On ne présente plus l’auteur, professeur émérite de l’université Paris I Panthéon-Sorbonne. connu pour ses centres d’intérêt divers et des approches particulières de l’histoire.

Après la pluie1, l’ombre2 ou le silence3, dans ce nouveau livre Alain Corbin se propose de faire l’histoire des sentiments, des émotions que procure l’herbe depuis l’Antiquité et ce à travers la littérature.

L’herbe et la scène originelle

Dans le premier chapitre il traque l’herbe dans tous les textes des écrivains, des penseurs de l’Antiquité au Moyen Âge, de Victor Hugo à Francis Ponge et tout particulièrement les herbes folles chantées par les poètes mais haïes du jardinier, dénoncées par Olivier de Serres ou les auteurs anglais des XVIIe et XVIIIe siècles, sacralisées par l’américain Henri David Thoreau.

L’enfance et l’herbe–mémoire

L’auteur montre comment ce premier contact enfantin avec l’herbe a marqué certains écrivains par l’odeur ou l’expérience tactile : George Sand, Julien Gracq et plus récemment Nicolas Delesalle4 mais aussi Rousseau ou Bernardin de St Pierre. C’est une longue liste d’auteurs qui associent l’herbe à leurs souvenirs d’enfance, comme une promenade dans la bibliothèque d’Alain Corbin.

L’expérience du pré

Étendue d’herbes, le pré est associé au paysage, au ruisseau quand l’eau assure la pousse de l’herbe et à la floraison de nombreuses espèces.

Le chapitre 4 aborde une nouvelle déclinaison : La prairie ou la « plénitude herbeuse ». Comme au chapitre précédent Alain Corbin commence sa promenade littéraire par la définition médiévale du mot. Cet espace plus vaste que le pré évoque aussi une pratique anglo-saxonne : marcher dans la prairie de hautes herbes, sensation de plaisir aussi pour Fleur de Marie dans Les mystères de Paris d’Eugène Sue ou chez Zola dans La faute de l’abbé Mouret.

Aux États-Unis la prairie est l’espace même, le territoire des Indiens. L’auteur évoque la transformation de cet espace au XIXe siècle.

L’herbe, asile d’un instant

C’est le repos chanté par René Char qui ouvre ce chapitre, plaisir d’être couché dans l’herbe de Lucrèce à John Cowper Powys5, l’épisode du repos dans l’herbe est très présent dans la littérature épique du XVIe siècle.

Le petit monde de l’herbe

« L’herbe n’est pas que verdure. Elle abrite un monde dont il est difficile de pénétrer la diversité.. »6

Alain Corbin cherche dans les textes ces petites bêtes : abeilles, cigales, sauterelles ou couleuvres, monde fragile pour le jeune Werther ou guerres d’insectes de Victor Hugo.

« L’herbe plus douce que le sommeil » (Leconte de Lisle)

Voilà un chapitre en forme de bilan des émotions bucoliques. L’auteur analyse la première expression antique qu’il nomme « imaginaire arcadien », souvent associé au berger, au dieu Pan c’est un monde entre nature sauvage et culture, un monde rêvé comme l’exprime Virgile dans Les bucoliques » . Cet imaginaire, repris à la Renaissance tant dans la littérature7 que dans la peinture est présent jusqu’au XIXe siècle par exemple dans les Poèmes antiques de Leconte de Lisle.

L’auteur décrit une autre approche plus anthropomorphique : la joie de l’animal dans l’herbe, déjà présente dans l’Antiquité il la retrouve chez Olivier de Serres, Philippe Jaccottet8 ou Thoreau.

Les odeurs de la fenaison

Le travail de l’herbe et son spectacle sont présents dans les représentations et les textes médiévaux. Les gestes et les préoccupations furent, d’après Alain Corbin, les mêmes jusqu’au milieu du XXe siècle. Il retrouve dans les romans l’importance de l’herbe pour les lapins, le geste du faucheur (Giono), les mots aristocratiques de Madame de Sévigné décrivant une scène de fenaison sans en mesurer le labeur, les écrits techniques d’Olivier de Serres ou l’odeur de l’herbe coupée chère à Colette.

Le neuvième chapitre, Les herbes de la distinction, est consacré aux pelouses, l’herbe d’agrément, un spectacle ordonné, une nature maîtrisée de l’idéal de beauté et de civilité des jardins anglais aux jardins publiques installés sous le Second Empire à visée hygiéniste étudiés par Louis-Michel Nourry9. Le chapitre traite aussi des pelouses des banlieues nord-américaines, symboles de la classe moyenne blanche avant d’aborder les pelouses artificialisées des stades jusqu’à la pelouse synthétique.

« Deux pieds de marbre blanc brillent sur l’herbe verte » (Lamartine)

Quand l’herbe est associée à la séduction féminine l’auteur évoque le pied nu dans l’herbe, objet de rêverie de l’Antiquité à Dante, de Madame de Scudéry à Mallarmé.

«L’herbe, lieu d’une «grande fornication » (Zola)

Après la séduction, les gestes érotiques sont ici associés à la prairie. L’auteur analyse comment les écrivains depuis le XIXe siècle ont contourné la censure : Zola (La faute de l’abbé Mouret), Giono (Regain, Chant du monde), Paul Gardenne, John Cowper Powys, Claude Simon (L’herbe).

L’herbe des morts

L’image de la « grande faucheuse » rapproche le pré de la mort mais aussi l’herbe des cimetières qui recouvrent les morts anciennes, l’herbe est ainsi associée aux ruines. Le pré lieu du duel ou l’herbe tueuse de la ciguë, nombreux sont les textes qui associent l’herbe et la mort.

Un rapide épilogue pose la question de la place de l’herbe en ce début de XXIe siècle où l’enfant semble bien loin de la fraîcheur de l’herbe.

1  Histoire buissonnière de la pluie, Champs Flammarion, 2017

2 La douceur de l’ombre : l’arbre, source d’émotions de l’Antiquité à nos jours, Fayard, 2013

3  L’Histoire du silence, Albin Michel, 2016

4 Un parfum d’herbe coupée, Préludes 2015

5 Écrivain britannique (1872-1963) auteur de : Wolf Solent, Gallimard , 1967 ; Les enchantements de Glastonbury, Gallimard (1975-1976)

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7 Le concert champêtre du Giorgione

8 Poète suisse du XXe siècle

9 historien spécialiste des jardins et du paysage, professeur honoraire des Écoles nationales supérieures d’architecture