L’arrivée des éditions Le Pommier dans la Cliothèque est symbolisée ici par un ouvrage au titre aguicheur et qui pose d’emblée question : cette « horrible géographie » d’Anita Ganeri s’intéresse-t-elle à la géographie comme « discipline étudiant l’espace » ou à la géographie comme « ensemble des caractéristiques d’un espace donné » ?

La quatrième de couverture laisse entendre qu’il s’agit plutôt de la seconde définition mettant en lumière les caprices physiques d’une planète malmenant ses différents territoires d’horribles façons. Mais la géographie comme science est également titillée, via les géographes qui prennent, ça et là, quelques petites piques au sujet de leur « fascination béate pour les cartes » (p12), de « leurs façons de se donner des airs » en nommant les notions (p13 – latitude et longitude… il faut pourtant bien savoir ce quoi l’on parle !) ou en voulant les préciser au risque d’embrouiller une idée de départ plutôt évidente (p 49 – « steppe, savane, pampa…alors que le mot prairie convenait tout à fait ») mais également de leur prétendu effet soporifique puisqu’ils sont comparés aux « cités perdues qui ont tant vu passer le temps et qui ont fini par devenir des ruines » (p 91).

Faut-il s’en offusquer ? A priori non, tout cela n’est que remarques ponctuelles présentées sur le ton d’un humour plutôt sympathique. Mais lorsque l’on analyse la composition de la petite équipe qui va accompagner le lecteur dans son tour du monde de l’horreur, on se rend compte qu’Emilie, la téméraire globe-trotter et Frisquet, son fidèle manchot un peu gauche sont accompagnés d’un professeur Fada, « vrai puits de science »…à la moustache grisonnante et aux petites lunettes académiques.

Là non plus, rien de bien méchant mais c’est très certainement sur ce genre de souvenir lointain que l’auteure a dû s’appuyer pour bâtir ce panorama d’un monde régi par une géographie physique immuable et des connaissances ponctuelles érigées en hit-parades de records en tous genre. Une bonne première moitié du livre s’intéresse donc aux fleuves, aux lacs, aux océans, aux déserts et aux forêts mais aussi aux séismes, au volcanisme ou encore aux geysers : une géographie « décor » sans hommes et sans mobilité.

Après le cadre naturel, c’est une page de « données de base » sur les pays (le plus grand, le moins peuplé, le plus ceci, le moins cela…les drapeaux) qui offre une courte transition vers le second volet du livre : un tour du monde où les continents visités n’ont cette fois plus rien d’horrible mais deviennent au contraire tous géniaux car affublés de qualificatifs presque synonymes. Mais de « l’étonnante Asie » ou de « l’incroyable Afrique », on ne saura rien de Tokyo ou de Shanghai ni de Lagos ou du Caire si ce n’est leur nombre d’habitants. De la « fabuleuse Amérique du Nord », on ne visitera pas les côtes et donc toujours pas les villes à l’exception d’un focus sur les gratte-ciels qui, contrairement à ce qui est dit, n’y sont plus les plus hauts édifices du monde. « L’extraordinaire Europe » n’est quant à elle parcourue que sur ses marges scandinaves et orientales ! Paris, Londres et Moscou ne sont citées qu’en toute fin d’ouvrage, comme « d’horribles (le revoilà celui-là) cités actuelles ». Pour information, l’Amérique du Sud est « fantastique » et l’Océanie « surprenante » (même si le sommaire comporte une erreur de frappe en la qualifiant, comme l’Asie, « d’étonnante »).

Le livre contient également quelques illustrations pertinentes: les représentations de la Terre et l’image de la pelure d’orange (p 12), la technique de prise de vue par satellite (p 13), l’explication de la variété thermique par la longueur des rayonnements solaires qui diffère des pôles à l’équateur (p 60) et qui rattrape un peu une présentation ratée des différents types de climats ne montrant ni couleurs ni zones (p 26). On trouve enfin, par endroits, quelques encarts délicieusement sarcastiques mais hélas réalistes comme celui du « circuit suicidaire des pôles à saisir avant leur disparition » (p 63).

Il serait sans doute un peu offensant de comparer cet ouvrage à une version junior de « la Géographie pour les Nuls » mais son succès affiché (toujours en vitrine et en tête de gondole…dans les « Nature et Découvertes » par exemple, pour un livre datant déjà de 2009) doit nous interroger sur le fait de savoir si c’est le genre de message qu’il faut faire passer aux enfants pour découvrir la géographie. A priori non puisqu’empiler des anecdotes et visiter des territoires inhabités mais tous étiquetés exceptionnels donc indifférenciés ne fera pas d’eux des « géographes en herbe » comme l’ouvrage le laisse supposer à de nombreuses reprises.