Marie-France Auzépy et Joël Cornette nous proposent une Histoire du poil, qu’ils ont dirigée, et qui est publiée aux éditions Belin.
Marie-France Auzépy est agrégée d’histoire et professeur émérite à Paris VIII, spécialiste de l’histoire byzantine. Joël Cornette est professeur à l’université Paris VIII, et dirige également la collection « Histoire de France » en 13 volumes publiée aux éditions Belin.
L’ouvrage est introduit par l’affirmation suivante : « ceci n’est pas un livre barbant ». Au delà du jeu de mot de circonstance, une telle sentence tient lieu de leitmotiv pour les auteurs de cette Histoire du poil. Ainsi, même si ce livre assume d’emblée le fait de ne pas se prendre au sérieux, il est des plus sérieux par sa structure et son propos. Rassemblant de nombreux articles réalisés par des chercheurs aux centres d’intérêt multiples et variés, il ne vise pas l’exhaustivité mais prend le parti de multiplier les thématiques et les points de vue.
L’objet du livre, le poil, de la chevelure à la toison pubienne, peut faire sourire ou craindre un coup éditorial. Cependant, à la lecture de l’ouvrage, organisé autour de trois thèmes principaux, le poil se révèle un objet d’histoire pertinent, envisagé comme un signe, porteur de sens mais aussi comme un symptôme traduisant les choix d’une société et de son évolution.
La loi du poil
Dans la première partie, le poil est tout d’abord confronté à la loi, qu’il s’agisse de norme religieuse ou sociale.
Le poil est évoqué par les textes fondateurs des religions du Livre, revêtant des symboliques multiples cadrées et adaptées dans les pratiques sociales quotidiennes des peuples ayant adopté ces religions.
Les premiers chapitres montrent donc combien, dans les sociétés chrétiennes, dans l’Islam ou à Byzance, le poil, par sa présence ou son absence, détermine des statuts sociaux, et traduit une adhésion aux règles sociétales héritées de préceptes et de pratiques religieuses.
Le premier temps de cette histoire se conclut avec une réflexion autour de ceux qui sont hors normes et sortent des cadres sociaux et religieux traditionnels, du fait de leur pilosité: les femmes à barbe et les hommes atteints d’hirsutisme, sujets de curiosité à la Renaissance et au XIXème siècle, deux époques qui ont fort questionné le corps humain.
Politiques du poil
Dans la seconde partie, le poil est envisagé dans son rapport au politique, porteur de sens dans les sociétés humaines. Le poil est un symbole de pouvoir : celui incarné ou subi, et cela dans des espaces géographiques et des époques bien distincts, de Sumer jusqu’aux poilus de la « Grande guerre ».
Le poil est un symbole de pouvoir et de domination sociale par la perruque dans la France du XVIIIème siècle sous Louis XIV et jusqu’à la veille de la Révolution française. C’est au contraire un symbole de domination politique et de soumission, aux interprétations ambiguës, sous la forme d’une natte pour les chinois pendant la dynastie Quing, du XVIIe au XXème siècle. Enfin, le poil peut être un symbole d’appartenance politique en Turquie, permettant d’envisager une trichologie (étude du poil) turque, distinguant moustaches du « prophète », « à la Staline » ou bien « kemaliste ».
Les sciences du poil
Dans la dernière partie, le poil est confronté aux sciences humaines. Les trois derniers chapitres permettent d’envisager la place tenue par le poil dans la linguistique, la recherche ethnographique et la psychanalyse.
Une approche épistémologique est alors proposée dont le fil conducteur est le poil dans ces différentes sciences humaines qui accompagnent et nourrissent la recherche historique. On peut par exemple suivre la place de la barbe ou du poil pubien dans la psychanalyse, distinguant un poil freudien, marginal et symbole de pouvoir, d’un poil lacanien fortement symbolique.
Un livre au poil
Composé d’articles assez courts, clairs, bien écrits et très complets, l’Histoire du poil est une lecture plaisante et réjouissante même si inégale en raison des qualités propres des rédacteurs de chacun des articles et des goûts particuliers du lecteur.
Même si parfois les informations proposées se recoupent d’un article à l’autre, au lieu d’un effet de déjà vu, le lecteur ressent le plaisir de voir sa connaissance de la science du poil s’approfondir.
L’iconographie de l’ouvrage est riche et originale même si son exploitation et les explications proposées sont plus ou moins détaillées selon les articles.
Pour finir, on retire de cette Histoire du poil un plaisir global immense autour d’une lecture joyeuse mais sérieuse, (re)donnant le goût de l’histoire.
Guillaume Belllichi