Brumaire avec un récit précis qui permet de faire la part de l’histoire et celle de la légende. Mais prendre le pouvoir ne suffit pas, encore faut-il le garder. Pour cela un système dictatorial se met rapidement en place au profit du Premier Consul. Tandis que les réformes créent les rouages de l’administration de la France contemporaine.
Face au péril extérieur, le Premier Consul confie à Moreau le sort de l’Armée du Rhin et se charge de celle d’Italie à la tête de laquelle il remporte la très difficile victoire de Marengo. Mais une victoire dont l’exploitation politique fut brillante. Elle permit au premier Consul de continuer sa politique de réconciliation dont le Concordat est l’aspect le plus visible. Tandis qu’à l’étranger l’Autriche, puis l’Angleterre signent la paix. Une période faste pour la popularité du régime.Le choix de l’Empire (1802-1806)
Expliquer comment la transformation du régime fût décidée et s’effectua est l’objet de la deuxième partie de l’ouvrage. Un empire qui est institutionnel, mais également territorial.
Le choix institutionnel résulte de la volonté de stabiliser le système au profit de la personne de Bonaparte dans un contexte difficile. A l’intérieur, la présence de complots débouche sur l’exil de Moreau et l’exécution du Duc d’Enghien. Cela permet à Bonaparte de faire passer son projet impérial et de mettre en place une nouvelle forme de régime monarchique que l’auteur nous présente avec son fonctionnement économique et ses bases sociales. Un Empire qui s’étend déjà sur le Royaume d’Italie dont Eugène est fait vice-roi.
Tandis qu’à l’extérieur, si l’Angleterre ne respecte pas toutes les conditions du traité de paix, la France de son côté étend son influence sur l’Allemagne au détriment de l’Autriche. Dès lors la guerre est inévitable. La prise du Hanovre n’efface pas les désastres coloniaux. Le projet de débarquement en Angleterre permet de forger le formidable outil militaire qu’est la grande Armée. Le désastre naval de Trafalgar ne modifie guère les plans de l’Empereur. 1805 marque une de ses campagnes les plus achevées qui le mène à Austerlitz.
Dès lors le Grand Empire se met en place. Au-delà des limites de l’Empire lui même, la création de la Confédération du Rhin permet de mettre sous influence les princes allemands en récompensant les fidèles alliés (Bavière, Wurtemberg). Tandis qu’au Sud, le royaume de Naples est confié à Joseph, c’est dès lors toute l’Italie qui passe sous influence française. Seule la Sicile, protégée par la flotte britannique, échappe à cette domination.Le choix du système (1806-1810)
Les victoires militaires changent la situation. C’est désormais un Empire multinational rayonnant sur toute l’Europe qui se met en place. Mais ce faisant, il s’éloigne de plus en plus de son héritage révolutionnaire.
Les victoires militaires, écrasantes sur la Prusse, battue à Iéna et Auerstedt, plus difficiles sur la Russie, à Eylau et Friedland, consacrent la suprématie de la France napoléonienne. Le redécoupage territorial de l’Europe au profit du Grand Empire se poursuit. Tilsit consacre cette position de force et laisse entendre que France et Russie vont désormais cogérer les affaires européennes. Tandis que pour vaincre l’Angleterre, le blocus continental apparaît être l’outil adéquat.
Mais ce blocus continental conduit à l’intervention en Espagne de 1808. Celle-ci devait permettre de parachever la fermeture du continent et d’installer Joseph sur un nouveau trône. La défaite de la monarchie espagnole entraîna les Français dans un conflit d’un genre nouveau, mêlant lutte contre la guérilla et opérations militaires classiques contre l’armée anglo-portugaise. Loin de l’Empereur, le système se dérègle, Joseph est incapable de se faire obéir par des maréchaux qui ne songent qu’à leur carrière.
Alors que l’Autriche croît pouvoir saisir l’occasion pour se rétablir en attaquant au printemps 1809. La campagne d’Allemagne voit à nouveau la France l’emporter, mais plus difficilement. Avant de triompher à Wagram, l’empereur échoue à Essling. De plus l’alliance russe ne porte pas ses fruits, l’armée du tsar s’est tenue en retrait tout au long des opérations.
L’Europe semble soumise mais celui qui prétend diffuser les idées de la révolution nie la volonté des peuples. L’analyse de Jean-Philippe Rey permet de faire le point sur la réalité de la diffusion des idéaux et réformes dans cette Europe formée de cercles concentriques. Qu’il s’agisse des transformations sociales politiques ou administratives, c’est la diversité qui l’emporte.
Sur le plan intérieur, la France napoléonienne s’agrandit encore avec l’annexion de la Hollande et des Etats du pape. Mais ainsi, elle devient encore plus hétérogène, les nouveaux sujets n’apprécient guère cet état de fait. La dynamique impériale implique la fondation d’une dynastie. Pour se légitimer, en se rattachant à la dynastie précédente, aussi bien que par intérêt stratégique, c’est l’Autriche qui fournit la nouvelle impératrice.L’échec du système (1811-1815)
Le système se nourrit largement de la guerre et des conquêtes. En France la situation économique se dégrade, l’opinion gronde. Il faut mettre en œuvre des mesures d’assistance tandis que la crise avec la papauté s’aggrave. Avec le blocus continental les partenaires commerciaux traditionnels de l’Angleterre souffrent alors que le système des licences dérogatoires profite surtout aux Français. Du côté russe on admet de moins en moins la domination française sur l’Europe qui se fait au détriment des intérêts du pays d’Alexandre.
La campagne de 1812 marque alors clairement le retournement. Elle montre les limites du système militaire napoléonien trop centralisé qui se révèle inadapté à la gestion de telles masses de troupes sur d’immenses distances. Tandis que la conspiration de Malet révèle les faiblesses de l’idée dynastique.
Malgré les succès tactiques remportés en 1813 et 1814 en Allemagne et en France, le système napoléonien s’effondre. L’Empire doit faire face à la montée d’adversaires de plus en plus nombreux que l’intransigeance de Napoléon pousse à aller jusqu’au bout. Comme le montre l’auteur, l’abdication de 1814 affaiblit la France mais l’échec des Cents Jours est encore plus lourd de conséquences sur la place de la France en Europe comme pour la manière dont débute la Restauration.

En conclusion
Un ouvrage dense qui a le mérite d’aborder les différents aspects de la période. Il constitue ainsi une synthèse appréciable qui permet d’aller au-delà de la vision souvent trop « historie-bataille » du régime napoléonien. Si la bibliographie est récente et complète, on déplore cependant l’absence de cartes pour appuyer la démonstration sur le système napoléonien.

Compte-rendu de François Trébosc, professeur d’histoire géographie au lycée Jean Vigo, Millau