Reçu en même temps que l’autre bande dessinée de la collection Marabulles, « les pieds noirs à la mer », cet album de Sergio Colomino et Jordi Palomé et une très heureuse surprise. Dans cette conspiration de Barcelone, on retrouve le personnage de Sherlock Holmes, présenté par l’un des spécialistes de l’œuvre de Sir Arthur Conan Doyle, Don Hobbs.
Cette bande dessinée peut être qualifiée d’historique, dans le sens où l’action se déroule dans un contexte extrêmement précis, et par ailleurs assez mal connu, qui est celui de l’histoire de la Catalogne à la fin du XIXe siècle. Si notre public de professeurs est assez familier de l’histoire de la construction du mouvement ouvrier en France dans les années 1880, avec le développement simultané du mouvement socialiste et de l’anarchisme, avec sa branche anarcho-syndicaliste, il l’est sans doute moins de celle de la Catalogne à la même époque.
Dans cette Espagne qui connaît une période troublée avec les guerres carlistes, la Catalogne, et particulièrement la ville de Barcelone, connaît un foisonnement intellectuel et artistique exceptionnel, illustré par la Sagrada Familia de Gaudi, sur fond de développement économique rapide. La classe ouvrière, et cela n’apparaît pas forcément dans l’album, n’est pas exclusivement catalane, mais vient des différentes régions d’Espagne, bien moins développées que la Catalogne.
La tentation de Bakounine
C’est pourtant dans l’aristocratie ouvrière des imprimeurs que se développent les idées révolutionnaires, avec une diffusion plus large que dans d’autres pays, en Allemagne par exemple, des idées de Mikhaïl Bakounine, l’adversaire de Karl Marx et de Frédéric Engels, exclu de la première internationale en 1872. La division entre socialistes « étatistes » et anarchistes vient de cet épisode.
Dans cette conspiration de Barcelone le personnage de Sherlock Holmes croise ses anarchistes catalans, conspirateurs, nihilistes et partisans, comme leurs homologues russes à la même époque de l’action directe, c’est-à-dire de l’usage du terrorisme, que l’on appelait alors « la propagande par le fait ».
L’histoire est compliquée, le suspense soutenu, et l’on se demande vraiment quels sont les ressorts de cette série d’attentats, dictée par une organisation bien mystérieuse dirigée par un personnage énigmatique « le colonel ».
Une réalisation impeccable
Le dessin de Jordi Palomé, réaliste et précis et un véritable bonheur pour l’amateur de bandes dessinées. La disposition des planches est bien adaptée à ce format en 18 X 27, sans mise en page déroutante, ce qui est souvent le cas hélas ! Et avec un choix tout à fait pertinent du décor et des couleurs, dans les dominantes sombres qui portent parfaitement l’histoire en recréant cette atmosphère de complot. On se retrouve, lorsque l’on connaît un peu la ville de Barcelone, ou plutôt lorsque l’on a connu cette cité pendant la période franquiste, dans ces quartiers du Barrio Chino ou sur les hauteurs de Mont Juich. Pendant que la bourgeoisie catalane se faisait construire de somptueuses demeures sur les grandes avenues de la ville, le peuple de l’abîme espérait en un avenir meilleur. Mais le personnage de Sherlock Holmes, davantage agent secret d’un service action que détective en robe de chambre dans son appartement de Baker Street, montre que ces espoirs peuvent être détournés par une conspiration qui vise à maintenir l’ordre établi. Mais cet espoir des anarchistes catalans n’en a pas fini d’entretenir cette relation compliquée avec l’histoire de l’Espagne, puisque l’on la retrouve quelques décennies plus tard pendant la guerre civile espagnole. L’élégant Sherlock Holmes sera alors remplacé par les agents froids du Komintern au service de Staline.
Bruno Modica