Guerre à Gaza constitue donc son retour à ce conflit, 15 ans après. Il s’agit d’une BD très courte, de 32 pages. L’ensemble est compilé en un seul tome, mais fut le fruit de publications hebdomadaires étalées sur plusieurs mois. Il montre la guerre menée par Israël à Gaza, en réaction aux attentats perpétrés par le Hamas le 7 octobre 2023.

Joe Sacco est un auteur malto-étasunien, mondialement connu pour ses BD-reportages. Journaliste dépeignant la réalité de zones de conflits qu’il visite, il a déjà écrit sur la situation israélo-palestinienne. En 1993, c’était Palestine, une nation occupée ; en 2009, Gaza 1956. Tous deux avaient été salués par la critique. Les familiers de l’auteur seront en terrain connu. Le style graphique particulier est d’emblée reconnaissable : le trait réaliste faussement simple, le noir et blanc, et la touche « gonzo » de l’auteur qui s’inclut (et donc se dessine) dans le récit.

Pourtant, Guerre à Gaza constitue une rupture. Sacco n’assiste pas sur place au drame, il ne voit pas de ses propres yeux ce qu’il s’y passe, là où c’était le fondement de ses travaux précédents. Dès lors, il ne s’agit pas tant d’un reportage sur le vécu de la guerre à Gaza par les Gazaouis, même si ça l’est ; mais c’est surtout un reportage sur la façon dont l’auteur (et plus largement le monde occidental) reçoit le drame, et s’interroge (ou non…) sur son impuissance face à celui-ci.

Sacco pousse un cri d’horreur. Guerre à Gaza s’ouvre sur sa « paralysie » face à la barbarie des attentats du 7 octobre, et enchaîne sur son cauchemar face à la riposte israélienne, qui a « dépassé l’entendement ».

  • Il dénonce l’hypocrisie de l’administration Biden qui livre des bombes à son allié israélien, tout en mettant en scène sa mobilisation humanitaire au service des populations civiles ; 
  • Il affirme le caractère génocidaire des violences en cours (ironisant sur « l’armée la plus morale du monde » ; s’interrogeant sur « ce qui n’était pas une cible militaire à gaza » ; rappelant l’expression « d’animaux humains » entendue de politiques israéliens) ;
  • Il invoque pour comparaison le souvenir familial des terribles bombardements que connut sa mère à Malte durant la Seconde Guerre mondiale ; 
  • Il montre le système libéral réprimant toute contestation du soutien occidental à la riposte israélienne (« dans le monde d’aujourd’hui, dire que l’on veut arrêter un génocide est considéré comme un discours de haine ») ; 
  • Il interroge la notion de démocratie (qui « peuvent être assez habiles pour exclure tel ou tel groupe venant de leur noble giron ») ; 
  • Enfin, il questionne sa propre culpabilité en tant que citoyen (et plus largement celle de tout spectateur face au drame) : ce sont ces pages retraçant le parcours de son impôt jusqu’à ce que celui-ci vienne parachever la fabrication d’une bombe.

Donnant encore plus de force à l’horreur, Sacco n’hésite pas d’ailleurs à innover sur la forme. Lui dont les pages étaient systématiquement ancrées dans le réel dont il est témoin, il recourt désormais au symbolique, chose rare dans son oeuvre. C’est notamment cette scène forte d’hallucination, où il met en scène Biden prêchant vainement auprès de Netanyahou pour épargner les civils gazaouis, avant qu’ils se rejoignent hilares sur une nouvelle livraison de bombes. 

Dès le début de l’ouvrage, Sacco affichait son pessimisme, en rappelant l’échec des « Marches du retour » (2018 et 2019). C’était de fait l’échec de la stratégie non-violente des Palestiniens, fauchés par les balles des snipers israéliens. Cette désillusion ne quitte jamais la BD, qui s’achève sur une note terrible. Pour tous les responsables politiques occidentaux, Sacco promet l’enfer, invoquant la Divine Comédie de Dante. Et alors il n’hésite pas à l’affirmer :  « L’Occident est venu mourir à Gaza ».