Cet Hokusai est une réédition pour le trentième anniversaire (1987-2017) d’un manga majeur de Shotaro Ishinomori. Après avoir débuté sa carrière de façon assez classique dans le manga, et avoir été un des créateurs indirects des tokusatu (inénarrables séries télévisées des années 80-90 où les acteurs s’agitent beaucoup comme dans San Ku Kai ou Kamen Rider), Ishinomori termine sa carrière par des mangas beaucoup plus fouillés et artistiques, tout en continuant à superviser des travaux plus grand public.
Hokusai est au delà du simple manga, même si de nombreuses scènes comiques de la vie quotidienne du Japon des années 1780-1850 font appel aux ressorts classiques du style : yeux exorbités, grimaces, dents acérées lors des accès de colère etc.). Mais ces dessins sont fréquemment alternés avec des reproductions, faites par Ishinomori, de véritables œuvres de Hokusai, parmi lesquelles on trouve les trente-six vues du mont Fuji (1833) qui inspirèrent, avec les cent vues d’Edo d’Hiroshige, le peintre Vincent Van Gogh. Juste retour des choses en fait, car le manga montre bien comment, au milieu de sa carrière mouvementée, Hokusai s’est inspiré des maîtres hollandais.
Le récit du manga n’est pas linéaire. La mort de Hokusai ouvrent et ferment le ban, mais ensuite les chapitres alternent sans continuité chronologique. Il semble qu’en réfléchissant sur l’art d’Hokusai, Ishinomori réfléchit aussi sur le sien. Comme Hokusai, il commence par des styles légers, faciles d’accès. Hokusai dessinait des geishas et des scènes érotiques, Ishinomori dessine des robots, des super-héros dans la lignée du dessin de son maître, Osamu Tezuka, avant de glisser vers un style plus personnel qui fait d’Hokusai un manga majeur. Hokusai, le peintre, finit donc par rechercher l’essence des Hommes, l’essence des paysages, sans toujours être compris. Le chapitre n°7, « les 36 vues du mont Fuji », le voit arpenter les abords de la montagne suivi de deux apprentis particulièrement médiocres et crétins, qui ne comprennent pas ou leur maître veut en venir. S’enchaînent alors des passages comiques jouissifs et des planches d’une grande beauté, car non seulement Ishinomori redessine des classiques comme La grande vague de Kanagawa mais il donne aussi sa propre vision de la mer, des montagnes et des paysages. L’onirisme n’est jamais très loin.
Au delà du manga, il y a aussi l’apport historique et l’éclairage qui est fait sur Hokusai et sa carrière, et donc sur la carrière d’un peintre japonais du XIX° siècle. Un homme passionné, « vieux fou de dessin », jamais à l’aise financièrement mais qui dessinera jusqu’à sa mort à 90 ans, un âge plus que vénérable pour un homme de son époque. L’accent est aussi mis sur son intense désir féminin, sur son instabilité, sa versatilité, sur ses collaborateurs (notamment Soiso, qui va écrire des textes pour illustrer ses estampes). Il déménage plus de quatre-vingt dix fois, le plus souvent dans des maisons qui tiennent plus du taudis que de la maison proprette popularisée par le cinéma et l’anime japonais, souvent dans le quartier populaire d’Asakusa, à Edo (future Tokyo). Il change aussi de nom d’artiste tout au long de sa carrière (1779-1849), Hokusai étant celui qu’il adopte, sous plusieurs formes (Hokusai Sori, Hokusai Egaku, Zen Hokusai Litsu), entre 1793 et 1845, tout en ayant aussi des noms alternatifs pour des œuvres annexes. Son crâne lisse et rasé fait parfois penser un peu à Pablo Picasso, toutes différences culturelles mises à part. Au final, un manga très riche qui mérite d’être découvert ou, pour les plus avisés, redécouvert.
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Mathieu Souyris, lycée Paul-Sabatier, Carcassonne.