Olivier Grenouilleau est historien, spécialiste de l’histoire de l’esclavage, une histoire qu’il a voulu écrire « honnêtement et sérieusement ». Son livre Les Traites négrières- : essai d’histoire globale  publié en 2004 lui a valu de se trouver, à son corps défendant, au centre de violentes polémiques Il a publié de nombreux ouvrages dont Qu’est-ce que l’esclavage ? chez Gallimard en 2014.

Pour ce volume l’auteur a choisi de faire porter son étude sur l’Afrique occidentale entre 1785 et 1830, et ce pour deux raisons présentées au chapitre premier :

  • Les premières incursions à l’intérieur du continent partent de la côte et se concentre en ce début du XIXe siècle, encore temps de la traite mais aussi de sa contestation.
  • Des récits non encore contaminés par les clichés coloniaux.

C’est un temps de découvertes faites par des hommes souvent seuls à la rencontre des populations locales, des expéditions scientifiques.
Olivier Grenouilleau dresse un état des représentations de l’Afrique depuis la première expansion portugaise vers le Sud. Il situe dans leur contexte les sept récits de voyage qu’il étudie, récits de René Caillé, Hugh Clapperton, Gray et Dochard, Gordon Laing, Richard et John Lander, Gaspard Théodore Mollien et Mungo Park : un contexte de développement de l’abolitionnisme et de recherche d’un commerce de substitution à la traite, un commerce libre sans idée de conquête et une idéologie d’égalité des hommes. Il note les nuances entre contextes français et britannique.
Les auteurs sont des hommes jeunes, plutôt désintéressés mais leurs stratégies sont diverses: taille de l’expédition, relation avec les chefs locaux.
Ce chapitre introductif précise la finalité de l’ouvrage: analyser les représentations de l’Afrique et des Africains que les récits de voyage « fabriquent » et leur rôle dans la représentation de leurs lecteurs. Il se différencie des études existantes voir notes des pages 67 et 68.

Ambitions et réalités : de la science aux représentations

Les voyageurs affichent leur objectivité. Ils veulent faire un récit fidèle de leur voyage, basé sur leurs notes plus ou moins abondantes selon les conditions de l’expédition. Les auteurs sont pourtant conscients des limites des informations recueillies: brièveté du séjour, obstacle de la langue.
Les grands thèmes évoqués sont la description des milieux naturels: nature du sol, relief, végétation, éléments d’autant plus importants que plusieurs voyageurs avaient comme but la recherche des sources d’un fleuve (Sénégal, Gambie, Niger). Les paysages sont décrits pour leur originalité, leur esthétique. La faune est évoquée à l’occasion d’une rencontre et la présence des insectes assez largement mise en valeur pour les désagréments qu’ils provoquent.
La description des populations se veut fidèle mais n’est pas à l’abri du sensationnel. Pourtant tous sont prudents concernant les discours des Noirs sur l’existence de peuples anthropophages. A noter l’analyse des termes employés par les auteurs pour désigner les habitants des contrées traversées: Africains, Noirs, Nègres, naturels etc… pages 11 et suivantes

C’est dans le portrait des familiers ou des intermédiaires que le jugement est le plus apparent. Les familiers, les guides, sont évoqués dans leur rôle positif non sans quelques informations personnelles (âge, famille, traits de caractères) contrairement aux porteurs.
Les rois et chefs locaux tiennent une place réelle dans les récits du fait de leur statut d’intermédiaires incontournables de même que les usages (dons, attitudes corporelles, attentes).
Un paragraphe spécifique est consacré aux femmes dont tous soulignent la situation de dépendance.
Olivier Grenouilleau pose la question de la généralisation qui le plus souvent conduit à un tableau succinct de telle ou telle ethnie : aspects, défauts et qualités, impressions ou faits rapportés qui amène aux clichés : favorables aux peuples utiles aux Européens comme les Mandingues, référence au bon sauvage, jugement négatif pour les populations côtières et à une distinction fondamentale entre Africains et Maures.
Les différents voyageurs se retrouvent également sur les remarques à propos du rapport des Africains à la nourriture, au temps, à la danse et à l’indécence.

Entre anthropologie et inventaire des ressources

Sauvages susceptibles d’évoluer, les descriptions laissent apparaître les contours d’une civilisation.

Se nourrir, se vêtir, habiter:

Une nourriture dans l’ensemble peu variée, peu de viande et surtout peu au goût des voyageurs. Les costumes sont décrits avec beaucoup de précision et d’intérêt. En ce qui concerne l’habitat on perçoit un besoin de catégoriser : ville, village, case, hutte isolée, renseignements qui se veulent utiles à un futur voyageur.

Parler, croire, apprendre :

Si les explorateurs ont un intérêt évident et utilitaire pour les langues parlées, la pensée religieuse est hiérarchisée (superstition, croyances, religion – en fait le terme n’est utilisé que pour l’islam) et les pratiques décrites avec une certaine ironie. L’éducation des enfants n’est perçue qu’à travers les écoles coraniques.
Les auteurs ont aussi tenté de définir la nature des pouvoirs politiques et juridiques par référence aux modèles européens (monarchie, république). Enfin les voyageurs se préoccupent de l’histoire des régions traversées comme les migrations mais surtout pour comprendre tel ou tel élément du présent. Ils n’ont pas perçu l’intérêt de la tradition orale même s’ils notent l’importance du griot dans les sociétés africaines. Ils retiennent l’importance des guerres.

L’inventaire en quête d’avenir des potentialités économiques n’est pas toujours l’objectif principal de l’aventure mais il demeure un élément important des récits même s’il ne constitue pas un chapitre spécifique et n’appelle pas à la colonisation. L’agriculture est évoquée à travers la description des paysages et le travail assidu des paysans. Le commerce est vu à l’occasion de la rencontre des groupes qui s’y adonnent, les obstacles qu’on peut observer (guerres, péages, portages) et la présence sur les marchés de produits européens. Des remarques portent sur les richesses naturelles (forêts, métaux) et sur la diversité botanique.

Des facteurs d’ingérence?

Au chapitre 6 la question est posée: d’après les auteurs la traite et l’esclavage peuvent-ils disparaître?. Olivier Grenouilleau resitue les récits dans leur contexte de contestation occidentale de la traite. Pourtant ce sujet est peu présent, les voyageurs ne sont pas des abolitionnistes virulents. Ils paraissent plus opposés à la traite transsaharienne et analysent de façon contradictoire et ambiguë la situation de l’esclave de case. Il ressort de leur récit que l’esclavage est omniprésent en Afrique.

D’autre part Olivier Grenouilleau tente de lire à travers les récits de voyage la représentation des Africains à propos du Blanc.
Parfois confondus avec les Maures, volontairement ou non, les Européens, les Blancs sont objets de méconnaissance pour les populations de l’intérieur, suscitant souvent la peur et toujours l’étrangeté. Pour certains ils seraient anthropophages.
Souvent perçu comme riche, le Blanc est craint comme traiteur potentiel ou comme détenteur de pouvoirs extraordinaires.

Les récits donnent aussi à voir au lecteur une image du voyageur confronté à la chaleur, aux difficultés de franchissement des cours d’eau et aux fièvres.

L’épilogue cherche à montrer l’effet de ces récits sur l’évolution des représentations des Européens sur l’Afrique.