Ce numéro confirme les impressions positives procurées par les deux premiers : solidité du contenu, clarté de la mise en page, abondance, variété et parfois originalité de l’iconographie, souci pédagogique manifesté par les courtes biographies, les mises en perspectives chronologiques et la cartographie. Il est consacré aux mois de janvier et février 1940 : l’Europe s’enfonce dans la Drôle de guerre tandis que le Japon poursuit ses opérations en Chine dans une apparente indifférence générale.

Les chroniques de janvier et de février 1940 sont composées de «brèves» et de très courts articles d’une grande diversité, c’est la loi du genre : le martyre des juifs polonais, les attaques des sous-marins allemands dans l’Atlantique, la guerre d’hiver en Finlande, les records de froid dans toute l’Europe, le rationnement, le voyage en Europe du sous-secrétaire d’Etat américain Summer Wells, l’agitation en Palestine etc.

Trois articles composent la partie magazine, consacrés à l’analyse du film de Jean Renoir La Grande illusion, aux affiches antisémites en France et à l’immigration dans les années 1930 (« Tentations xénophobes d’une France en crise »)

Daniel Cordier : « Ce n’était pas ce que je voulais ».

La revue s’ouvre sur un long entretien avec Daniel Cordier qui revient sur sa réaction de jeune militant d’Action Française à la défaite et à la demande d’armistice, son départ pour Londres, son engagement dans les FFL, son recrutement par le BCRA, son premier contact avec Jean Moulin. Il réfléchit sur l’antisémitisme de sa jeunesse et sur son évolution politique qui le conduisit à devenir un homme de gauche, sur ses regrets enfin : « Je ne me suis pas battu (…) Je n’ai pas tiré un seul coup de feu (…) Si c’était à refaire, je repartirais à Londres, mais je resterais avec mes camarades pour faire la guerre. En dépit de Jean Moulin. Ce n’était pas ce que je voulais. ».

La dizaine d’articles qui constituent l’essentiel de ce numéro traitent de trois thèmes principaux : la guerre en Asie, la Drôle de guerre en Europe, les sociétés européennes à la fin des années 1930.

La marche à la guerre en Asie orientale

Jean-Louis Margolin signe un long article consacré à « la marche à la guerre en Asie orientale ». Il retrace les grandes étapes de la politique extérieure japonaise depuis 1895 et montre le rôle essentiel de la Première Guerre mondiale dont le Japon est sorti géopolitiquement et économiquement renforcé, en quelque sorte encouragé à de prochaines agressions.

De 1919 à 1931, le Japon semble osciller entre des velléités de concertation internationale et le retour à une politique de force. Mais dès 1927, la décision est prise de s’emparer de la Chine et de la démembrer.
De 1931 à 1937, il s’applique à la « grignoter », encouragé par les faibles protestations des autres puissances. Tandis que les militaires interviennent de plus en plus fortement en Chine et qu’il s’isole sur le plan international, le Japon voit s’effondrer les éléments de sa démocratie parlementaire. Après le refus chinois de se soumettre, c’est l’invasion à grande échelle en 1937 et de larges succès pendant deux ans.

En 1940 et 1941 le contentieux s’alourdit avec les Etats-Unis, inquiets de voir le Japon dominer l’Asie du Sud-Est. Le durcissement de l’Administration Roosevelt est soutenu par l’opinion publique jusque-là très isolationniste, en effet « contrairement à une légende persistante, le président n’eut pas à pousser ses concitoyens vers l’entrée en guerre ». Le Japon fait finalement le pari d’une victoire rapide et d’une vaste conquête qui réduise les États-Unis à l’impuissance, le temps que l’URSS s’effondre sous les coups de l’Allemagne. « Un double pari pour le moins risqué » dont le général Tojo prend la responsabilité avec la complicité de l’empereur.

Aspects stratégiques

Trois articles sont consacrés aux aspects militaires de la Drôle de guerre. François Delpla analyse les conceptions des militaires allemands (Erich von Manstein, Gerd von Rundstedt, Feder von Bock, Heinz Guderian) sur l’arme blindée et les compare à celles du colonel de Gaulle, remettant l’ensemble en perspective dans un rappel des théories du général Estienne et de l’action logistique du capitaine Doumenc.

Vincent Bernard propose, cartes à l’appui, une présentation de la stratégie alliée et de son évolution : « Gagner du temps », « Les vicissitudes du plan Jaune », « La tentation des Balkans », « La tentation du Caucase », « La tentation scandinave : couper la route du fer ».

Yann Mahé présente la ligne Maginot et montre que dans toute l’Europe (et même jusqu’en Tunisie), on construit des lignes fortifiées. Il en rappelle la genèse puis en décrit le tracé, la structure et l’organisation. Un petit article est consacré aux corps francs, formations spécialisées chargées de lutter contre les incursions ennemies et de pénétrer en territoire ennemi, au sein desquelles s’illustrèrent Joseph Darnand et le futur général Bigeard.

Aspects sociaux et politiques

Ce numéro consacre une large place aux aspects politiques et sociaux. Bernard Lachaise présente l’extrême droite en France du 6 février 1934 au 10 juillet 1940. Tenant compte des recherches récentes et des polémiques sur l’existence ou non d’un « fascisme français », il propose dans un article concis, nuancé et richement illustré une synthèse de qualité.

Sous le titre « Sociétés d’Europe à l’orée des Années noires » sont proposés trois articles consacrés à l’évolution économique et sociale de la France au cours des années 1930, au sort de la Pologne occupée (« Une nation promise à la destruction » ; « L’extermination de l’intelligentsia polonaise » ; « L’État clandestin polonais » ; « L’émergence précoce de la résistance polonaise »), à l’opinion allemande face à la guerre qui débute (le peuple n’est pas enthousiasmé par la guerre et le régime achète la paix sociale).

La couverture du magazine fait référence à un article consacré aux SS. Cet article ne manque pas d’intérêt mais ce choix de couverture, sans doute fondé sur des raisons commerciales, ne traduit ni le contenu ni la richesse de ce numéro.

© Joël Drogland