L’introduction pose le cadre de la réflexion « Il s’agit d’une notion totalement arbitraire qui ne doit son existence qu’à la consolidation que lui ont fait subir, comme on le verra, un certain nombre de savants coloniaux et par la suit d’intellectuels postcoloniaux. D’ailleurs, si le Sahel est un terme d’origine arabe, venu du Nord, il n’existe aucun nom équivalent dans les langues locales du Mali. »(p.9). Le lecteur est prévenu, voilà un ouvrage militantL’auteur Jean-Loup Amselle est anthropologue.

Le Sahel, une catégorie coloniale française

L’auteur montre une Afrique née de la circumnavigation portugaise, car dans l’Antiquité, l’Afrique correspond au rivage du de la Méditerranée.

Mais alors, qu’est-ce que le Sahel ?

Les anthropologues coloniaux ont d’abord repris les divisions arabes : Afrique blanche/Afrique noire, d’Ibn Baṭṭūṭa ou al-ʿUmarī. En France, le terme apparaît à la fin du XIXe siècle avec Auguste Chevalier qui en donne une définition botano-géographique, entre désert et savane.

Dès le milieu du XIXe siècle, Faidherbe propose une division raciale de la région : Afrique noire, Afrique blanche et Afrique rouge(les Peuls).

Parmi les chercheurs français du XXe siècleSur ce sujet, on pourra se rapporter à L’empire des géographes. Géographie, exploration et colonisation (XIXe-XXe siècle), Pierre Singaravélou (dir.), Belin, Collection « Mappemonde », 2008, Raymond Mauny délimite le Sahel en fonction des isohyète 300 mm et décrit au nord un monde de pasteurs berbères et au sud la région des grands États noirs (Takrur, Ghana, Songhay, Kanem…). Théodore Monod reprend les mêmes caractéristiques pour cette zone de transition. Pour Jean-Loup Amselle, Jean Gallais en donne « l’expression la plus achevée » où la latitude partage nomades et sédentaires.

Denis Retaillé a, lui, déconstruit la notion en rattachant le nord au désert et en rappelant l’axe commercial ancien transsaharien.

Depuis les années 1970, le Sahel est perçu comme une région à problèmes économiques avec la longue sécheresse et sociaux. Plus récemment, la crise est politique depuis la chute de Kadhafi. L’auteur récuse l’idée d’un conflit interethnique.

Le formatage de l’intellectuel sahélien francophone

L’auteur propose, comme il l’écrit lui-même, une lecture politique de la littérature et du cinéma africain francophone, leur reprochant une forme d’islamophobie. Le reproche porte, à la fois, sur une ethnicisation du récit, un afro-futurisme et le fait de projeter le féminisme occidental sur les sociétés sahéliennes, reprenant le mot « fémonationalisme », forgé par Sara Farris.Dans son ouvrage : In the Name of Women’s Rights: The Rise of Femonationalism, paru en 2017 (Durham, Duke University Press) – voir la présentation dans Nouvelles Questions Féministes 2018/1 (Vol. 37), pages 144 à 147 Sur les féminismes, en Afrique on pourra lire : « Féminismes africains, une histoire décoloniale » de Rama Salla Dieng (une universitaire sénégalaise, maîtresse de conférences en Développement International et Études Africaines à l’Université d’Edimbourg,(éd. Présence Africaine, 2021)

Sans aucune objectivité, l’auteur dénonce les prix littéraires accordés à des écrivains africains comme David Diop, Djaili , Sarr comme forme d’asservissement culturel des intellectuels « françafricains ». Il dresse des portraits au vitriol : Mohamed Mbougar Sarr qualifié d’« homonationaliste », Djaïli Amadou Amal, Prix Goncourt des lycéens pour «Les Impatientes» de « fémonationalisme »… une hostilité affichée à Mariama Bâ, Seudou, David Diopauteur notamment de Frère d’âme.

Pour l’auteur, toute critique de l’islam radical par un Africain est inacceptable. Une telle analyse, très partiale, n’est guère recevable. Pour connaître un peu des Africains, non de la capitale, mais des petites villes ou villages loin du centre, j’ai rencontré bien des Sénégalais musulmans très critiques de cet islamisme intégriste, mais aussi des femmes qui dénoncent l’excision, les mariages précoces et la polygamie.

Le crime de ces intellectuels comme Soulayman Bachir Diagne serait de préférer un islam soufi ou pour Tidiane N’Diaye, auteur du génocide voilé d’avoir dénoncé la traite arabe. Les cinéastes ne trouvent pas non plus grâce aux yeux de ce juge impitoyable, Abderrahmane Sissako pour avoir dénon la situation au Mali dans son film Timbuktu, en 2014.

Le chapitre se termine par une diatribe contre Léopold Sédar Senghor dont la négritude ferait trop de place à l’animisme.

L’ethinicisation du conflit sahélien

Jean-Loup Amselle évoque la fascination française pour les « hommes bleus » du désert puis le « fantasme » à propos des Peuls vus comme un groupe charnière entre désert et Afrique noire. Pour l’auteur, cette identité targuie ou peule ne correspond qu’à une élite qui nie les mélanges entre groupes. Il s’appuie sur l’insurrection dirigée par Hamadoun Kouffa, chef de la katiba Macina, un Peul d’origine modeste en rupture avec les descendants de Cheikou Amadou, le fondateur de l’empire peul du Macina au début du XIXe siècle dont il fit détruire le mausolée à Tombouctou.

Quant aux Mandingues, sédentaires constituant l’élite du Sud, il les présente comme un fantasme ; ils représenteraient, aux yeux des Occidentaux, un islam modéré.

Ce tableau se poursuit par un rappel de l’histoire malienne depuis l’indépendance : moment de « communion communautaire » sous Modibo Keïta qui prendrait fin vers 1993 avec l’arrivée au pouvoir du président Alpha Oumar Konaré. Pour l’auteur, les conflits actuels entre Peuls et Dogons ne peuvent être un conflit ethnique, les affrontements ont des causes multiples. Sans doute, cependant, il est difficile de suivre le raisonnement de l’auteur qui, par ailleurs, montre un durcissement de l’identité mandingue depuis la publication de l’épopée de Soundjata (1960) ravivant l’ancienne opposition entre l’empire du Mali médiéval et l’empire peul du Macina.

Rhétoriques du pouvoir au Mali

L’histoire de la région est proposée dans une perspective transhistorique (p. 98). C’est le chapitre le plus intéressant. L’auteur décrit deux modèles de pouvoir, hiérarchique et égalitaire, issus de la tradition précoloniale.

Le modèle hiérarchique découle de la Charte de Kurugan Fuga de Soundjata (ou Charte du Mandé) qui définit la une société de castes, des lignages liés par des pactes politiques et s’appuyant sur l’esclavage. Ce modèle a été dominant de Soundjata à Samori. La lecture proposée de l’histoire malienne renvoie assez largement à la lutte des classes. Depuis l’indépendance, l’armée est perçue comme à la fois régulatrice et perturbatrice du politique.

Face à l’histoire magnifiée des guerriers, la tradition, puisant aux mêmes sources propose une vision égalitaire : le « serment des chasseurs », interprétation très présente parmi les Dogons. L’actuel pouvoir militaire n’hésite pas à y faire référence comme lors de l’intervention télévisée du putschiste Amadou Sanogo où il apparaît portant la tunique des chasseurs (23 mars 2012).

L’excision et l’homosexualité comme enjeux politiques au Mali

Quelle compréhension possible de ces phénomènes au Mali ?

L’analyse de la pratique de l’excision montre une pratique pré-islamique, incomplètement réappropriée par les Musulmans. Elle est aussi instrumentalisée dans l’espace public par certains chefs religieux comme Mahmoud Dicko. Elle devient un enjeu politique. Sa condamnation est alors assimilée à une occidentalisation, de l’élite laïque, instrument des Blancs.

Concernant l’homosexualité, considérée comme ne faisant pas partie de la tradition africaineDéclaration du président sénégalais Macky Sall en 2013), elle est combattue avec violence.

L’auteur pose la question : le Mali, une république laïque ? Dans les textes, c’est le cas, mais l’islam imprègne le vie sociale et politique : poids des leaders religieux, influence de l’Arabie Saoudite.

Le Sahel fantôme

La conclusion de l’auteur réaffirme la non-existence du Sahel comme région :

« C’est la projection d’un imaginaire fantomatique, d’une partie d’ l’Afrique rêvée, d’un terrain d’aventures où se poursuivent les fantasmes d’une caste de militaires nostalgiques d’une époque révolue, celle d’un temps où la France comptait encore sur la scène internationale, mais où elle ne peut même plus désormais jouer à la guerre.citation p. 147 »