Numéro 48 mars-avril 2011, questions internationales
La Chine et la nouvelle Asie
La Documentation française, 9,80 euros

Si les précédents numéros de la revue « Questions internationales », étaient consacrés à la Chine dans son environnement international et aux relations de l’empire du milieu avec le reste du monde, cette dernière livraison montre plutôt une Chine essentiellement tournée vers ses problèmes intérieurs, qui envisage les questions internationales e priorité de ce point de vue. Certains auteurs parlent de la transmutation de la Chine, ex-empire du milieu, en un véritable État-nation, capable de mobiliser sa population autour des perspectives de développement. Les ressorts du nationalisme ont remplacé l’idéologie marxiste, même si l’on n’y fait toujours référence. La Chine est devenue la deuxième puissance économique du monde, et ses performances économiques ont été atteintes en à peine 30 ans. La Chine s’est transformée par un processus graduel, maîtrisé pour l’instant, est encore largement inachevé. Pour Serge Sur, le rédacteur en chef de la revue, la Chine vit aujourd’hui sa renaissance. Les autorités chinoises ont choisi la stabilité d’un système politique qui permet un contrôle étroit de la population tout en se convertissant à l’économie de marché. La croissance chinoise s’est effectuée à marche forcée, avec des investissements multiples, en faisant appel à des transferts de technologie extérieures, tout en préparant à terme le développement de technologies endogènes et concurrentes.

En moins de trois décennies le pays est devenu non seulement une usine du monde mais aussi le créancier du monde puisque le bénéfice de ces échanges industriels et commerciaux avec l’extérieur est devenu gigantesque. Malgré tout, il n’est pas inutile de rappeler que la Chine reste au 89e rang dans le classement de l’indice de développement humain. Son économie est largement dépendante des marchés extérieurs et le système politique ne parvient pas forcément à éviter les phénomènes de corruption, l’apparition de féodalités locales ou de groupes centraux plus ou moins autonomes, comme l’institution militaire.
Dans ses relations avec ses voisins, la Chine a essayé de régler tous les litiges frontaliers qu’elle entretenait depuis de nombreuses années, mais sa montée en puissance suscite toujours la méfiance, en raison de l’affirmation d’un nationalisme chatouilleux qui concerne tous les pays d’Asie orientale. La Chine a organisé sa diplomatie autour de plusieurs cercles concentriques, celui de l’Asie proche en position dominante, celui d’une grande Asie, où elle entend à terme jouer les premiers rôles, en s’appuyant sur l’immensité de sa population et sur une montée en puissance militaire considérable, et enfin, un intérêt plus limité, pour tout ce qui relève des régulations multilatérales. La Chine affirme toujours un certain pouvoir de nuisance, et elle peut le révéler aujourd’hui, en s’opposant à des mesures de sanctions dures contre le régime de Kadhafi, ou contre le gouvernement de Khartoum au Soudan, mais elle ne se présentera pasn pour l’instant, comme une alternative à un engagement conduit par les États-Unis.

Le premier article de ce numéro, « la Chine face aux défis de la puissance », de Jean-Marc Colcaud et Zhang Jin, évoque la montée en puissance de la Chine, dont le taux de croissance économique annuelle a été de près de 10 % depuis 1978. Les effets de la crise de 2008 ont été effacés et la tendance est repartie à la hausse à partir de 2009. La Chine est aujourd’hui le premier détenteur de la dette publique américaine, ce qui apparaît autant comme un élément symbolique fort que comme une possible source de pression de Pékin sur Washington.

La Chine a également gagné en importance dans notre domaine, comme celui de la recherche du développement, déterminant pour la capacité d’un pays à créer, maintenir ou accentuer un avantage comparatif en matière industrielle. La Chine menace aujourd’hui l’hégémonie des pays développés, le nombre de chercheurs chinois et de plus de 1 400 000 ce qui représente tout de même le quart du nombre total des chercheurs dans le monde. La part du pays dans les exportations mondiales de produits de haute technologie est passée de 6 % en 1995 à 20 % en 2008. Dans le même temps la part des États-Unis est passée de 21 à 14 % tandis que l’union européenne est restée stable entre 16 et 18 %.
Il n’en reste pas moins que la Chine est confrontée à des défis redoutables, le premier est celui de l’inégale répartition des fruits de la croissance qui fait d’elle l’un des pays le plus inégalitaire au monde au point de dépasser les États-Unis dans ce domaine. Le classement en termes d’indice de développement humain reste peu flatteur, 89e rang mondial, et en matière de performances environnementales, bien que le gouvernement ait pris la mesure des difficultés en ce domaine, la Chine se situe au 121e rang mondial. La Chine reste encore, quoi que l’on puisse en penser, un pays en développement. Les perspectives politiques sont encore incertaines, d’autant que le caractère inégalitaire du système favorise la montée d’un mécontentement qui s’exprime aujourd’hui, peut-être la faveur de ce qui a pu se produire et qui se produit encore dans les pays arabes. La corruption à érodé la confiance de la population dans l’intégrité des différents niveaux de l’administration et du gouvernement, ce qui pourrait à terme mettre en danger la crédibilité, voire la légitimité du parti communiste. Les dirigeants chinois en ont d’ailleurs pris conscience, même s’ils sont loin d’avoir réussi à éradiquer le phénomène. Le pouvoir au sein du parti communiste est loin d’être monolithique. Les dirigeants actuels comme le premier ministre Wen Jiabao, évoquent désormais la nécessité de garantir les droits des individus, ce qui suscite les critiques des éléments conservateurs du régime.

Bien que la Chine soit toujours réticente à s’engager de façon globale dans les affaires internationales, elle est devenu diplomatiquement beaucoup plus active. Elle doit tout de même s’engager dans une voie médiane entre la préservation du statu quo et un bouleversement profond des normes et des règles du jeu international. La Chine apparaît aujourd’hui comme un pont entre les pays développés et les pays en développement.

– Un encadré rédigé par Philomène Robin, propose une mise au point à intéressante sur les relations entre les deux Corées. Le point de vue de l’auteur exprimait ici est celui d’un rapprochement qui dure depuis 10 ans mais qui semble avoir été perturbé par des tensions récentes, consécutive au second essai nucléaire nord-coréen de mars 2009. L’activisme diplomatique de la Chine permet de désamorcer l’escalade. Pékin maintient son soutien au régime nord-coréen, ce qui permet à Pyongyang de normaliser ses relations sur la scène internationale. Les Russes les chinois semblent partager l’idée selon laquelle le maintien du statu quo sur la péninsule serait profitable à tout le monde, à commencer par eux-mêmes. En réalité, malgré les gesticulations militaires, dont certaines ont pu se révéler meurtrières, comme le torpillage d’une corvette en mars 2010 et le bombardement d’une île sud-coréenne en novembre, les échanges bilatéraux se sont intensifiés. En réalité, toujours d’après cet auteur la perception répandue d’une péninsule gelée dans ses équilibres ne résiste pas à un examen rationnel des dynamiques à l’œuvre.

Valérie Niquet : la Chine, pivot des enjeux stratégiques régionaux.

En Asie, la situation stratégique marquée par la conjonction de risques nouveaux-écologiques, terroristes-et de menaces traditionnelles alimentées par la persistance de clivages idéologiques qui pèsent sur les grands équilibres. Pékin défend l’idée d’une régionalisation « harmonieuse », dans laquelle la Chine pourrait jouer un rôle dominant, mais se trouve confronté à un regain de tension et à une recrudescence des attentes des pays voisins de la Chine vis-à-vis des États-Unis. La septième flotte américaine n’en a pas fini de croiser en mer de Chine. À la faveur de la crise, la Chine a poursuivi son intégration croissante de la communauté internationale, cultivant l’image d’une puissance incontournable, au sein du G20 pour les questions économiques et financières, mais en participant également aux opérations de lutte contre la piraterie au large du golfe d’Aden. La vision communément admise et de projeter à l’ensemble de l’Asie ce que l’on peut évoquer à propos de l’Asie orientale, devenue, avec la Chine au premier chef, l’atelier du monde. Derrière une apparence de prospérité collective, de grandes inégalités régionales subsistent, avec des pays parmi les plus pauvres, comme le Laos ou le Cambodge. Le théâtre asiatique cumule aujourd’hui de risques, des conflits traditionnels hérités de la seconde guerre mondiale, de la guerre froide et même de l’histoire très coloniale, et des risques d’un type nouveau, lié au contrôle des ressources naturelles et énergétiques, aux différents trafics illégaux, au terrorisme et aux questions environnementales. Le théâtre nord-est asiatique n’est pas stabilisé, d’autant que le régime nord-coréen reste fidèle à sa stratégie de provocation. Pour Pékin, la Corée du Nord est un atout stratégique face aux États-Unis et à leurs alliés en Asie. Les manoeuvres communes organisées en 2010 par Séoul et Washington dans le périmètre de sécurité immédiats de la Chine en mer jaune ont été très durement condamnés.
En Asie du Sud-Est, la Chine est également frontalière de l’Inde, le conflit and aux Pakistanais persiste, d’autant que les deux pays sont rivaux désormais sur les théâtres d’opérations afghan. L’Inde qui se rapprochait des États-Unis, refuse de reconnaître un quelconque lien de vassalité à l’égard de la Chine. Enfin, il existe toujours des tensions entre la Chine et le Japon, à propos des îlots revendiqués par la Chine.

Parmi les informations peu connues, publiées dans cet article, on apprendra que la Chine a mis en place un embargo officieux sur l’exportation des terres rares vers le Japon, utilisant pour la première fois l’arme économique face au Tokyo. Il faut savoir que la Chine contrôle plus de 60 % de ces productions de minerais indispensables aux nouvelles technologies, et qu’elle a de plus en plus souvent tendance à les conserver pour elle. En 2010, un certain activisme maritime semble avoir animé le chinois. À propos de Taïwan, même si les liens économiques sont étroits, la Chine continue à déployer des missiles face à «l’île rebelle», ce qui conduit la République de Chine à recevoir de nouvelles livraisons d’armement de la part des États-Unis. La Chine a considérablement renforcé ses capacités militaires, même si on s’interroge parfois sur l’autonomie en apparence croissante de l’appareil militaire à l’égard du pouvoir politique. La montée en puissance de la Chine, se traduit très clairement par une affirmation de suzeraineté régionale qui forcément dérange les voisins. Cette volonté d’endiguer la puissance croissante de la Chine va de pair avec des demandes de plus en plus fortes exprimait en direction des États-Unis. Depuis 2011, les signes d’un réengagement militaire américain sont nombreux, le président Barak Obama a poursuivi la stratégie de rapprochement avec l’Inde, des manœuvres militaires communes ont été organisées par les États-Unis et leurs alliés en mer de Chine en mer jaune, et le gouvernement japonais a relancé une stratégie de défense plus offensive avec l’élargissement du système de défense antimissile mise en place par les États-Unis et l’augmentation du nombre de sous-marins chargés de fermer les détroits de l’archipel comme à l’époque de la guerre froide.

Françoise Nicolas, directrice du centre Asie de l’institut français des relations internationales, présente les économies asiatiques face à la crise économique et financière. Le continent assume un rôle de plus en plus central dans l’économie mondiale, et l’Asie est désormais reconnue comme un acteur incontournable. Après la crise financière de 97, les économies d’Asie orientale ont traversé une zone de turbulences sous l’effet de la contagion de la crise économique globale. En 2008, l’effet de contagion a été relativement sévère, mais en raison de leur faible exposition aux crédits subprimes, les économies asiatiques sont parvenues à échapper aux effets directs de la crise. Toutefois les marchés boursiers ont été sensiblement ébranlés et le ralentissement de l’activité économique a été réel. Dès lors que le commerce international s’est contracté de 20 % entre avril 2008 et juin 2009, l’atelier du monde a été touché. Les économies les plus développés de la région sont toutes entrées en récession en 2009. D’après cet auteur, la dépendance de l’ensemble de la région Asie vis-à-vis des grands marchés extérieurs et tout d’abord du marché américain s’est accru au lendemain de la crise financière asiatique de 1997. Toutefois, en maintenant un taux d’épargne élevé favorable à l’investissement, les économies asiatiques ont permis de réduire leur dépendance à l’égard des financements étrangers.

De façon globale, les économies asiatiques ont été particulièrement rapides à réagir à la crise. La majorité des gouvernements ont mis en place des plans de relance budgétaire, près de 500 milliards d’euros pour la Chine seule, ce qui a permis un retour rapide de la croissance. En Chine aujourd’hui, le 12e plan quinquennal, 2011-2015, vise à améliorer le système de santé et à mettre en place un régime généralisé de sécurité sociale, visant à limiter l’épargne de précaution et à développer la consommation intérieure. Mais ces mesures ont inévitablement un effet sur la poursuite de la croissance qui serait à court terme ralentie. En dehors de la Chine les autres économies de la région se sont efforcées de réformer leur modèle de croissance, en encourageant le développement du secteur des services, comme en Corée du Sud, ou en favorisant la montée en gamme technologique pour accroître leur niveau de revenu et leur complémentarité avec la Chine.

Particulièrement intéressante dans cet article, l’évocation de la relance de la coopération financière régionale, mis en place au lendemain de la crise financière de 97-98. Cette initiative dite de Chiang-Maï, avait comme principal objectif la mise en commun partielle des réserves de change de la région à travers un réseau d’accords bilatéraux passés entre les trois grandes économies d’Asie du nord-est, Japon, Chine, Corée du Sud. Mais en 2008 aucun des pays, à commencer par la Corée, n’y a fait appel. À l’occasion de la réunion des ministres des finances de l’ASEAN plus trois, , les accords de Bali au début du mois de mai 2009, ont abouti à la mise en place d’un fonds de ressources de 120 milliards de dollars qui s’apparentent de plus en plus à un véritable fonds monétaire asiatique.

– Au moment où les populations arabes font la démonstration de la possibilité de promouvoir des modèles démocratiques basés sur les valeurs universelles, André Laliberté, professeur de sciences politiques à l’université d’Ottawa, présente : « les percées et les limites de la démocratie en Asie ».

À l’échelle du continent asiatique, il n’est pas évident de parler de démocratie, tant y est grande la diversité des trajectoires politiques nationales. Auteur note l’absence institution intergouvernementale à l’échelle du continent qui puisse faire la promotion de la démocratie, qui serait l’équivalent du conseil de l’Europe. Les différents forums régionaux comme l’association des nations du sud-est asiatique, le forum de coopération économique de l’Asie-Pacifique, l’organisation de coopération de Shanghai, n’ont pas pris en compte cette notion. En Asie du Sud-Est, des régimes autoritaires comme en Birmanie cohabitent avec des démocraties plus ou moins consolidées, comme en Indonésie. En Asie de l’Est, trois partis communistes exercent le pouvoir en Chine, au Vietnam et en Corée du Nord. La conception de la démocratie peut être envisagée comme spécifique, comme en Chine ou à Singapour. Dans le cas chinois, la démocratie peut être considérée comme un horizon envisageable, même si l’on estime qu’elle pourrait revêtir des formes nationales avec un régime de parti unique de possibilité de choisir les dirigeants au niveau local.
Parmi les démocraties consolidées, le Japon comme l’Inde sont les plus anciennes. Pour ce qui concerne le Japon, l’hégémonie presque ininterrompue du parti libéral-démocrate au pouvoir depuis 1955 jusqu’en 2008 n’a pas empêché l’opposition de peser de tout son poids sur la vie parlementaire au niveau local. Il a pourtant fallu attendre 2009, avec l’arrivée au pouvoir du parti démocrate du Japon, pour qu’un changement significatif s’opère. Il n’en reste pas moins que la démocratie japonaise souffre d’un certain nombre de limites, comme la collusion entre le monde des affaires et les politiques, l’influence disproportionnée de quelques grandes familles dans la vie politique du pays, une certaine forme de conservatisme des élites.
L’Inde, la plus grande démocratie du monde, a pu maintenir ce choix malgré deux interruptions du processus démocratique, entre 1976 et 1977 et entre 1991 et 1998. Malgré la persistance du système des castes, et une violence politique intermittente et endémique en milieu rural, l’un d’eux peut remettre en cause aujourd’hui l’argument de « l’avantage autoritaire », souvent avancé pour promouvoir le développement en Chine comme au Vietnam, voire même à Singapour. Le développement économique a sans doute permis l’approfondissement du processus démocratique en Corée du Sud comme à Taïwan. Ces deux pays ont pourtant connu des régimes autoritaires, avec la proclamation de la loi martiale, comme à Taïwan entre 1947 et 1987 ! En Indonésie, la transition démocratique s’est produit dans des circonstances exceptionnelles. Après le coup d’état de 1965, et la brutale dictature de l’armée et du parti unique de l’ordre nouveau sous la direction du général Suharto, l’Indonésie était devenue un État prédateur contrôlé par la famille du général-président. La chute de Suharto, dans la foulée de la crise économique a permis une transition démocratique, avec deux élections considérées comme libres en 2004 et en 2010. L’actuel président indonésien est Bambang Yudhoyono.
L’auteur évoque également des semi-démocraties, comme le Bangladesh ou le Pakistan. Les régimes sont fragilisés par des affrontements intercommunautaires et par une influence de plus en plus importante de certaines factions de l’armée. On peut évoquer également des situations plus ou moins détériorées au Sri Lanka comme aux Philippines ou encore en Thaïlande. Enfin, l’auteur présente des régimes nominalement démocratiques mais foncièrement paternalistes, avec des partis dominants qui prennent prétexte de la possibilité de conflits interethniques et sociaux pour justifier l’imposition de contraintes institutionnelles sur le fonctionnement démocratique. C’est le cas de Singapour et de la fédération de Malaisie.
Face à cette diversité, les dirigeants chinois présentent leur mode de gouvernement comme celui de « l’avantage autoritaire », contre les « valeurs universelles ». Les pressions s’exercent pourtant à l’intérieur de la société chinoise en faveur de l’instauration d’un régime démocratique, mais le régime a réussi jusqu’à présent à contrôler cette évolution, y compris au sein des cercles dirigeants. Il est clair que le premier ministre Wen Jiabao, qui avait laissé entrevoir un début d’ouverture politique, a dû faire machine arrière sous la pression des cercles dirigeants du pouvoir. Pourtant, peu à peu, une société civile se développe, l’idée que l’État de droit progresse avance, et le prix Nobel pour Liu Xiaobo a montré que le régime devait forcément composer avec les exigences démocratiques. De façon générale, l’Asie apparaît comme une terre en friche pour la démocratie mais celle-ci pourra quand même à terme y croître et prospérer, comme les démocraties consolidées le démontrent.

On appréciera également dans ce numéro 48 de questions internationales cet encadré de synthèse de Nicolas Zufferey, professeur de langue et littérature chinoise à l’université de Genève, qui présente les ambiguïtés des «valeurs asiatiques».

Le discours sur les valeurs asiatiques insiste sur la résolution harmonieuse des conflits et prône des modes d’organisation qui permet de les éviter. Le chef, comme un père bienveillant, octroie naturellement subordonner, en temps voulu, des avantages qui n’ont pas revendiqué. Les inférieurs sont prêts à patienter avant de revendiquer les privilèges qui pourraient remettre en question la prospérité du groupe. Les valeurs asiatiques sont invoquées pour expliquer le succès à la fin du siècle dernier des quatre dragons asiatiques et des cinq tigres du Sud-Est asiatique et plus récemment de la Chine. Les liens presque familiaux entretenus par les patrons avec ses employés permettent d’éviter les conflits sociaux et les formes dures de revendications comme la grève. Le modèle est celui de métaphores, paternalistes, parfois interventionniste pour mettre en place des conditions économiques favorables. Les libertés politiques sont considérées comme potentiellement dangereuses pour l’ordre social et l’économie. Ce modèle comporte tout de même des limites : les loyautés de type familial favorisent le népotisme la corruption. En fait, les valeurs «asiatiques» recoupent des valeurs confucianistes. Celles-ci, dès lors qu’elles sont clairement identifiées comme chinoises, peuvent servir la propagande nationaliste. De plus, on ne saurait réduire le confucianisme un système autoritaire. Pour Confucius, s’il est supérieur commande, ils ont surtout des devoirs. Ils doivent écouter les remontrances qu’on leur fait, agir pour le bien du groupe et se soumettre des impératifs moraux supérieurs qui ne peuvent se réaliser qu’individuellement. En réalité, depuis plusieurs années, ce modèle est remis en cause par l’évolution des tendances matérialistes au sein des sociétés. Ce modèle confucianiste a été remis en cause au Japon et l’aspiration des populations chinoises, au moins dans les villes à plus de confort matériel, favorise l’individualisme.

Jean-Marie Bouissou, directeur de recherche à Sciences-po Paris s’interroge sur le déclin du Japon. L’économie japonaise a été fortement ébranlée depuis le milieu des années 80. L’économie japonaise a connu, du fait de crises successives, un redéploiement spectaculaire qui s’est tout de même traduit par des dégâts sociaux considérables. Les entreprises japonaises sont les moteurs du « circuit intégré asiatique » qui approvisionne les géants chinois en pièces détachées fabriquées en Asie du Sud-Est et assurent souvent tout ou partie de l’assemblage en Chine d’où sont réexportés les produits finis. Ces flux et la valeur ainsi créée par ces entreprises n’entre pas dans les statistiques de l’archipel, ce qui accentue excessivement une impression de déclin.

Les limites du développement japonais sont peut-être davantage politiques économiques. Le règne sans fin du parti libéral-démocrate, seulement remis en cause en 2009, a entraîné la patrimonialisation du pouvoir aux mains d’une caste héréditaire dont les compétences se limitaient souvent à gagner les élections.
Face à la montée en puissance de la Chine, le Japon a tout de même été touché dans le fondement même de la société. Un tiers des salariés est aujourd’hui contraint un régime de contrats à durée déterminée avec un salaire horaire inférieur en moyenne de 60 % à celui des contrats à durée indéterminée et une couverture sociale minime. La précarisation touche aussi bien les jeunes que les salariés âgés. En 2009, la population vivant en dessous oui au niveau du seuil de pauvreté étaie estimée à plus de 17 %, contre moins de 11 % en moyenne pour les pays de l’OCDE sur la base de ces chiffres, le Japon se situe au côté du Mexique et de la Turquie. De grosses difficultés affectent la jeunesse et le taux de suicide est devenu le plus élevé des pays développés. (27 % 1000 personnes par an). Les médias japonais parlent de plus en plus, pour la tranche d’âge entre 15 et 34 ans, d’une génération perdue. De plus, le déclin démographique, avec seulement 1,3 enfants par femme est devenue une réalité directement perceptible. En 2025, le Japon aura perdu 10 millions d’habitants, le nombre des plus de 65 ans représentera 30 % de la population alors que les moins de 15 ans seront en moins de 10 %. Toutefois, il est possible de considérer que les jeunes pourraient tirer profit d’une diminution de la population active qui ferait disparaître le chômage n’augmente les salaires. L’emploi des seniors, et plus encore celui des femmes serait favorisé. Toutefois, le Japon devra sans doute importer de la main-d’œuvre en s’ouvrant dans une certaine mesure l’immigration. Toutefois, le Japon et en permanence confrontée dans ses relations extérieures à l’hypothèque chinoise. Dans le triangle Tokyo-Washington-Pékin, la situation est défavorable au Japon. Les États-Unis doivent composer avec la montée en puissance de la Chine, le Japon a un besoin impératif du maintien de l’ouverture économique de son puissant voisin. Le parti démocrate japonais entend aujourd’hui se recentrer sur l’Asie en s’appuyant sur le fait que dans les relations avec les pays voisins, la Chine fait davantage peur que le Japon. De ce fait, le développement d’un potentiel militaire qui n’exclurait pas le nucléaire, deviendrait tout à fait envisageable. Le Japon a également renforcé ses liens avec d’autres grands pays démocratiques comme l’Inde en 2006 et l’Australie en 2008. Des partenariats stratégiques portant notamment sur la police des routes maritimes et la lutte contre le terrorisme permet au Japon de disposer dorénavant de possibilités de manoeuvre inédite sur l’échiquier international.

François Lafargue propose également une synthèse sur la présence croissante des puissances asiatiques en Afrique.

Pour la Chine, l’Inde et le Japon, la politique africaine et tout d’abord économique. La Chine privilégie les aides bilatérales et accorder des prêts à taux préférentiels destinés à financer la construction d’infrastructures par des entreprises chinoises en échange de l’octroi de concessions minières ou pétrolières. L’aide japonaise relève davantage de l’expertise technique et transit en grande partie par le biais d’organisations multilatérales comme le programme des Nations unies pour le développement. L’aide apportée par l’Inde favorise la transmission de technologie et insiste sur la coopération dans le domaine médical. En fait, même si la pénétration asiatique en Afrique apparaît comme très importante, le commerce avec la Chine, l’Inde, le Japon, la Corée du Sud, Taïwan et la Malaisie ne représente que 10 % des échanges du continent africain. Toutefois, le marché africain attractif en termes de matières premières, de débouchés commerciaux et de terre arable permet aux entreprises asiatiques de s’implanter durablement. De plus, de forte minorité d’origine indienne, arrivés principalement la fin du XIXe siècle en Afrique du Sud, mais aussi au Kenya, constituent un relais appréciable pour ces entreprises.

– L’article le plus novateur en termes de perspectives ouvertes est sans doute celui de François Gipouloux, sur: les grandes villes côtières chinoises, vers la création d’une méditerranée asiatique.

Pour François Gipouloux, directeur de recherche au CNRS et chercheur invité à l’Académie des sciences sociale de Pékin, l’urbanisation et l’ouverture croissante de la façade maritime de la Chine rappelle fortement l’émergence des grandes cités-états autour de la Méditerranée à la fin de l’Europe médiévale. Les nouvelles de Venise, gêne, Bruges et Amsterdam du XXIe siècle se trouve aujourd’hui en Asie orientale. L’emballement de l’urbanisation a été favorisé par l’ouverture économique de la Chine à partir de 1978, et la diffusion du tissu industriel dans les campagnes proches des villes a permis la constitution de zones de peuplement industriel et urbain. En 2008 la population urbaine chinoise et de plus de 600 millions d’habitants, elle pourrait approcher les milliards en 2025. Les districts ruraux se transforment en villes petites et moyennes et les métropoles existantes s’étendent. Dans cet article richement illustré avec des cartes sur le corridor économique de l’Asie de l’Est, l’auteur insiste sur la notion de collectivité, présenté comme un atout déterminant de ces réseaux urbains très internationalisé. Cela permettra sans aucun doute d’actualiser des cours sur l’Asie orientale, avec des informations tout à fait nouvelles sur l’ancrage des flux logistiques à partir des plates-formes de Shanghai, quand on Pékin. Cela favorise d’ailleurs des évolutions des anciennes plates-formes comme Hong Kong et Singapour. L’avenir d’Hong Kong serait préfiguré par l’évolution de Londres, New York ou dans une certaine mesure Tokyo. Ces métropoles ne sont plus véritablement de grands ports mais commandes des flux considérables de marchandises dont le chargement et le déchargement se font ailleurs, dans des espaces plus modernes et subissant moins de contraintes. Ce qui est en jeu aujourd’hui c’est le passage des mégapoles à de macro-régions susceptible de concentrer matière grise et haute technologie.

Le sommaire

– Ouverture – Le nomos de la Chine Serge Sur
– La Chine face aux défis de la puissance Jean-Marc Coicaud et Zhang Jin
– La Chine, pivot des enjeux stratégiques régionaux Valérie Niquet
– Les économies asiatiques face à la crise économique et financière Françoise Nicolas
– Les percées et les limites de la démocratie en Asie André Laliberté
– Le Japon est-il en déclin ? Jean-Marie Bouissou
– Les nouvelles puissances asiatiques en Océanie Fabrice Argounes
– Les voies étroites de l’Asie du Sud-Est François Raillon
– Les grandes villes côtières chinoises : vers la création d’une Méditerranée asiatique François Gipouloux

Et les contributions de : Sophie Agostini-Heinrich, Émilie Bruckmann, Raphaël Dang, Alice Ekman, François Lafargue, Grégory Lecomte, Philomène Robin, Lély Tan et Nicolas Zufferey