Comment en est-on arrivé à désigner l’Afrique du Sud ? Pourquoi ce jeu intéresse-t-il des milliards de personnes ? Comment expliquer le poids faramineux des médias et des sponsors ? On trouvera des réponses à ces interrogations, et à bien d’autres, dans l’histoire du football que propose Paul Dietschy. Ce dernier, maître de conférences à l’université de Franche-Comté, aborde le football sous un angle scientifique, sans oublier la passion, et comme l’ont déjà fait d’autres sciences humaines telles la géographie. (« Migrations de footballeurs et globalisation : de la théorie du système-monde à une approche relationnelle », R.Poli; « L’organisation spatiale du football amateur de niveau régional en France », J.Chaboche). Au delà des résultats que P.Dietschy n’oublie pas, son histoire est aussi celle du jeu et de ses évolutions, celle de ses principaux protagonistes (joueurs, dirigeants et supporters), celle de sa diffusion et de son adaptation ou encore celle de ses rapports aux pouvoirs extérieurs, politique, économique et médiatique.
C’est d’abord l’histoire d’un jeu formalisé en Angleterre…
Associé au rugby jusqu’en 1863, le football association prit ensuite son envol et édicta des règles simples dont un bon nombre date du dernier quart du XIXème siècle : dès 1871 et 1872, année lors de laquelle il fut notamment décidé de jouer à 11 sur le terrain et ce pendant 90 minutes. En 1890, 17 lois du jeu organisèrent ce sport et sa régulation (arbitres et juges de touche) et son aire de jeu (principalement ses dimensions). Loin d’être figées, celles-ci furent retouchées au cours des années 50 et jusqu’à récemment afin de permettre aux spectateurs et téléspectateurs de suivre plus facilement les rencontres (flocage des maillots) ou d’améliorer le spectacle proposé (remplacement de joueurs ; interdiction pour le gardien de prendre à la main une passe volontaire ; le droit pour l’arbitre de revenir sur une faute…).
Mais le jeu ne s’arrête pas aux règles et Paul Dietschy n’omet pas les évolutions dans le jeu de la spécialisation des postes intervenue dès les années 1880 aux apports tactiques de plusieurs générations de joueurs et de techniciens ; citons, pour n’en choisir que deux :
*Le Catenaccio italien ultra-défensif, popularisé par l’entraîneur de l’Internazionale, Helenio Herrera, et son arrière central situé derrière un groupe de 6 joueurs à vocation défensive.
*Le football total néerlandais porté par les joueurs de l’Ajax d’Amsterdam et leur entraîneur Rinus Michels, vainqueurs de trois coupes des clubs champions et finaliste de la coupe du monde 1974, système reposant sur le pressing acculant l’adversaire dans sa moitié de terrain et la polyvalence des joueurs.
… qui s’est diffusé mondialement…
Formalisé de l’autre côté de la Manche, le football association se développa, se diffusa avant tout dans les bastions de la révolution industrielle et profita de la croissance urbaine britannique et de certaines évolutions associées à l’ère industrielle telles que l’accroissement du temps libre et des niveaux de vie. Au tournant des XIXe et XXe siècle, le football s’était déjà diffusé dans toute l’Europe même si des réticences, liées à l’essor du professionnalisme, freinaient son expansion dans les pays nordiques et en Allemagne. Touchés de la même façon, les continents sud-américain et africain virent se former à cette époque les premiers clubs, se disputer les premiers matchs. A l’origine de cette expansion se trouvaient des « passeurs », souvent anglais, mais aussi suisses (Gamper à l’origine du FC Barcelone), français et belges. Ils étaient ouvriers ou ingénieurs britanniques dans les chemins de fer en Uruguay et Argentine, parfois missionnaires belges et français en Afrique, militaires en Asie et en Afrique, hommes d’affaires au Brésil. Symboles d’une diffusion accrue, des organisations se constituèrent sur chaque continent ou sous-continent, regroupant les nations du football (UEFA) et organisation des compétitions internationales (Copa América dès 1929, l’ensemble des fédérations étant affiliée à la FIFA née en 1904 et maître d’œuvre d’une coupe du monde depuis 1930.
Si ces territoires sont désormais des terres de football, Amérique du Nord et Asie restent eux des terres de mission pour la FIFA bien que dans le cas Nord-Américain, ce ne soit pas le nombre de pratiquants qui posent problème mais la faiblesse du championnat professionnel et le désintérêt du public, des médias.
… façonné par des acteurs individuels et collectifs…
Bien sûr et avant tout, joueurs et entraîneurs ont façonné l’histoire de leurs sport, des premières vedettes des années 30 comme Zamora mais surtout à celles de l’après –guerre : européennes surtout, hongroises (Puskas) dans les années 50, néerlandaises (Cruyff) dans les années 70 mais aussi sud-américaines avec l’avènement du Brésil à la fin des années 50 à la suite d’une kyrielle de footballeurs d’exception (Garrincha, Vava, Rivelino et le roi Pelé) et argentines suite aux triomphes de 78 (Mario Kempès) et de 86 (Diego Maradona, El Pibe de Oro). Pour applaudir aux exploits de ces ténors, une foule croissante se rendit dans des stades capables d’accueillir pour certains plus de 100 000 spectateurs au Maracana, au Centenario ou à Wembley. Parmi ces fans de football, dès les années 50-60, on put distinguer le simple spectateur du supporter revêtant les couleurs de son équipe, participant par ses manifestations, violentes ou festives, au spectacle du match puis nouvelle forme de « supporter », le hooligan introduisit une violence étrangère à la rencontre, responsable d’affrontements entre groupes rivaux et responsables de drames tels celui du Heysel. Enfin, n’oublions le rôle de dirigeants emblématiques, de Santiago Bernabeu à Silvio Berlusconi, ou des journalistes participant de la diffusion du football.
…inséré dans l’histoire des XIX et XXe siècles…
Le « people’s game » ne pouvait échapper à l’Histoire avec un grand H. Fruit d’une évolution historique, la révolution industrielle, il fut et il est un outil au service du politique. La première coupe du monde ne fut-elle pas attribuée en grande partie à l’Uruguay car le pays commémorait en 1930 le centenaire de son indépendance ? Et que dire de la suivante qui vit la squadra azzura, symbole de la force du régime fasciste, l’emporter ? On le comprend bien tous les régimes dictatoriaux se sont emparés du foot pour en faire une vitrine du régime, pour illustrer l’excellence de leur idéologie ou de leurs méthodes (Italie Fasciste), pour redorer leur blason (la grande Hongrie des années 50 et son major Galopant, Puskas, chouchou du régime communiste), contrôler les masses même si les supporters pouvaient trouver un espace liberté en choisissant leur club (par la création de clubs : sous les régimes communistes, on ne compte plus les Dynamos ; par le soutien aux clubs dans l’Allemagne hitlérienne). Et devant cette instrumentalisation, qui est celle des démocraties (la France black-blanc-beur de 1998) par la dictature, peu de voix s’élevèrent (le boycott par Cruyff de la coupe du monde en Argentine) et surtout pas celle de la FIFA. Peut-être est-ce là, selon l’auteur l’une des raisons de l’attribution de la World Cup 2010 à l’Afrique du Sud : rattraper son silence durant la période d’apartheid. Car en Afrique aussi, le football fut un outil, ici aux mains des indépendantistes qui par le biais des clubs (le WAC au Maros), des joueurs (les joueurs algériens rejoignant le FLN), des équipes nationales qui par leur affiliation à la FIFA apportaient à leur jeune pays une reconnaissance internationale.
… et lié pour le meilleur et pour le pire au monde de l’économie
Le meilleur et le pire car dès le début du XXe siècle, la question du professionnalisme agita joueurs, ligues et fédérations. Adopter rapidement dans l’Europe médiane et en Amérique du Sud, ses progrès furent plus lents dans l’Europe du Nord-Ouest. Et une fois cette étape franchie, c’est sans conteste la place et le poids des médias qui firent du football une activité économique. De l’initiative du journal l’Equipe, à l’origine de la création de la coupe d’Europe des clubs champions à l’explosion des droits télévisés des principales compétitions (Canal + paie 600 millions d’euros pour la Ligue 1), les médias, la télé ont contribué à modifié ce sport jusque dans son déroulement (choix des horaires en fonction des marchés visés, modification de règles pour améliorer le spectacle, soit le nombre de buts). Les clubs sont devenus des entreprises, des PME certes mais ayant à leur tête pour certains des capitaines d’industrie (la famille Moratti à Milan), de richissimes propriétaires (Roman Abramovitch à Chelsea) ou plus récemment des fonds d’investissement (Colony Capital au PSG).
La manne télévisuelle inégalement partagée, la présence de propriétaires décidés à investir de fortes sommes, l’architecture de la Champions League tendent à creuser l’écart entre les grands clubs (un temps rassemblés dans un G14) et les autres, et par la même à ôter une part de l’incertitude liée au résultat. Tel est l’un des dangers du mariage football/économie/médias auxquels il faudrait ajouter la perte d’identification aux équipes multinationales (arrêts Bosman et Malaja). Les instances internationales, et surtout en Europe l’UEFA par l’intermédiaire de son président Michel Platini tentent d’introduire plus de régulation mais l’organisation est « coincée » entre une volonté d’équité sportive et le maintien de ses propres revenus, tributaires des évolutions décrites plus haut.
A moins de 15 jours de la coupe du monde, si vous êtes passionnés de foot et d’histoire, c’est le livre à lire ; certes il vaut 25 € mais il les vaut vraiment tant le propos est clair, le travail fouillé, sollicitant des sources très variées et plongeant ou replongeant le lecteur dans des épisodes connus de lui, lui en faisant découvrir d’autres. Bref, un livre qui fera date.