Il est où le patron soulève une problématique centrale du monde agricole contemporain : quelle est la place des femmes dans ce monde, connu pour être conservateur et patriarcal ? Cette BD réussit à montrer avec brio autant les blocages auxquels sont confrontés les paysannes que les évolutions positives des mentalités, tout en conservant une dose d’humour bienvenue.

Des paysannes face au patriarcat

On suit au fil des pages et de quatre saisons la vie de Jo, Coline et Anouk, trois paysannes cheffes d’exploitation, dans leurs mésaventures, frustrations, mais aussi dans leurs moments de solidarité féminine. Chacune se trouve dans une situation particulière. Jo reprend une exploitation agricole seule et est confrontée à des préjugés sexistes ; le monde agricole serait trop dur pour une femme sans compagnon. Coline est associée avec son mari au sein d’un GAEC (groupement d’agriculteurs qui disposent tous du statut de chef d’exploitation) mais lui seul est considéré comme le patron de la ferme. La dernière, Anouk, est apicultrice ; aux yeux de sa famille cela ne peut être qu’un hobby et non un emploi sérieux. Dans ces trois cas, ces paysannes sont sujettes à des difficultés matérielles et sociales en raison de leur sexe. Toutes trois sont avant tout confrontées à cette question : « Il est où le patron », symptôme de leur manque de légitimité aux yeux des hommes. Cependant, elles réussissent petit à petit à faire leur trou et à gagner autant en légitimité qu’en autonomie vis-à-vis des hommes (apprentissage de l’usage des machines, du bricolage, …).

Cet ouvrage se veut donc comme un portrait du patriarcat dans monde agricole, au moment où celui-ci est remis en cause dans toutes les composantes de notre société. Plusieurs aspects sont abordés. Le premier est globalement la place des femmes dans le monde agricole, puisqu’elles sont vues comme trop faibles pour pouvoir tenir une ferme. Encore aujourd’hui, seulement 25% des chefs d’exploitation sont des cheffes. La plupart des femmes sont réduites au rôle de faire-valoir sur la ferme, s’occupant des tâches ingrates ; un certain nombre n’est même pas déclaré, conduisant à une absence de protection sociale. Cette faible reconnaissance dans le monde agricole se double d’une place restreinte au sein de la société dans son ensemble : les femmes sont sous-représentées dans les instances agricoles ; la charge mentale pèse sur les femmes bien plus que sur les hommes ; le regard des hommes pèse sur les femmes. Le monde agricole est donc, ni plus ni moins que les autres pans de la société, patriarcal.  

Une réalisation soignée tirée du réel

Les dessins signés par Maud Bénézit mettent en valeur le message de l’ouvrage. Les fermes et les différents ateliers de production sont représentés avec une très grande précision. Les couleurs, sobrement présentes, habillent parfaitement les planches. Elle réussit avec brio sa première BD.

Il est où le patron, bien que représentant des personnages fictifs, s’inspire de faits réels. Toutes les situations décrites et de nombreuses phrases déroutantes mentionnées dans l’ouvrage sont tirées de l’expérience de cinq paysannes, réunies au sein du collectif Les Paysannes en Polaire. La multiplication de ces situations quotidiennes a favorisé leur rencontre et leur partage, ce qui leur a donné envie de les coucher par écrit afin de témoigner et de bouger les lignes. Ce projet, débuté en 2014, est donc une franche réussite qui, espérons-le, fera réfléchir et bouger les lignes dans le monde agricole – et ailleurs.

Une BD à utiliser en cours

Certaines planches peuvent être utilisées au Collège en cours de Géographie, pour étudier le fonctionnement d’une ferme, notamment les étapes de la fabrication d’un fromage. D’autres planches, traitant du sexisme ordinaire, seront pertinentes en EMC  (Lycée et Collège) (la p.58-59) suffit à faire le panorama de la grande majorité des formes de sexisme dans le monde du travail (les hommes qui n’embauchent que des femmes pour avoir une « meilleure compagnie » ; les mains baladeuses ; les propositions déplacées du type : « C’est la cabane. Il y a le canap’ dans la cuisine, et sinon, il y a une place dans mon lit. Il fait froid la nuit ! » ; ect).

Je laisse, comme Il est où le patron ? le fait lui-même, le dernier mot à Anne Sylvestre :

« Ah dis-moi donc bergère
Mais que s’est-il passé ?
Ce n’est pas du tout ce que mon père
Et mon, grand père m’ont raconté

Ils m’ont dit que les filles
N’attendaient plus que moi.

Monsieur faut vous y faire
On a changé de ton
Et mon pied au derrière
N’est pas pour mes moutons.«