Ce livre de poche reprend l’essentiel de la 4ème partie, traitant essentiellement des transversalités entre juifs et musulmans, de l’encyclopédie Histoire des relations entre juifs et musulmans publiée en 2013. Elle a été dirigée par Abdelwahad MEDDEB et Benjamin STORA. Le premier a grandi dans une maison traditionnelle religieuse du milieu tunisois zitounien. Déjà petit, il était marqué par les similitudes entre lecture coranique et prière juive. Le deuxième  est né à Constantine dans le grand quartier juif (le « Charrah »). Il y faisait alors face aux mêmes réflexions au même âge, au point de parler de civilisation judéo-musulmane. Ces souvenirs parallèles sont le point de départ d’un travail d’historien dont l’objectif est de « restituer divergences, conflits, mais aussi points de rencontre et d’influence mutuelles ». De nombreux contributeurs s’attellent à cette tâche au fil des 7 chapitres.

LIVRES FONDATEURS EN MIROIR

Un premier article de Geneviève GOBILLOT traite des liens entre Coran et Torah. La Bible précède le Coran. Ainsi, tout décalage par rapport aux Ecritures antérieures qu’il évoque doit être lu comme une modification intentionnelle. « Nous avons fait descendre sur toi le rappel [le Coran] pour que tu exposes clairement aux hommes ce qu’on a fait descendre sur eux [les Ecritures antérieures] – Peut-être réfléchirons-ils ! » (16,44). Michel CUYPERS essaye d’établir les premiers liens entre juifs et musulmans à partir de la 5ème sourate qui exclut tout rejet de principe du judaïsme, puisqu’elle reconnaît l’authenticité de l’alliance juive et autorise la convivialité des musulmans avec les juifs. Pour Reuven FIRESTONE, les premiers regards juifs sur la naissance de l’islam sont parcimonieux dans l’éloge et prudents dans la critique, comme le nécessitait alors leur position de minorité victime d’une restriction de leurs droits juridiques et civils. Plusieurs articles ont ensuite pour objet les traductions arabes de la Bible hébraïque, devenues nécessaires pour nourrir le débat entre les 2 religions. Viennent enfin les traductions judéo-persanes et les traductions du coran en hébreu datant souvent des XVe et XVIe siècles.

LANGUES EN MIROIR 

Pour Lutz EDZARD, on peut faire de nombreux parallèles entre hébreu et arabe, deux « langues sémitiques ». Par exemple, le système de consonnes dans les deux langues est comparable et elles partagent un fonds considérable de vocabulaire commun. « Au vu de leur similarité grammaticale et lexicale, il n’est pas surprenant que des phénomènes de contact et d’influence linguistiques mutuels aient existé dès les premières heures de l’Islam classique ». Djamel E. KOULOUGHLI note par ailleurs l’influence de la linguistique arabe sur la linguistique hébraïque, notamment dans le domaine de la syntaxe. Joseph CHETRIT précise aussi que le judéo-arabe était parlé dès les premiers siècles de notre ère, bien avant l’avènement de l’islam. Par ailleurs, les juifs d’Iran parlent le judéo-persan du VIIIe au XXe siècle. Enfin, Gabriel BERGOUNIOUX montre que le concept linguistique de sémitisme, élaboré par des linguistes, a été exploité par des idéologies racistes.

DEUX RELIGIONS DE LA LOI 

Pour Phillip ACKERMAN-LIEBERMAN, le judaïsme et l’islam ont en commun leur attachement à la Loi comme cadre d’organisation, en ayant recours à des sources textuelles canoniques et à l’interprétation de ces textes comme fondation de la pratique. On peut citer parmi les points communs l’existence d’un jour de la semaine spécialement dévolu à la prière, rite éminemment spirituel et en même temps très codifié, qui met l’accent sur la proclamation de l’Unicité divine et la glorification de Dieu. Le jeûne en tant qu’abstention totale de nourriture est une exigence commune au judaïsme et à l’islam. Bien sûr, des différences existent également : ils se tournent vers des lieux différents pour prier par exemple. Yaacov LEV insiste par ailleurs sur la place essentielle de la charité dans la vie juive et musulmane.

PHILOSOPHIE, SCIENCES ET MOUVEMENTS DE PENSÉE

Pour Steven HARVEY, les philosophes musulmans et juifs ont joué un rôle essentiel et même crucial dans la transmission de sa philosophie et de ses connaissances à l’Occident chrétien. Leur âge d’or au Moyen Age est marqué par Avicenne, Averroès (commentateur d’Aristote) ou Maïmonide. Alessandro GUETTA propose dans un article de s’intéresser à l’un des personnages les plus importants et les plus influents de la culture juive médiévale : Saadia Gaon. Les échanges scientifiques entre Orient et Occident sont ensuite montrés par l’étude du milieu philosophique andalou par Makram ABBÈS. Plusieurs exemples d’influences mutuelles sont enfin développés : Karaïtes et mu’tazilisme, la réception des sciences gréco-arabes en hébreu du XIIème au XVème siècle ou les relations entre shiisme et judaïsme.

MYSTIQUES 

Plusieurs courants ésotériques dans le judaïsme et l’islam sont étudiés comme la kabbale et le soufisme. Puis l’islam dans l’imaginaire juif du Moyen Age et les juifs dans la mystique islamique sont évoqués.

LES ARTS ET LA LITTÉRATURE 

Pour Dominique JARRASÉ, une culture juive spécifique s’est développée du fait de son intégration dans les pays musulmans. La synagogue traduit bien l’originalité et la proximité avec la civilisation islamique. On est ainsi passé d’un lieu de culte strictement intérieur et caché, selon la tradition, à un temple israélite symbole d’émancipation et d’intégration à la société moderne. La synagogue de Tolède dite Santa-Maria offre par exemple une réelle parenté avec l’architecture almohade, somptueuse à l’intérieur et austère à l’extérieur. Aussi la poésie hébraïque en Espagne (à Cordoue au Xème siècle) semble être le produit conjugué de la poésie arabe classique et la langue de la Bible pour Masha ITZHAKI. La musique andalouse est un autre exemple, tout comme la littérature judéo-persane.

MEMOIRES ET HISTOIRES EN PARTAGE 

Les travaux universitaires sur les juifs au Maghreb pendant l’époque moderne et contemporaine sont particulièrement abordés. Comme le dit Albert MEMMI : « seule l’histoire pourra rendre compte d’un destin qui n’est pas « simplifiable ».

 

Au final, ce livre de poche rassemble des articles disparates à l’accès plus ou moins facile mais qui permettent d’esquisser les liens, faits de partages et de tensions, entre deux religions et deux cultures. Sa lecture est particulièrement intéressante pour les professeurs d’Histoire qui doivent préparer le premier Thème du programme de 5ème .