En 2008, une exposition autour d’André Zucca avait suscité la polémique mais avait aussi remis en lumière l’importance de la photographie. Ce qui avait notamment frappé à l’époque, c’était notamment l’utilisation de la couleur que l’on retrouve aussi ici en partie. Le contexte est évidemment très différent ici car André Zucca travaillait pour la revue « Signal » tandis que les clichés de Paul-Emile Nerson présentés sont réalisés par quelqu’un qui n’est pas dans le même camp et qui ne les publie pas. 

Histoire d’une découverte

Pierre Chevillot a longtemps conservé des photographies prises par Paul-Emile Nerson qui fut le compagnon de sa grand-mère Suzanne Perné. En les montrant récemment à Régis Le Mer, historien documentaliste au centre d’histoire de la résistance et de la déportation de la ville de Lyon, il prend conscience de leur importance. C’est le fruit de cette rencontre que donne à voir ce bel ouvrage structuré en huit chapitres et une postface. 

Qui était Paul-Emile Nerson ?

Paul-Emile Nerson n’était pas photographe professionnel mais il avait quand même des compétences certaines en ce domaine. Plusieurs de ses clichés reflètent son point de vue original. Il faut aussi mesurer que, dans le contexte de l’époque, prendre une photographie c’est prendre un risque et encore plus quand on est juif. Beaucoup des clichés présentés ici datent des années 1943-1945. Il n’a pas parlé de ses photographies jusqu’à sa mort. 

Un double coup de foudre : Suzanne et Lyon

Paul-Emile Nerson avait été marié en 1933 mais avait quitté sa femme. Il a vécu ensuite une histoire d’amour avec Suzanne qu’il n’a cessé alors de photographier. Elle fut sa muse mais aussi son modèle. Il prend des clichés dans de nombreuses circonstances et on découvre par exemple un cliché intime avec Suzanne, poitrine nue. Paul-Emile Nerson était arrivé à Lyon en 1937. Il s’y est longuement promené et a photographié les hauts lieux de la ville mais aussi l’activité fluviale. Il s’est rendu évidemment place Bellecour. Parfois, il est satisfait par un de ses  clichés : dans ce cas il l’encadre, le  localise et le signe.

La campagne, terre de refuge

Suzanne Perné était issue d’une famille bressane, paysanne et peu aisée. Elle a eu avant sa rencontre avec Paul-Emile Nerson deux enfants qu’elle n’a pu prendre en charge. L’un a été recueilli par une grand-mère et l’autre par un orphelinat. Suzanne et Paul-Emile sont retournés vivre à différents moments de la guerre dans cette campagne et le photographe en a profité pour réaliser plusieurs clichés comme des vendanges en 1943 ou des moissons la même année. 

Photographier la guerre

Les auteurs s’interrogent pour savoir si les clichés sont une forme de résistance car, rappelons-le, photographier c’était alors prendre des risques. Ce n’est pas une formule car dès septembre 1940, photographier en extérieur est interdit. Paul-Emile Nerson a photographié le quotidien et plusieurs de ses clichés immortalisent les traces de l’Occupation. Il recherche souvent le meilleur cadrage possible pour rendre compte de ce qui se passe dans une ville en temps de guerre. Un cliché page 69 montre ce qu’une photographie peut révéler des nombreuses facettes de ce quotidien difficile. On y voit en effet une calèche, qui témoigne à sa façon de la pénurie d’essence,  mais on devine également à l’arrière-plan des uniformes allemands. 

Les couleurs des années noires

Paul-Emile Nerson a rédigé son testament en 1943, à l’âge de 35 ans, ce qui permet de mesurer combien il ressentait sa situation comme précaire. Dans cette partie de l’ouvrage, on découvre plusieurs de ses clichés en couleurs. Réaliser de telles photographies  était encore plus risqué. En effet, cela nécessitait davantage de maitrise technique mais aussi un temps de pose plus long. Certaines photographies sont véritablement exceptionnelles comme celle qui montre le Grand Jubilé de Saint Jean, évènement qui n’a lieu qu’une fois par siècle. 

Nerson reporter de guerre

Paul-Emile Nerson a constitué un album sur l’été 1944. Il a donc choisi tel ou tel cliché ainsi qu’une façon de les présenter. A sa façon, il témoigne donc de ce qui est alors en train de se passer. Trois images montrent l’incendie du dôme de l’Hôtel-Dieu, le lendemain de la date officielle de la libération de la ville. Dans son album de la Libération, on retrouve 23 clichés qui s’étendent du 25 août au 14 septembre 1944. Il n’y a aucune légende et aucun commentaire, comme si les images se suffisaient à elles-mêmes. D’autres clichés en couleurs témoignent eux de l’hiver 1944-1945 et montrent les paysages de la ville de Lyon.

Paul-Emile Nerson meurt en 1976 et Suzanne Perné, son grand amour, en 1983. Dans la postface, Pierre Chevillot raconte ce voyage à la fois sentimental et historique. On retiendra aussi sa formule lorsqu’il dit qu’ « entreprendre cet essai biographique illustré » c’est aussi donner une seconde vie à Paul-Emile et à Suzanne. 

Pour en feuilleter quelques pages, c’est ici.

© Jean-Pierre Costille pour les Clionautes