Dans cette enquête de 275 pages, à la lecture parfois ardue, les auteurs présentent les liens pour étudier l’environnement entre 9 disciplines de sciences humaines : l’anthropologie, la philosophie, l’histoire, la géographie, la sociologie, la littérature sous sa forme écocritique, la politique, l’économie et le droit.
Une des questions posées est le « retard de la France » dans ce domaine des humanités environnementales, lancées par le monde anglo-saxon (Etats-Unis/Canada/ Australie/Royaume Uni et Inde) mais aussi en Suède et en Allemagne.
Est-ce un « retard » ou une position distanciée et critique, qui fait que les chercheurs français ne se retrouvent pas dans cette notion ?
Pour les Clionautes, il est passionnant de lire le chapitre 5 sur les géographies anglophone et francophone.
En effet, en septembre 2010, Sylvie Brunel et Jean Robert Pitte organisent un colloque intitulé «Le ciel ne nous tombera pas sur la tête» avec 13 autres sommités géographes. La Société de Géographie est partie prenante. La Critique dans cet ouvrage est que les participants flirtent ouvertement avec le climatoscepticisme et proclament (page 131) : « Nous critiquons l’obscurantisme ambiant, l’écologisme radical, la décroissance, le déni de la science et de la foi en l’homme »; « Nous n’avons besoin d’aucun changement dans nos modes de vie » et » Nous pouvons nous adapter au changement environnemental comme nous l’avons toujours fait dans le passé. »
En septembre 2012, une partie de la jeune génération de géographes lance une contre-attaque à Orléans en organisant un contre-colloque intitulé Géographie, écologie, politique : un climat de changement. Ils y attaquent « l’école dominante hermétique à l’urgence de la crise environnementale » et « intrinsèquement conservatrice pour ce qui concerne les questions de justice sociale ». Le problème est que pour leur carrière, cette jeune génération dépend des 15 sommités précitées. Il est à remarquer qu’il existe une association nationale de géographes aux Etats-Unis, au Canada, en Australie et au Royaume Uni, mais qu’en France « de nombreux géographes ne se rendent pas au Fesstival international de géographie de Saint Dié » et que « la Société de Géographie est loin de rassembler toutes les géographies » (page 132).
Autre chapitre passionnant, le chapitre 3 sur l’histoire environnementale.
Né en août 1972, aux Etats-Unis, avec Roderick Nash, enseignant à l’Université Santa Barbara de Californie, c’est l’article American Environmental History: A New Teaching Frontier, qui met le feu aux poudres. En 1974, John Opie, professeur à l’Université Duquesne de Pittsburgh, crée une lettre d’information d’histoire environnementale et en 1977 la American Society for Environmental History (ASEH). En 1985, Richard White, de l’Université de Washington, publie un bilan historiographique : American Environmental History : The Development of a New Historical Field.
Cette école américaine va être attaquée par des chercheurs indiens et britanniques entre 1989 et 1995. Ramachandra Guha dans l’école des « subaltern studies » défend la position du Tiers-Monde, de New Delhi et de Calcutta en 1989 et le droit à l’environnementalisme des pauvres. En 1995, Richard Grove, enseignant à Oxford et à Cambridge, rejoint la critique indienne en critiquant le contexte historiographique américain, liés à Roosevelt et au conservationnisme, et propose des pistes d’histoire environnementale en Guinée, au Zimbabwe et en Asie.
Enfin en 2009, est né le premier congrès mondial des historiens de l’environnement et est créé l’International Consortium of Environmental History Organizations. Elle compte 30 associations dont 10 en Europe et 10 en Aérique du Nord, mais aussi en Océanie, en Amérique Latine, en Asie et en Afrique.
Et la France ? En 2008, l’EHESS crée le GRHEN (Groupe de recherche en Histoire Environnementale) et en 2010 le CNRS crée le RTP (Réseau thématique pluridisciplinaire) : Histoire de l’Environnement. Enfin en 2015, le Ruche (Réseau Universitaire de chercheurs en histoire environnementale) est hébergé à l’EHESS et devient membre de la EUROPEAN SOCIETY for ENVIRONMENTAL HISTORY.
En conclusion, ce livre est une vraie réflexion sur le concept de sciences humaines et de « sciences dures » et de leur nécessaire collaboration face au défi climatique, écologique et environnemental. Bonne lecture à tous !
Marc De Velder.