François Kersaudy est un historien déjà bien connu pour ses biographies sur Hitler, Winston Churchill, Staline ou le général De Gaulle ainsi que pour son livre Les secrets du Troisième Reich (Perrin 2013). Auteur d’une première biographie du maréchal Goering (Perrin, 2009), il nous livre ici une nouvelle version qui prend place dans la collection « Maîtres de guerre » de chez Perrin. Il est tout d’abord à noter que c’est un très bel objet, agréable à lire et bénéficiant d’une abondante iconographie illustrant à merveille le propos de François Kersaudy. Au fil des pages et d’une lecture agréable, le lecteur découvre un personnage haut en couleur et aux multiples facettes : ambitieux, orgueilleux, démesuré, morphinomane mais dotée d’une certaine intelligence ainsi que d’un indéniable charisme. L’historien s’attache à retracer le parcours de ce « maître de guerre » qui est à la fois un des plus hauts responsables de l’ascension comme de la chute de l’Allemagne nazie. 

Vie de château, guerre … et après-guerre

François Kersaudy revient tout d’abord sur l’enfant turbulent qu’était le jeune Hermann. Né en 1893, d’un père ancien militaire devenu ministre résident en Afrique du Sud puis consul général en Haïti, il subit très tôt l’influence de son parrain le docteur Epenstein qui va offrir à la famille Goering une vie de château en leur permettant de résider au château de Veldenstein et en les invitant à celui de Mauterndorf. Cette éducation rend vite Goering arrogant, orgueilleux et indiscipliné, ce qui lui vaut des renvois de plusieurs établissements scolaires. Il entre finalement à l’école des cadets de Karlsruhe où il découvre avec passion la vie militaire et où il se sent « comme un héritier de toute la tradition chevaleresque allemande ». Il poursuit à l’académie militaire d’où il sort sous-lieutenant. Affecté au 112e régiment d’infanterie de la 6e armée, il stationne à Mulhouse lorsque débute le premier conflit mondial.

Durant ces quatre années, son ascension est fulgurante. Il abandonne rapidement les simples missions de reconnaissance pour devenir pilote de chasse et même commandant de l’escadrille von Richthofen dans les derniers mois de la guerre ! Son courage et sa témérité lui valent d’être décoré de la croix de fer ainsi que de la croix « Pour le Mérite » (des mains du Kaiser lui-même). Mais, l’année 1918 marque un coup d’arrêt pour Goering. Démobilisé et de retour en Allemagne, il se sent comme un « étranger », il veut « rendre à la patrie sa grandeur perdue ». A Berlin, lors d’un discours enflammé devant des officiers, il dénonce le « coup de poignard dans le dos » et il accuse les « porcs » qui ont outragé le peuple allemand ainsi que ses traditions. Un temps recherché par les soviets d’ouvriers et de soldats, il se retrouve sans pension militaire et sans espoir d’ascension dans la Reichswehr.

Mais Goering n’est pas homme à se laisser abattre, il se relance dans l’aéronautique civile en tant que pilote au Danemark (grâce à Anthony Fokker) puis en Suède où, grâce à sa rencontre avec l’aristocrate Eric von Rosen, il rencontre Carin, sa future épouse. Il devient par la suite instructeur et agent commercial pour une société de parachute. « Politiquement orphelin depuis la chute du Kaiser » (p.43), il est de retour à Munich à l’été 1921. Poussé par Carin, Goering s’intéresse à l’agitation politique grandissante des ligues et partis d’extrême droite qui développent un discours antisémite, antiparlementaire, anticommuniste, anticléricale, … En octobre 1922, il croise un certain Adolf Hitler sur la Königsplatz, il est rapidement fasciné par ce leader charismatique qui se livre à d’interminables logorrhées aux accents nationalistes et antisémites. Goering adhère au NSDAP et se voit rapidement confier la responsabilité des SA.

Du putsch raté à la conquête du pouvoir

Hitler, fort du soutien de Ludendorff, pense pouvoir utiliser le triumvirat von Kahr/von Lossow/von Seisser afin de marcher sur Berlin. Le 8 novembre 1923 au soir, Goering entre dans la Bürgerbräukeller « en trombe avec l’air d’un Wallenstein en campagne » (p.55). Mais la suite de la soirée tourne mal pour les putschistes (qui ne sont en réalité qu’une soixantaine d’hommes !). Le lendemain à 11h00, la décision est prise de porter secours à Roehm en difficulté en espérant que la foule se soulèvera en faveur du coup d’état. La police barre la route à ce cortège mené par Hitler, Goering, Ludendorff ou encore Rosenberg. Des échanges de tirs mettent fin aux ambitions nazies, Hitler s’enfuit, Goering est touché à la cuisse mais réussit à fuir et le soir il est soigné dans une clinique tenue par un sympathisant nazi.

Exfiltré à Innsbruck afin d’y être soigné, c’est là que commencent les injections de morphine. Loin de l’Allemagne et d’Hitler qui refuse qu’il se présente au procès de Munich, Hermann tente d’organiser le parti nazi en Autriche et de lever des fonds. Les mois qui suivent sont difficiles : il se rend en Italie afin de rencontrer Mussolini qui ne le reçoit même pas (mai 1924), ses ressources financières s’amenuisent, il est de retour Suède comme pilote de ligne, les injections de morphine se multiplient, les cures de désintoxication aussi …

La loi d’amnistie pour les exilés poursuivis pour haute trahison va permettre à Goering de revenir en Allemagne (novembre 1927). Il s’empresse de retrouver Adolf Hitler qui, après l’avoir congédié, voit en lui un atout pour les élections au Reichstag à venir. François Kersaudy décrit alors l’ascension de l’ancien pilote … une ascension politique fulgurante. Inscrit en 7ème position sur la liste du NSDAP, Goering est tout de même élu avec les 2,6% des voix du parti qui voit entrer au Reichstag 12 députés. Il devient vite un député vénal pour qui le lobbying n’a aucun secret. Il reçoit de très nombreuses commissions de la Lufthansa, de BMW ou de Metterschmitt qui trouvent en lui un appui de poids au Reichstag. La crise économique et sociale favorise l’instabilité ministérielle et Hindenbourg dissout le Parlement en juillet 1930. Aux élections de septembre, le NSDAP obtient 107 sièges et devient le 2ème parti après le SPD, ce qui permet à Goering de devenir le président du Reichstag. Le 13 octobre, il y fait son entrée … en chemise brune.

Il s’active et active ses réseaux afin de faire la propagande du nazisme, d’intriguer et d’intimider, le but ultime étant désormais l’accession au pouvoir. A l’extérieur, il est cette fois reçu par Mussolini mais ni le pape ni le cardinal Pacelli ne lui réservent cette faveur (mai 1931). A l’intérieur, l’instabilité politique est grandissante. Carin décède, ce qui n’empêche pas Goering de jeter ses forces dans l’élection présidentielle de 1932 afin de soutenir Hitler face à Hindenburg. Si ce dernier l’emporte, la propagande fait de Hitler une vraie figure nationale. Les nouvelles élections au Reichstag de fin juillet permettent au NSDAP d’obtenir 230 sièges mais après la dissolution et le nouveau scrutin de novembre, le parti d’Hitler perd 34 sièges. Après von Papen, c’est von Schleicher qui devient chancelier. Hitler, se retire alors à Munich. Ici, Goering joue un rôle d’entremetteur et d’intriguant en rencontrant Hindenburg et von Papen qui souhaite revenir au pouvoir. Il tente « de calmer Hitler, de rassurer Hindenburg, de satisfaire von Papen ». Le 28 janvier 1933, von Schleicher démissionne, le 30 Hitler est reçu par le président qui le nomme chancelier.

Goering est partout … et nulle part

A partir de là, Goering multiplie les titres et les charges : en plus de la présidence du Reichstag, il devient ministre de l’Intérieur de Prusse, ministre de l’Air, maître des chasses du Reich, maître des Eaux et Forêts, … . Il purge l’administration, fait arrêter les opposants, fait ouvrir les premiers KL, fait invalider les 80 sièges communistes suite aux élections de mars permettant ainsi le vote des pleins pouvoirs et instrumentalise l’incendie du Reichstag à des fins politiques. Goering et les autres dirigeants nazis intriguent et les ambitions des uns et des autres se heurtent bien souvent. François Kersaudy revient notamment sur ces manigances qui favorisent l’élimination de Roehm, des SA et de tous ceux qui gênent lors de la « nuit des longs couteaux » (von Kahr est même découpé en morceaux dans les marécages de Dachau !).

Le réarmement du Reich devient une priorité. Goering doit alors reconstituer une armée de l’air dans le secret … et rapidement. Il se repose notamment sur l’indispensable Erhard Milch qui, grâce à son sérieux et son efficacité, couvrira longtemps les défaillances de Goering. Avec une « mégalomanie débridée », ce dernier fait attribuer aux forces aériennes un budget colossal lui permettant notamment de faire construire le plus grand ministère de l’Air au monde avec plus de 4500 bureaux ! Le réarmement du pays n’est bientôt plus un secret. L’année 1936 est bien sûr marquée par l’aide apportée à Franco avec la célèbre Légion Condor.

Goering se voit confier les rênes du 2ème plan quadriennal, un programme économique d’autarcie, tâche dans laquelle il « réussit à expliquer tout ce qu’il ne comprend pas en des termes que tout le monde peut comprendre » (p.120) ! Il met en place une administration pléthorique composée de fonctionnaires rarement compétents et efficaces. Malgré toutes les responsabilités, Goering prend le temps de s’installer avec sa nouvelle femme Emmy à Carinhall. Il multiplie les missions diplomatiques avec la Suède, l’Italie, la Pologne, l’Autriche ou encore la Grande-Bretagne. François Kersaudy décrit très bien le Goering séducteur, modérateur, avide de reconnaissance qui tente de préparer le terrain des différentes invasions et annexions à venir (Autriche, Tchécoslovaquie, Pologne). Le nouveau maréchal de l’Air, connaissant très bien les incompétences et les fragilités de la Luftwaffe et de son administration, tempère le Führer qui lui ne voit en Goering qu’une « mauviette ». En effet, pour Hitler tenter de négocier lors de la conférence de Munich est une véritable renonciation et un aveu de faiblesse. Cette position délicate explique que Goering, en fonction des jours et des discours, oscille entre bellicisme et promesse de paix. Pour Hitler, il paraît évident que l’attaque de la Pologne n’entrainera pas l’entrée en guerre de la Grande-Bretagne. L’invasion est annoncée le 1er septembre 1939 … le surlendemain la Grande-Bretagne adresse son ultimatum !

Goering et la guerre

Durant les opérations en Pologne, Goering dirige le conseil de défense du Reich depuis Berlin, bien loin du front, une habitude qu’il gardera tout au long du conflit. Hitler décide de poursuivre ses projets d’expansion avec l’opération Gelb. Mais le projet d’invasion de la France en passant par la Belgique est mis à mal lorsqu’un avion de la Luftwaffe se pose de force en France … avec les plans de déploiement à l’Ouest. Finalement, les forces du Reich attaqueront par les Ardennes puis opèreront un mouvement à l’Ouest pour prendre à revers les armées alliées. Après la France, vient le tour de la Norvège le 9 avril 1940. Lors de ces attaques simultanées, la Luftwaffe est bien sûr mobilisée et Goering, dans un  premier temps, tente de suivre les opérations. Ses initiatives ne sont pas toujours, voire rarement, couronnées de succès comme lors de l’épisode de Dunkerque où malgré l’intervention de la Luftwaffe plus de 200 000 soldats britanniques sont évacués ainsi que 120 000 soldats français ! Goering, devenu Reichsmarschall, se lance dans la bataille d’Angleterre à la tête d’une Luftwaffe qui n’arrivera jamais à surpasser la RAF à cause, notamment, de problèmes d’autonomie de vol qui ne laissent que très peu de temps aux avions allemands afin de bombarder l’Angleterre. Comme à son habitude, Goering ne dirige pas véritablement les opérations militaires et logistiques, il se contente de transmettre les ordres d’Hitler, il parade et se repose sur Milch, Jeschonnek, Kesselring, … Les pertes allemandes sont importantes, la résistance anglaise persiste malgré le bombardement de Londres décidé par Hitler. Finalement, la bataille d’Angleterre est perdue … en particulier pour un certain Hermann Goering !

Malgré l’échec, le maréchal parcourt les pays occupés à la recherche d’œuvres d’art pour ses châteaux ainsi que pour son hôtel particulier de la Leipziger Platz. Désormais, pour Hitler c’est la conquête de l’URSS qui est indispensable. Une nouvelle fois, Goering se montre réticent car les dysfonctionnements internes de la Luftwaffe sont accentués par la gestion catastrophique d’Ernst Udet. Les raids de la RAF, eux, se montrent de plus en plus réguliers et précis au dessus des villes allemandes. Mais Hitler acte l’opération Barbarossa dès la fin de l’année 1940 et Goering se sent, une nouvelle fois, obligé de suivre son Führer. Après les interventions en Grèce et en Yougoslavie, l’opération contre l’URSS est déclenchée le 22 juin 1941. Goering prendra l’habitude de délaisser le front pour se reposer, se soigner et pratiquer ses loisirs à Carinhall. Il se rend occasionnellement au QG du Führer à Rastenburg plus préoccupé par ses rivalités avec Bormann ou Himmler que par le déroulement des opérations. Si l’avancée en territoire soviétique est fulgurante, les failles sont nombreuses et vont devenir criantes au fil des mois : dispersion des forces sur un front de plus de 2000 km, problèmes d’approvisionnement, usure du matériel et des hommes ou encore résistance soviétique. Milch reprend alors les choses en main et tente de rationnaliser la gestion de la Luftwaffe.

Les mois qui suivent semblent se ressembler : Hitler multiplie les plans d’attaque vers l’Est et le Sud-Est de l’URSS, le IIIe Reich doit faire face aux raids aériens (Cologne) ainsi qu’aux débarquements alliés en Afrique du Nord, Goering se fait remarquer par ses absences et la Luftwaffe par ses errances. Les 19 et 20 novembre 1942, les corps blindés soviétiques percent les lignes au Nord et au Sud de Stalingrad, ce qui mènera à l’encerclement de la ville et de la 6ème armée de Paulus (Hitler refusant tout retrait). Goering, affichant un optimisme (de façade), confirme la possibilité d’un pont aérien avec un besoin de 600 tonnes d’approvisionnement/j. (en réalité, la Luftwaffe arrive plutôt autour de 50 à 100 tonnes). Ce déni de réalité et les erreurs stratégiques obligent Paulus à se rendre le 2 février 1943.

L’inexorable chute de Goering

Pour Goering, rien ne va plus : les offensives soviétiques, les bombardements de Berlin, Hambourg, Essen ou Munich, les critiques de ses « adversaires » … A Rastenburg, la morphine et sa soumission au Führer le rendent amorphe. A certains moments, Goering sort de sa léthargie dans un « activisme désordonné ». Il exige, intrigue (contre Speer) et « nomme des nazis dont le fanatisme dépasse de loin la compétence » à des postes clés. Ses rapports se tendent avec Milch qui le méprise pour son « amateurisme pompeux ». Les mois de juin et juillet 1944 sont rudes pour le IIIe Reich : opération Overlord, Bagration et l’attentat de Stauffenberg contre le Führer ! Goering devient le bouc émissaire, il est critiqué et rabroué en public tandis que Bormann, Himmler et Goebbels profitent de l’attentat pour se voir octroyer de nouveaux pouvoirs. Il se réfugie à Carinhall où il vit dans le luxe ostentatoire qu’il affectionne. L’armée allemande recule sur tous les fronts. Les 7 000 avions de la Luftwaffe sont éparpillés sur les multiples fronts alors que l’essence manque (en août, 5 à 10% de la production normale d’essence synthétique). Les tentatives afin de contre-attaquer (Ardennes, Alsace, …) ne réussissent pas en renverser la tendance. Hitler rentre à Berlin et Goering, même désavoué, assiste aux réunions dans le bunker. Dans ce contexte de débâcle pour le IIIe Reich, le Reichsmarschall se soucie de sauver les apparences, d’échapper à la colère de son Führer, de cacher les innombrables trésors volés et de trouver une issue négociée à la guerre.

L’assaut des Soviétiques sur Berlin est imminent, Goering propose de partir au Sud du pays afin de prendre en charge le commandement, ce qu’accepte Hitler. Le 21 avril 1945, Goering est à Berchtesgaden. Dans les jours qui suivent, les intrigues de Bormann ont raison de lui, il est accusé de vouloir fomenter un coup d’état. Pour cette haute trahison, Goering est arrêté, destitué et risque la mort ! A celle du Führer, le 30 avril, Dönitz est le successeur désigné. Goering, dont la surveillance s’est allégée, écrit à Eisenhower afin de jouer un rôle dans les négociations à venir. Le 8 mai, il rencontre les généraux Stack et Dahlquist, il est placé sous protection américaine. Commence pour Goering, un parcours de prisonnier qui le mènera jusqu’à Mondorf-les-Bains où, devant Speer, Kaltenbrunner, Dönitz ou Franck, il se montre soucieux de préserver son (ancien) rang.

François Kersaudy conclue cette biographie avec le procès de Nuremberg lors duquel Hermann Goering doit répondre de quatre chefs d’accusation : conspiration en vue de mener une guerre d’agression, crimes contre la paix, crimes de guerre et crimes contre l’humanité. Dès le début du procès, le 20 novembre 1945, Goering se vante, exagère ses responsabilités et veut se présenter en leader des accusés qui ne devront pas dire un mot contre leur ancien Führer. Mais rapidement, les témoignages et documents accablants font voler en éclat l’unité des accusés. Goering perd de sa superbe et se retrouve de plus en plus discrédité et isolé. Pour le procureur Jackson, dans son réquisitoire final, Goering est celui qui, après Hitler, « a été l’homme qui unissait les activités de tous les accusés en un effort commun ». Finalement, Goering est reconnu coupable des quatre chefs d’accusation. Le 15 octobre, vers 23 heures, il préfère se soustraire à une pendaison qu’il juge infamante en avalant une capsule de cyanure.

 

Dans ce bel ouvrage de François Kersaudy, le lecteur découvre, au fil d’une lecture agréable, la personnalité d’Hermann Goering ce « satrape habillé en maréchal » chez qui se mêlent à la fois « la lucidité occasionnelle, la servilité récurrente et la vanité omniprésente » (p.223).

 

Pour les Clionautes, Armand BRUTHIAUX