Quand François FURET, dans son ouvrage Penser la Révolution française de 1978, a déclaré « la Révolution française est terminée », il n’imaginait sans doute pas la portée historique de sa formule et les débats qu’elle a suscitée. Dans La Révolution française n’est pas terminée, Jean-Clément MARTIN rebondit sur cette phrase de François FURET de manière originale. Pour reprendre les mots de l’historien, ce livre s’est imposé après la décapitation du professeur d’histoire-géographie Samuel Paty le 16 octobre 2020, face à une incapacité publique à répliquer autrement que par de « grands mots creux », là où un travail pédagogique sur les principes de notre démocratie et sur la violence politique s’avérait nécessaire et urgent.

En effet, il ne s’agit pas ici de mener un nouveau débat historiographique mais, suite à l’assassinat de Samuel PATY en 2020, de mener une réflexion sur la violence politique et sur l’impact de la Révolution française sur nos représentations et notre société actuelle. Sa volonté a été de partager l’histoire de la Révolution française de manière novatrice, dans l’actualité de ses résonnances politiques, sociales, religieuses… tout en faisant le point sur certaines idées reçues sur cette période.

Les vingt-deux textes réunis sont des « interventions » publiées, pour la plupart, ces quinze dernières années. Après une introduction nous expliquant que la Révolution est toujours actuelle, l’ouvrage est construit autour de quatre parties :

Partie I : Révolution ;
Partie II : Vendée et contre-révolution ;
Partie III : Mémoires et vérité(s) ;
Partie IV : Respecter l’histoire.

Partie I : Révolution

Cette première partie, après un hommage à Samuel PATY, met en avant les divisions suscitées par la Révolution française, qui continue à diviser. J-C. MARTIN met en question la souveraineté et peuple et questionne la définition d’un peuple. Il revient notamment, dans plusieurs des chapitres, sur des idées abordées dans son ouvrage Nouvelle histoire de la Révolution française. L’auteur rappelle que la Révolution française est née dans un contexte bien particulier et la replace dans la perspective des révoltes et révolutions de la seconde moitié du XVIIIe siècle en Europe et dans les Amériques. Il rappelle également qu’il y a eu quatre temps distincts, correspondant, pour lui, aux « quatre révolutions » qu’aurait connues la France entre 1770 et 1800 :
1770-1789 : « La Révolution par le haut ») couvre la période 1770-1789, avec une incapacité de l’État à se réformer, mais surtout à endiguer la contestation parlementaire de l’autoritarisme royal.
1789-1792 : « La dernière révolution » (1789-1792), durant laquelle les députés des États généraux parviennent en à remplacer le système politique de la monarchie absolue par un régime constitutionnel.
1792-1794 : « la deuxième révolution » (sous-titrée « Révolution sociale, utopie communautaire ou État guerrier » dans Nouvelle histoire de la Révolution française).
Et enfin, entre 1794 et 1800, la dernière révolution, « la révolution confisquée ».

Une des idées clés de cette partie est l’idée d’une construction a posteriorie de la Révolution et l’importance de bien l’inscrire dans le contexte de l’époque. La construction de la figure de Robespierre et de la terreur, avec l’invention de la notion de terrorisme, illustre bien cette construction sur plusieurs siècles de l’histoire de la Révolution. Plusieurs analyses intéressantes de l’instrumentalisation de la Révolution française au cours des siècles concluent cette partie, avec notamment l’instrumentalisation du nom de Robespierre par Mussolini pour justifier ses actions et la désignation d’ennemis intérieurs à l’Italie fasciste.

Partie II : Vendée et contre-révolution

Cette seconde partie est celle que j’ai préférée. Les chapitres montant qu’il y a eu des crimes de guerre, sans projet génocidaire pour autant, sont les plus intéressants de l’ouvrage.

L’exemple de l’invention des Girondins par Lamartine est très intéressant. Les Girondins sont théorisés à l’occasion de l’écriture d’un ouvrage publié en 1847 (L’Histoire des Girondins, en huit volumes), qui a été un succès de librairie. J-C. Martin montre également l’invention d’une opposition entre une centralisation parisienne incarnée par les Montagnards et la Terreur, et une province hétéroclite et dans l’opposition incarnée par les Girondins.

Le cas de la Vendée

Le cas de la Vendée est particulièrement intéressant. Après avoir fait une analyse de la construction de la « Vendée », Jean-Clément Martin analyse les interprétations qui ont été faites de cet épisode de la Révolution française. Le terme « Vendéens » désigne les insurgés qui se sont opposés à la Révolution au sud de la Loire entre 1793 et 1795. Organisés en bandes importantes, ils deviennent rapidement des armées mal équipées (bien qu’en possession de canons). Ils parviennent, malgré des défaites militaires à rallier d’autres populations rurales mécontentes et prêtes à se révolter (quand elles ne l’avaient pas déjà fait). Les actions des Vendéens se poursuivent jusqu’à l’exécution de leurs chefs en 1796.

Les Vendéens ont fait couler beaucoup d’encre et susciter les passions. Certains auteurs, qui les confondent avec les Chouans (qui mènent des actions de « guérilla » jusqu’en 1799), comme Balzac ou Hugo, en font des icônes d’un camp contre-révolutionnaire. La Troisième République y voit des ennemis.

Les massacres vendéens sont encore porteurs de multiples enjeux politiques, religieux et sociaux. Jean-Clément Martin consacre une part importante de cette seconde partie aux Vendéens et notamment à la présentation de la révolution comme matrice de tous les totalitarismes et génocides. Il explique la constante réécriture, depuis 200 ans, de cet épisode révolutionnaires, notamment pour régler des comptes politiques et religieux. Depuis une dizaine d’années, la Vendée est un prétexte pour mettre en accusation la Révolution française comme précurseur des totalitarismes, entraînant un amalgame erroné entre génocides et massacres.

Il y a certes eu une diabolisation de l’ennemi au cours de ces massacres et des moyens radicaux employés pour mater les révoltés. Néanmoins, les « Vendéens » n’ont jamais été présentés autrement que comme appartenant à un ensemble contre-révolutionnaire. Ils n’ont pas été associés à des notions de « races » ou des groupes identifiés. Dans un contexte politique particulier, ils ont été victimes d’exécutions militaires très violentes.

Pour conclure sur cet exemple développé, mais, selon moi, représentatif de cet ouvrage, l’auteur insiste sur la nécessité d’analyser la Révolution française avec rigueur et objectivité, sans inclure d’idéologie ou de politique. Il insiste également sur la nécessité d’analyser la construction du mythe, tout autant que l’événement en lui-même, tout en actualisant sans cesse rigoureusement les recherches, afin d’éviter de tomber dans des amalgames et des interprétations malheureuses.

Partie III : Mémoires et vérité(s)

Dans cette troisième partie, J-C. Martin analyse les mémoires de la Révolution française, reprenant des idées déjà développées dans les deux premières parties. La France, comme toutes les autres nations, a hérité de passés concurrents antagonistes, irréductibles les uns aux autres, ne serait-ce qu’au travers des religions, des peuples, des migrations, des idées politiques… Ces souvenirs antagonistes structurent notre histoire et notre identité.

L’analyse des « fake news » liées à la Révolution française, très nombreuses, est particulièrement intéressante. Le mélange entre le vrai et le faux, entre les faits et le fantasme, perdure et se construit depuis plus de deux siècles, entretenant des mythes parfois très éloignés de la réalité. Les exemples de Robespierre, devenu l’incarnation de la Terreur, et de la Terreur elle-même, sont représentatifs de ces « fake news ». La Terreur, en réalité, n’a jamais été instituée car la Convention et le « gouvernement révolutionnaire » (établi en décembre 1793) ont refusé qu’un « système de Terreur » entre dans les lois.

Cela ne signifie pas, néanmoins, qu’il n’y a pas eu de massacres ou de crimes de guerre, bien au contraire. Par ailleurs, Robespierre a soutenu les violences. Néanmoins, il souhaitait les contenir et les contrôler. De plus, la ligne politique concernant ces violences est restée floue. La date de l’invention de la Terreur est connue, puisque c’est Tallien qui a fait son récit fondateur, le 28 août 1794, à peine un mois après la chute de Robespierre. Il a développé l’idée, qui s’est largement imposée, d’un pouvoir qu’un gouvernement tyrannique a imposé un pouvoir meurtrier sur la France.

Plusieurs chapitres sont consacrés à Laurent Deutsch et aux fictions sur la Révolution française, depuis le jeu Assassin’s Creed sur la révolution, au film de Pierre Schoeller, Un peuple et son roi, ou la série Netflix La Révolution.

Partie IV : Respecter l’histoire

La dernière partie reprend des idées déjà développées dans les précédentes parties de l’ouvrage. J-C. Martin y analyse les liens faits, notamment par les politiques, entre notre Révolution française et des révolutions plus récentes, mettant en garde contre le rapprochement d’événements éloignés et hors de leur contexte.

Cette dernière partie est constituée de deux chapitres.
Le premier est une réponse à l’auteur Philippe Val sur l’état des lieux qu’il ferait de l’intolérance en France.
Le second parle des révolutions arabes et de leur rapprochement hasardeux à la Révolution de 1789. Pour l’auteur, ces renvois à 1789 égarent plus qu’ils n’éclairent.

Conclusion

J’ai beaucoup apprécié la lecture de cet ouvrage. Le parti-pris de l’analyse est intéressant, l’écriture agréable à lire et la démonstration, comme toujours avec Jean-Clément MARTIN, claire et convaincantes. Il mène une véritable réflexion sur la violence politique, sur l’instrumentalisation de la Révolution française, sur les mythes qui lui sont associées et sur sa résonnance actuelle, suite à la décapitation de Samuel PATY le 16 octobre 2020. Les nombreuses références à des analyses historiques et à des interprétations par des hommes politiques, des auteurs, etc de la Révolution sont un véritable plus à cette analyse solide.

Néanmoins, je regrette des explications historiques trop rapides, alors qu’elles étaient très intéressantes et donnaient envie que l’auteur approfondisse un peu plus (ce qu’il a fait dans ses autres ouvrages). Ses interprétations de l’impact de la Révolution sur notre société et les débats actuels se défendent mais sont parfois, me semble-t-il, discutables.