Longtemps directeur du Bureau du cinéma (Sénégal), Fidèle Diémé est depuis 2010 directeur de la Cinématographie. Il fait ici un récit inspiré de la vie de son père Emile Diémé dans un village de Casamance au cours du XXe siècle. L’histoire de cette famille diola est l’occasion de découvrir la culture de cette ethnie confrontée aux évolutions religieuses et politiques.

C’est d’abord la présentation du village de Tendieme et de ses personnalités. La description du rôle de chef de village permet de mieux comprendre les relations entre familles, l’importance de l’histoire de chaque « grande famille » et la question foncière, les querelles entre villages pour la possession des rizières, il n’y a pas de village sans rizière dans cette région.

Cette partie introductive qui peut paraître un peu longue est indispensable à la compréhension de l’histoire d’Emile Diémé, en particulier pour un lecteur européen. Le statut traditionnel de la terre, la question foncière est au cœur des relations intrafamiliales et entre villages.
La présentation du héros permet une évocation de la pénétration de l’Islam et du catholicisme, les conflits des années 1920-30, la résistance de la tradition animiste. Le récit apporte des informations sur l’évolution de l’attitude d’une partie des populations vis-à-vis de l’initiation. Après une période de contestation et de déclin, à mettre en relation avec l’expansion des religions monothéistes dans la seconde moitié du XXe siècle, on assiste à un retour à la tradition depuis les années 2000 avec la célébration du Boukout selon la tradition tous les 20 ans dans chaque village.

On va suivre Emile Diémé à partir de 1929, son mariage selon les pratiques traditionnelles. Quelques années plus tard, après la perte de plusieurs enfants en bas age le couple choisit de quitter la « grande famille », l' »exil » à Tamianghone, à peine à quelques kilomètres sur les terres de la famille. Le lecteur découvre divers aspects de la culture diola ou les retrouve s’il est Casamançais.
Le départ pour l’exil met en lumière une perception étonnante des distances. C’est une rupture pour une destination qui est tout au plus à 10km de Tendieme et qui s’accompagne d’un rituel, tout comme la naissance du premier fils. La description de la fête de la circoncision qui eut lieu en 1946 à Tendieme respecte la tradition : on ne divulgue à personne ce qui se passe au Bois sacré lors de l’initiation des jeunes garçons.

Le récit de la vie quotidienne du personnage principal et de sa famille amène Fidèle, le fils et auteur de ce livre, a raconté la vie politique sénégalaise avant l’indépendance voir sur ce sujet : le livre de Christiane Roche : La Casamance face à son destin ou celui de Mohamed Lamine Manga
[La Casamance dans l’histoire contemporaine du Sénégal->https://clio-cr.clionautes.org/la-casamance-dans-l-histoire-contemporaine-du-senegal.html
] et notamment l’opposition entre Lamine Gueye et Léopold Sédar Senghor, opposition incarnée en Casamance par Assane Seck et Emile Badiane lui-même originaire de Tendieme et les heurts violents entre partisans des deux bords.
Par contre les pluies diluviennes de 1957 sont l’occasion de montrer l’entraide, toutes confessions confondues, au sein du village et qui ramène à Tendieme Emile, l' »exilé de Tamiangjone », et sa famille.

La dernière partie de l’ouvrage retrace la scolarité de l’auteur: le concours d’entrée en 6ème; l’arrivée dans un collège de la capitale, les vacances au village entre travaux des champs et activités culturelles des jeunes : théâtre, football. On découvre l’importance de la sociabilité villageoise, le rôle des associations de jeunesse qui aujourd’hui encore jouent un rôle dans le développement économique local mais aussi la transmission intergénérationnelle des informations concernant la « grande famille » : origine, généalogie, patrimoine foncier, traditions. Ce récit autobiographique conduit le lecteur en URSS où Fidèle Diémé a fait des études de théâtre et cinéma. L’épisode de la mort du père, Emile, est l’occasion de rappeler l’importance de la cérémonie du premier anniversaire de deuil, le rituel chrétien, le rituel animiste et les croyances en ce qui concerne les relations entre morts et vivants.

Un livre utile à quiconque se propose de voyager à l’intérieur de la belle et verte Casamance.