Maître de conférences à l’université de Versailles, l’historien Emmanuel Blanchard vient de publier une “Histoire de l’immigration algérienne en France”, relativement courte (127 p.) , mais très dense par son contenu . Il nous livre ici une solide synthèse de ses travaux personnels et des recherches récentes effectuées par ses collègues, sans jamais sacrifier à la schématisation.

Dans son ouvrage, l’au teur aborde le sujet de l’immigration en France selon 3 axes principaux:

  • Il démontre que cette histoire s’inscrit dans la longue durée, souligne “l’épaisseur de son inscription temporelle” et cherche à “restituer le pluralisme de l’immigration algérienne, ses strates et son historicité” (p.5). En effet, “sur le long terme, l’immigration italienne est la seule qui puisse être comparée à celle de l’Algérie” (p.5), mais dans un contexte politique très différent.
  • Il replace le sujet dans le contexte historique et politique de la colonisation de l’Algérie qui, jusqu’en 1962, explique une grande partie des mouvements migratoires entre les deux rives de la Méditerranée. Ce contexte colonial a façonné le regard que les métropolitains portaient sur la figure de l’immigré algérien non seulement avant 1962 mais aussi après l’indépendance.
  • L’auteur privilégie une “perspective d’histoire sociale populaire” (p.7), en abordant les conditions de vie, de travail, de logement, mais aussi, la place des femmes qui ont longtemps été les grandes oubliées de cette histoire.

 

  • Les chapitres

L’ouvrage est divisé en 6 chapitres selon un ordre chronologique. Pour chaque période, l’auteur met en évidence les caractères principaux de cette histoire complexe.

Le premier chapitre sur les migrations avant 1914 analyse les bouleversements de la société algérienne engendrés par la colonisation, son impact sur les communautés rurales et ses conséquences sur les migrations vers la métropole.

Le deuxième chapitre ( de 1914 aux années 30) aborde l’impact de la première guerre mondiale sur l’immigration algérienne. Celle-ci, sans être massive, devient numériquement importante, environ 100000 algériens en 1924. Les années 20 sont le moment où l’immigré algérien devient visible dans la société française et que s’élabore la figure du “déraciné”, qui suscite méfiance et inquiétude, le moment aussi où sont prises les premières mesures de contrôle et de surveillance.

Le chapitre 3, “ des musulmans en métropole” (années 30- 60), comme le titre l’indique, aborde la question encore relativement peu connue sur les pratiques et les vécus de l’islam par les algériens vivant en métropole.

Le chapitre 4, “des algériens politisés”, analyse de façon fort intéressante le processus de politisation des immigrés algériens et la part que ceux-ci ont pris dans l’émergence du nationalisme algérien dans les années 20 et les années 30, puis la participation de ceux-ci à la lutte pour l’indépendance pendant la guerre d’Algérie.

Le chapitre 5, “ des travailleurs immigrés” ( années 50-80) aborde la question sous l’angle économique et sociale pendant la période des 30 Glorieuses quand l’immigration algérienne prend un caractère massif. Formant pour la majorité d’entre eux un “sous-prolétariat” (p.77), c’est dans les années 60 que s’impose l’expression “ travailleur immigré” pour désigner les “français musulmans” devenus algériens en 1962. Employés massivement dans l’industrie aux postes de travail les moins qualifiés et les plus pénibles, les travailleurs algériens sont particulièrement touchés par la crise économique et le chômage à partir de la crise des années 70 et 80.

Le dernier chapitre, “des familles et des jeunes discriminés” s’intéresse plus particulièrement aux conditions de vie et à l’intégration des femmes et de la jeunesse issue de l’immigration, notamment par le biais de l’accès au logement. L’auteur nous rappelle utilement que dès la fin des années 60 et le début des années 70, la concentration des familles immigrées “arabes” dans certains quartiers urbains périphériques commence à être perçue comme un problème pour la société française et qu’apparaissent les expressions de “seuil de tolérance” ou de “seuil critique” (p.105). Le “ problème des banlieues” qui surgit dans les années 80 a donc une origine plus ancienne.

 

  • Conclusion

Emmanuel Blanchard aborde donc dans son ouvrage la question complexe de l’immigration algérienne en spécialiste mais avec empathie. Son livre peut être lu in extenso ou bien consulté, selon l’intérêt de chacun pour des aspects particuliers du sujet, politiques, économiques ou sociaux. Au travers l’exemple du football ( abordé dans l’introduction et la conclusion), Emmanuel Blanchard nous rappelle aussi que l’immigration algérienne s’inscrit dans l’ histoire complexe, douloureuse et passionnelle entre les deux rives de la Méditerranée depuis près de deux siècles; et que cette “histoire franco -algérienne a été au soubassement de la reconfiguration de la xénophobie contemporaine, notamment sous la forme de l’islamophobie”.(P.108)