On pourrait s’étonner de voir sur La Cliothèque, depuis quelque temps, des ouvrages dont le titre pourrait laisser à penser qu’il relèvent des loisirs, ou en tout cas de sujet « légers ». En réalité, ces questions dites « de société », sont celles qui préoccupent nos concitoyens, et par voie de conséquence, il n’est pas inutile que les historiens s’en préoccupent.
Pourtant, ce n’est bien entendu pas l’aspect sportif de la question qui nous préoccupe, mais bien sa dimension historique et sociologique.
De plus, le fait que dans le programme à venir en histoire, pour les terminales S, en option facultative, le sport soit traité comme un thème transversal, mérite que l’on s’y intéresse. Dans le dernier projet en date, au moment où nous écrivons ces lignes, le thème proposé serait : « le football depuis 1930, entre mondialisation et ancrage dans les territoires. »
On pourrait s’interroger sur la pertinence d’un tel choix, pas seulement pour opposer le ballon ovale au ballon rond, mais peut-être pour considérer qu’un thème transversal de ce type traduit plutôt, dans le cadre d’un enseignement optionnel, une volonté de présenter la matière comme « futile », récréative en tout cas, est donc tout à fait à sa place dans le cadre d’un enseignement « strapontin ».
Pourtant, le rugby bénéficie en France, comme dans d’autres pays, d’une image très positive. Et de ce point de vue, il n’est pas innocent qu’un joueur soit devenu une sorte d’icône, emblématique des valeurs que l’on prête à ce sport. À l’opposé du ballon rond, et même si le rugby est devenu sport professionnel à part entière, les questions d’argent ne sont pas encore dominantes. Sébastien Chabal, n’est pas un joueur d’exception, nous y reviendrons, mais il semble avoir été choisi par le public, et paradoxalement les femmes, pour un certain nombre de qualités qui lui sont prêtées.
Un jeune ouvrier
La trajectoire de Sébastien Chabal est celle d’un gamin de la région de Valence qui découvre le rugby sur le tard, alors qu’il a déjà commencé à travailler en usine, dans une petite ville de la Drôme, Crest, que l’on découvre lorsque l’on emprunte l’autoroute, avec ce donjon du XIIe siècle, le plus haut de France.
16 ans et demi, c’est un peu tard pour se mettre au rugby, et c’est surtout pour accompagner ses copains que Sébastien Chabal comment sa foulée les pelouses. Mais la force physique de ce jeune homme, son tempérament guerrier séduise les entraîneurs. Peu à peu, il apprend la rigueur et la technicité de ce jeu qui ne se limite pas aux affrontements brutaux. Sa trajectoire de joueur, elle commence à se révéler au club de Valence, avant que Bourgoin ne le recrute. C’était en 1998 et Sébastien Chabal continue à croire que le rugby n’est qu’un passe-temps du week-end. Il renonce peu à peu aux excès en tout genre pour pouvoir développer son potentiel physique, il est vrai exceptionnel. Son passage par le club de Sale, en Angleterre, sous la direction de Saint André et des préparateurs physiques, en fait un véritable athlète. Le public anglais le plébiscite très rapidement, même si les entraîneurs français continuent à l’ignorer. Il rentre dans l’équipe de France par la petite porte, en 2000, à Murrayfield.
Obélix des stades
Les premières prestations sous le maillot bleu ne sont pas convaincantes, mais il est quand même incorporé en 2001 dans la tournée en Afrique du Sud et Bernard Laporte apprend peu à peu à utiliser ce joker explosif comme élément déstabilisant des défenses adverses. Pourtant, sa place dans les 15 de France n’est jamais assurée : on lui reproche son manque d’endurance, le désordre de son jeu, même si l’on apprécie toujours son agressivité et son sens du combat. Chabal se relève toujours lors de la dernière coupe du monde. Il est l’un des artisans, alors qu’il n’est que remplaçant, de la victoire contre les Néo-Zélandais lors de la dernière coupe du monde. En 2007, Chabal devient un homme incontournable, et son allure de néanderthalien séduit le public.
La marque Chabal
En quelques matchs il est devenu le joueur préféré des Français et des Françaises qui ont été très présentes devant les écrans à l’occasion des prestations de l’équipe de France. Au-delà de la trajectoire sportive de ce joueur, ce qui mérite l’intérêt dans cet ouvrage, c’est la capacité de son auteur, Jean-Christophe Collin à montrer que le rugby est une école de la vie. Sébastien Chabal aime le rapport aux forts, et ses placages font mal. Mais tous les observateurs le soulignent, il n’a jamais de mauvais gestes et sa force physique lui suffit à s’imposer. Avec ses 114 kg et son 1,91 m, il n’a pas un gabarit exceptionnel dans le monde du rugby, mais ça très faible masse graisseuse, lui donne une capacité de pénétration exceptionnelle.
Sébastien Chabal est aussi devenu une marque, ce qui jusqu’à présent unique dans le monde du rugby. Les précédentes tentatives ne sont pas allées très loin. Plus que le football, le rugby est véritablement un sport collectif et les exploits individuels sont nécessairement préparés par des joueurs de l’ombre. Au rugby la vraie vedette l’équipe. Le premier à avoir compris l’intérêt publicitaire de la marque Chabal sont les parfumeurs, qui joue sur les positions de principe entre l’image rustique de ce joueur de la sophistication d’un parfum qui était jusqu’à présent représenté par le danseur Patrick Dupont. Il est clair que les publicitaires ont joué sur l’opposition de style. Malgré des gains importants, estimés en droits publicitaires à près de 500 000 € pour 2009, auxquels viennent s’ajouter les 400 000 € bruts de salaire comme joueur du Racing, Sébastien Chabal est très loin de la notoriété et des revenus de joueur de football.
Alors comment expliquer la popularité de ce joueur ? Il y a de fortes chances, et on pourrait peut-être reprocher aux journalistes sportifs de ne pas l’avoir mesuré, que les contre-performances de l’équipe de France ne soient venues renforcer cette empathie.
Chabal c’est le type franc du collier, le guerrier celui qui ne se cherche pas d’excuses pour justifier une contre-performance. Son apparence le rend reconnaissable, mais lorsque l’on peut l’approcher, il apparaît plutôt comme un gros timide qui cherche à se protéger. La barbe lui sert de carapace. Les Français apprécient aussi la geste chevaleresque, et, même si les résultats ne sont pas au rendez-vous, ils voient dans Chabal le guerrier qui ne renonce jamais. Quelque part le personnage, capable par une intuition et un beau geste, de retourner une situation compromise, rappelle certains héros de l’histoire. Les Français aiment à croire en un homme providentiel, et ce grand barbu et chevelu qui monte à l’assaut de la ligne de défense adverse ou qui se jette en avant pour briser une attaque, peut incarner l’esprit de résistance face à l’adversité.
© Bruno Modica