Cette bande dessinée publiée par un éditeur albigeois, les éditions grand sud compte parmi ses scénaristes et comme conseiller historique notre voisin des Corbières, Gauthier Langlois. C’est dire tout l’intérêt que nous lui portons, et cela constitue pour nous, qui suivons les travaux de notre collègue avec beaucoup d’attention, une garantie de qualité.

Cette histoire de Carcassonne, au fil des siècles, ou plutôt ces histoires de Carcassonne s’étendent de la fin du XIIe siècle jusqu’au début des années 90. Ce sont des dessinateurs régionaux qui ont réalisé les planches, avec chacun un style très différent, ce qui présente l’avantage d’avoir en un seul album les différentes tendances en matière de graphisme.

Ce sont donc huit histoires de Carcassonne successives qui sont proposées aux lecteurs. On reconnaît la patte de Gauthier Langlois avec les présentations historiques qui ouvrent chacune des histoires, véritables mises en situation qui permet au lecteur de comprendre le contexte dans lequel se déroule cette aventure dont la ville de Carcassonne est le personnage principal.

Au XIIe siècle, ce sont encore les Trencavel, vicomte d’Albi et de Béziers qui dirige le comté, accueillant des troubadours qui chantent l’amour courtois et l’idéal aristocratique appelé le paratge. La première histoire se déroule au moment où une grande fête est donnée en l’honneur du seigneur de Montpellier, ce qui permet à un troubadour de raconter à un enfants curieux l’origine de la cité de Carcassonne avec la légende de dame Carcas. Ceci mérite qu’on la raconte, puisqu’elle rappelle l’occupation arabe de la ville pendant près de 35 ans pendant la première moitié du huitième siècle. La légende raconte que la cité a été assiégée par Charlemagne et que l’émir Balaak refusant de se soumettre a été décapité. Sa veuve dame Carcas prend la défense de la cité, mais à l’occasion d’un défi lancé par le comte Rogier à son frère, elle tombe amoureuse du vainqueur, le beau Rogier. Cela n’empêche pas cette dame à poigne de défendre la cité pendant encore sept ans, et même de tromper les francs en projetant du haut des remparts la dernière truie nourrie avec le dernier sac de blé dont disposaient les défenseurs de la cité. Devant une telle abondance présumée de nourriture les francs lèvent le siège, avant d’être rappelés par Dame Carcas, qui finit par livrer la ville à l’empereur et par convoler en justes noces avec le beau Rogier. Les esprits chagrins pourraient s’interroger sur le caractère halal de cette truie jetée par-dessus les remparts par la veuve d’un chef arabe, mais cette histoire montre peut-être que l’on était moins regardants sur ces questions à ces époques reculées.

La ville assiégée

La seconde histoire traite du siège de la cité par Simon de Montfort pendant la croisade des albigeois en 1209. À la même époque les chevaliers francs brûlés la population de Béziers dans l’église de la Madeleine. La ville finit par se rendre devant les croisés mêmes si la croisade en réalité ne fait que commencer.
La ville connaît une période de prospérité lorsqu’elle devient en 1226 le siège du pouvoir royal en Languedoc. Des travaux de fortification, ce qui sont d’ailleurs les plus visibles aujourd’hui, sont entrepris, tandis que se développent simultanément une ville basse de l’autre côté de l’Aude ; la ville reprend d’ailleurs les caractéristiques des bastides méridionales avec le plan en damier.
Carcassonne devient pendant cette période une ville drapante, sans doute moins connue que Bruges ou Gand, mais l’on oublie souvent que le Languedoc a été jusqu’au XVIIIe siècle une terre manufacturière, particulièrement prospère lorsqu’il s’agissait, notamment au XVIIe siècle d’alimenter le marché espagnol. Paradoxalement, y compris en Languedoc, beaucoup ignorent ces épisodes manufacturiers d’un territoire qui ne s’est converti à la viticulture de masse qu’au milieu du XIXe siècle.

La ville brûlée

La cité connaît les turbulences de la guerre de 100 ans, et la ville basse et ses prospères ateliers sont détruits par le prince noir en 1355.
La cité toutefois reconstruite sur le même plan, mais elle ne peut retrouver sa population d’origine largement diminuée par les épisodes guerriers et par la grande peste de 1348 qui a également frappé le Languedoc. La cité de Carcassonne perd peu à peu de son importance militaire tandis que la ville basse se développe. C’est pourtant la cité qui bénéficie de privilèges fiscaux et d’exemptions, ce qui est à l’origine de la révolte des Carcassonnais, révolte anti fiscale, en 1382.
L’histoire en bandes dessinées raconte la visite de la reine de Navarre en 1538, sœur du roi François Ier, connue sous le nom de Marguerite d’Angoulême. Gauthier Langlois qui est le scénariste de cette histoire réinventant en quelque sorte Roméo et Juliette en permettant à un jeune poète d’épouser la fille du sculpteur à l’origine de la statue allégorique de dame Carcas dont les traits auraient été inspirés par ceux de la reine de Navarre.

La ville drapante

Au XVIIe siècle, comme cela a été souligné plus haut, la ville basse renforce son hégémonie, à la fois au niveau économique en renforçant son statut de ville drapante mais aussi comme centre religieux avec la relique installée dans le couvent des Augustins, un suaire de soie qui aurait servi envelopper une partie du corps du Christ. Il existe même une sorte de guerre des reliques entre la ville haute et la ville basse, puisque la cité s’enorgueillit de posséder le bras de Sainte-Anne.

La ville et le Canal du Midi

La ville de Carcassonne est également concernée par le canal réalisé par Pierre-Paul Riquet. Ce dernier avait prévu de faire passer son ouvrage par la ville de Carcassonne mais ses édiles refusent d’en assumer le coût. Pierre-Paul Riquet fait passer le canal de kilomètres plus au nord, et à ce moment-là les habitants de la ville basse mesurent le coût de leur erreur. Il leur faudra plus d’un siècle pour obtenir un nouveau tracé qui sera inauguré triomphalement au printemps 1810. L’âge d’or du canal ne dure pourtant pas longtemps. Le 2 avril 1857 le premier train arrive dans la nouvelle gare située près du port. Le canal connaît alors un lent déclin.
Pendant que la ville basse connaît une intense activité, la cité médiévale tombant ruine. Considérée comme obsolète en tant que place forte depuis 1804, elle est peu à peu grignotée par les entrepreneurs du bâtiment qui s’en serve de carrière. C’est l’historien François Guizot qui en créant le poste d’inspecteur général des monuments historiques et en confiant ce poste à Prosper Mérimée qui est à l’origine du classement de la cité, tandis que l’archéologue Carcassonnais Jean-Pierre Cros, charge l’architecte Eugène Viollet-le-Duc d’effectuer les restaurations. Celles-ci ont été contestées d’ailleurs par beaucoup de puristes, qui se sont étonnés de la pose de certains toits en ardoise au sommet de quelques tours, mais ces réalisations ont finalement sauvé la cité d’une destruction inéluctable. Les histoires sont plaisantes, et les scénarios des histoires de quatre à cinq planches suscitent l’intérêt et s’inscrivent très clairement dans l’histoire de la cité.

Bruno Modica

  • On pourra trouver de précieux éléments d’informations sur le site de Gauthier Langlois

http://paratge.wordpress.com/publications/histoires-de-carcassonne/