« D’un trait de plume, avec insolence ou avec complaisance, le dessinateur de presse résume l’évènement, le fait historique essentiel, ou le détail dérisoire mais toujours empli de sens qui éclaire notre histoire ». L’auteur, Yves Frémion, souligne qu’il a voulu montrer le talent de quelque bord politique qu’il soit. A ce titre, publication ne signifie pas approbation.

L’organisation de l’ouvrage

Pour chaque période, l’auteur a mis en avant les dessinateurs phares, puis les importants, et ceux qu’il nomme «  les petits maitres ». A la fin de chaque chapitre, on trouve un panorama d’oeuvres de l’époque. Yves Frémion est l’auteur de plus de cent ouvrages en tous genres. Il est également chroniqueur dans la presse.

D’une révolution à l’autre

«  La silhouette » est une revue précurseure qui se pose comme centre de l’opposition au régime. Ce que les Trois glorieuses ont ajouté de plus révolutionnaire c’est la première loi libéralisant la presse et l’imprimerie. « La caricature » va servir de modèle à toutes les revues satiriques jusqu’à nos jours. L’auteur évoque évidemment aussi «  Le charivari ». Les deux réunis cumulent en un an pas moins de 54 procès, un record absolu. Parmi les dessinateurs évoqués, on trouve Daumier, Monnier  ou encore Granville.

1852-1880 : De l’Empire à pire

La censure règne à tous les niveaux. Après la Commune, la chape de plomb revient mais elle est cette fois républicaine. L’ouvrage s’arrête sur André Gill, le dessinateur le plus célèbre de cette époque. Quant à Bertall, son profil est à contrepied de la plupart de ses collègues. Le chapitre évoque aussi entre autres Pilotell ou Robida.

Les hésitations de la République

En 1881, 4 000 publications voient le jour, même si elles sont souvent éphémères. Pour rendre compte de cette effervescence, c’est comme si on avait 50 Charlie Hebdo concurrents. L’époque est aussi marquée par l’antisémitisme. L’année 1905 et la loi de séparation des Eglises et de l’Etat est également prolixe en dessins. Forain est      omniprésent pendant 60 ans, c’était un pamphlétaire sans complaisance. Le chapitre parle aussi de Steinlen, le grand dessinateur du peuple et un des rares dreyfusards.

1900-1914

Un virage important a lieu : en effet, l’importance de la légende diminue. La caricature disparait au profit du dessin satirique. « L’Assiette au beurre » affiche une audience de de grand magazine. C’est une des premières revues tout en dessins utilisant la couleur. Une autre de ses innovations, c’est un internationalisme avec des auteurs venant d’Allemagne, d’Italie entre autres. Le chapitre parle de Grandjean ou encore de Kupka. Dubucq, le plus mystérieux des dessinateurs, était belge et a connu une carrière fulgurante.

1914-1919

La guerre déclenche une forte demande en dessins politiques. Les journaux qui n’en avaient pas, en prennent, et ceux qui en avait peu s’y mettent encore plus. Racisme, désinformation et complaisance pour des bobards diffusés par l’Etat sont trop souvent repris par la presse. Dès le début de la guerre, la censure s’est installée. Parmi les journaux de l’époque, il y a « La Baïonnette » avec le gratin des dessinateurs. Bofa dessina la souffrance physique et il savait de quoi il parlait. Il est à la source de l’humour noir graphique contemporain. Parmi les figures à découvrir, il y a Paul Iribe.

1920-1930

Il s’agit d’oublier la guerre. Les sujets frivoles reviennent. La nouvelle génération de dessinateurs de presse est la première sans formation classique. Le trait se simplifie et l’antiparlementarisme est une tendance forte. Les journaux sont alors la seule source d’information massive. L’ouvrage s’arrête évidemment sur « Le canard enchainé ». Il faut néanmoins noter que la revue prend son réel envol durant l’entre deux guerres. Gassier est alors la grande vedette du Canard. Sennep est aussi présenté et il est l’un des premiers à se penser comme journaliste et non plus un artiste.

1930-1939 : l’âge d’or de la presse d’opinion

Toute la presse regorge de dessins avec l’arrivée des magazines très illustrés. De plus en plus le dessinateur doit régir à la minute. Les dessinateurs accèdent à la carte de presse.

Collaborateurs et résistants

Les journaux s’arrêtent dans un premier temps. Ensuite, la presse allemande et collaborationniste de développe. Pour chaque dessinateur, la question se pose : que faire ? Quand la Libération s’annonce, une presse gaulliste fleurit.

1946-1958 : la IVème République et la guerre d’Algérie

Là encore, le souci d’oublier est général. Cependant, la violence de la guerre a été telle que les artistes vont ressasser longtemps les combats. Jean Effel innove avec des personnages nus. Il personnifie surtout à sa façon la République avec le visage de Marianne en bonnet phrygien. Cette invention sera désormais utilisée par ses confrères. C’est l’époque aussi de Siné qui ne laisse personne indifférent.

La parenthèse gaulliste

De Gaulle est un formidable sujet de caricature au niveau physique et ses formules sont aussi propices à illustration. On assiste à une pause dans l’antiparlementarisme car la Chambre est moins importante politiquement. Moisan est un dessinateur qui doit tout à sa victime. Son oeuvre est liée à De Gaulle dont il est le chroniqueur impitoyable. L’ouvrage détaille aussi la création de « Minute ».

L’après 68

Les lendemains de mai 68 sont bénis pour le dessin de presse. « Charlie Hebdo » se développe et « Le Monde » intègre le dessin politique dans ses colonnes. Reiser lui s’intéresse à monsieur tout le monde. Il ne respecte ni les handicapés, ni les faibles ni les enfants et pas plus les vieillards. Le livre parle aussi de Cabu.

Les années crise 1975-1989

On est encore dans un affrontement gauche-droite assumé des deux côtés. « Le Canard enchainé » embauche de nouveaux dessinateurs dont Cabu. Les listes de publications interdites sont éloquentes. La littérature inquiète peu, le dessin terrifie. Willem et Plantu sont aussi évoqués ainsi que « Bazooka ».

1990-2000

L’arrivée d’internet fait fondre abonnement et ventes en kiosque. Mitterrand et la cohabitation sont de bons sujets pour les dessinateurs de presse. La place du dessin se réduit dans la presse traditionnelle concurrencée par la photographie massivement utilisée car immédiate grâce à l’évolution technologique. Mix et Remix ainsi que Charb sont présentés.

Le nouveau millénaire 2001-2015

Le chapitre parle du nouveau « Charlie hebdo », de Siné, puis passe en revue quelques dessinateurs actuels comme Catherine Meurisse et Besse ou Philippe Caza. L’ouvrage se termine en évoquant la tuerie de « Charlie hebdo » et rappelle que parmi les victimes se trouvent cinq dessinateurs talentueux, emblématiques, pacifistes et libertaires.

Cet ouvrage massif offre donc une synthèse de grande qualité sur le dessin politique. On apprécie particulièrement le fait d’avoir évoqué le maximum de dessinateurs possibles. Ainsi, ce livre se veut autant un hommage au dessin politique qu’une exploration complète et savante d’une certaine histoire de la presse.