Graham Robb est un historien britannique, francophile, dont un précédent ouvrage avait été traduit sous le titre  » Une histoire de Paris par ceux qui l’ont fait », livre récompensé par le prix du Meilleur livre d’histoire 2010 décerné par le magazine Lire. La référence doit être vendeuse, car ce nouveau livre est couvert d’un bandeau qui rappelle qu’il en est l’auteur. Quelques cartes, deux cahiers, pour un total de 25 documents, une chronologie, une partie notes et des références sur 80 pages accompagnent le texte de Graham Robb. Quelques cartes sont également insérées durant le livre et un index géographique permet de repérer rapidement une localisation précise.

Faire revivre et ressentir la France d’avant

Le projet de l’auteur apparaît à la fois vaste et ambitieux : retracer une histoire des habitants de la France au XVIII et XIXe siècles environ, et plus exactement la France des provinces. On découvre ainsi de multiples facettes du paysage métropolitain. Cette idée lui est venue de sa passion, le vélo, qui oblige à un rythme et à des circuits loin des autoroutes.
Le livre est structuré autour de deux idées fortes : la description des populations qui équivaut à une sorte de permanence, et la transformation en un État moderne, ce qui signifie toutes les mises en ordre du territoire, qu’elles soient le fait de l’État ou du tourisme par exemple.
Autant dire que la première partie est donc marquée par l’immobilité et Graham Robb n’hésite pas à écrire :  » il ne semblera pas se passer grand-chose dans les prochaines pages, mais cette inertie n’est encore qu’un bref aperçu de ce qui, pour beaucoup de gens, n’était qu’une vie à moitié humaine ».

Une érudition bien tempérée

Ce qui frappe à la lecture de l’ouvrage, c’est le goût de l’anecdote, avec cette faculté à faire comprendre par un exemple une idée forte. Graham Robb a le sens du récit, mais sans jamais verser dans le pédantisme. Par exemple, lorsqu’il évoque la vie d’un paysan breton du XIXe siècle et fait sentir par une chronologie quasi clinique les grands moments de son existence. Une des grandes forces du livre, c’est de nous faire sentir, toucher presque, ce que pouvait être le quotidien des populations de la France. Par de multiples notations, il dessine peu à peu un portrait de cette France que l’on a perdue de vue. Il évoque ainsi les paysages et la place de la nature, le fait que l’arrivée d’un inconnu dans un village était quelque chose de véritablement étonnant. Avec son sens de la formule, il précise qu’à la veille de la Révolution, la France mesurait trois semaines de long et autant de large. De même, pour faire comprendre la diversité linguistique de la France, il montre le même texte écrit à 75 km de distance pour faire mesurer la force des patois à l’époque.
Cette touche de Robb se retrouve aussi dans l’interlude, comme il l’appelle, entre les deux parties de l’ouvrage où il se livre à un état de la population….animale ! Si l’on veut saisir à quoi ressemblait la France d’alors, cela semble en effet une évidence. Chiens, chevaux notamment, sont passés en revue et Robb rappelle combien le fumier était alors matière précieuse.

La France est diversité

Graham Robb rappelle et assemble des éléments qui aident à mieux comprendre combien la France d’alors était différente et il revient souvent sur l’idée de perception par les gens de cette époque : vers 1800, un tiers des habitants demeurait dans des fermes et dans des hameaux de moins de 35 habitants et le rayon de vie s’étendait au maximum à 25 kilomètres. Il souligne combien, pendant longtemps, les Français ignoraient leur pays : en effet jusque vers 1850, la perception du territoire n’existe pas vraiment : qui en effet a vu une carte du pays ? Et ce n’est pas la langue non plus qui fait l’unité : en 1880, un cinquième seulement de la population parlait le français couramment ! Il en arrive à cette idée paradoxale  » l’activité fourmillante de la paysannerie a davantage contribué à cimenter la France que les projets d’aménagement de Napoléon Bonaparte ». Graham Robb revient aussi sur la religion, ce qu’elle a pu symboliser, et surtout une fois encore comment elle était vécue. Là encore, on part de faits connus comme les rites de fertilité qui se sont maintenus longtemps, et Graham Robb, comme par cercles concentriques, développe ensuite des exemples toujours surprenants. Ainsi, « en Alsace dans les années 1860, on voyait encore couramment des églises mixtes où le chœur était réservé aux catholiques et fermé par un rideau….pendant les offices protestants ».
Lorsque les moyens de communication s’étoffent, la France change et l’auteur va jusqu’à affirmer que le symbole de la France laïque est à chercher, non pas dans l’urne électorale, mais dans l’autoroute.

Vers l’unité des territoires

Dans cette deuxième partie plus chronologique, Graham Robb s’intéresse donc à cette unification du territoire, ou plutôt aux multiples formes qu’il prit. Les routes changèrent alors que jusque-là rien n’avait pratiquement changé depuis les temps gallo-romains. Le paysage fut profondément transformé. L’auteur prend notamment comme exemple celui des Landes. Il s’intéresse à la mise en tourisme du territoire et s’interroge sur les spécialités locales aujourd’hui si valorisées. Il voit dans la liqueur de cassis de Dijon davantage de talent marketing qu’une quelconque tradition. Il redonne donc sa place à certains aliments comme le miel, puisque l’on comptait une ruche pour 13 habitants au milieu du XIXème siècle. De façon plus classique, il évoque le développement des villes d’eau à la fin du XIXe siècle avec une pointe d’ironie à propos de cet emballement qui gagna alors les municipalités.

Au total, c’est un livre marqué par une très grande érudition, sans que cela ne soit jamais pesant. Graham Robb invite à retrouver ce monde perdu de vue et, tissant l’anecdote avec l’analyse, il offre ainsi un ouvrage profondément original sur la France. Comme le titre anglais le précisait sans doute mieux (« Discovery of France »), il propose au lecteur de considérer la France comme un pays inexploré ; bref à garder une grande faculté d’étonnement pour partir sur les routes, et qui sait, à vélo…