« Images rupestres du Maroc » reprend l’essentiel d’un texte accompagné d’illustrations publié au Maroc par les éditions Kalimat Babel en 2006 sous le titre « Images gravées du Maroc » qui, quelques mois avant sa publication, fut intégralement scanné et distribué dans tout le pays. Alain Rodrigue a choisi de reprendre ce texte pour le corriger, l’actualiser et en alléger les annexes. Il fait suite aux ouvrages de Malhomme (1959 et 1961) « Corpus de gravures rupestre du Grand Atlas », de Simoneau (1977) « Catalogue des sites rupestre du Maroc » et de Searight et Hourbette (1992) « Gravures rupestre du Haut Atlas ».
L’art rupestre du Maroc est un domaine de recherche moins connu du grand public que l’art pariétal du paléolithique si on s’en tient à la quantité d’ouvrages publiés. Et si on parle d’art rupestre africain, on pensera d’abord, par exemple, aux têtes rondes et au Grand Dieu de Sefar, moins au domaine marocain. Et pourtant, gravé principalement entre le 3e et le 2e millénaire, à la fin du Néolithique Les toutes dernières gravures datent du 4e ou du 5e siècle et c’est donc sur trois millénaires que s’étendent ces représentations, par des peuples de pasteurs pratiquant encore la chasse, dans un espace géographique qui a servit de refuge, c’est un domaine très riche par le nombre et la diversité de ses représentations animales.
Objectifs et méthodes.
Privilégiant le sujet gravé plutôt que les aires rupestres, Alain Rodrigue nous présente avant tout un ouvrage plutôt destiné aux spécialistes. On y trouvera un recensement très complet des images sous la forme d’une typologie mais aussi leur description rigoureuse ainsi que leur analyse. Ce n’est donc pas un inventaire des sites rupestres du Maroc mais un classement thématique des représentations, une vision plus globale des types de gravures, des thèmes les plus fréquents qui « [pourrait] déboucher sur des études comparatives ou critiques ». Il n’y a aucune véritable tentative d’explication (ou si peu et avec toutes les précautions d’usage) et nous en sommes prévenus dès la fin de l’avant-propos. L’auteur n’affirme pas, est toujours prudent dans ses interprétations sachant que de nouvelles découvertes peuvent se faire demain. Le soucis de l’auteur a été d’apporter des clés de lecture : les animaux sont à mettre en relation « avec le climat et la vie des hommes à l’époque de la gravure ».
Les illustrations.
Ce qui marque l’ouvrage, ce sont donc les très nombreuses illustrations. Elles sont regroupées, classées (l’homme, l’homme et l’éléphant, l’homme et le bœuf, le bœuf, l’éléphant, le rhinocéros, les gazelles, les pièges, les symboles…). Pas moins de 95 planches sont présentées avec pour chacune d’elles entre 6 à 24 figures et une moyenne de 10. Les surface et les traits piquetés ou polis ainsi que les images en incisions fines sont parfaitement reconnaissables. Petit détail fort utile : l’échelle (10cm.). Présente à chaque planche, elle nous permet une comparaison entre toutes les figures.
C’est ainsi que plus de 900 images, relevées sur 55 sites, servent de matériaux à l’analyse des thèmes. La représentation en noir et blanc est pratique pour bien distinguer le contour de certaines représentations qui, sur des photographies auraient été difficiles à reconnaître (cf. les problèmes de la photographie dans « L’art rupestre d’Afrique »). Cependant, même si l’échelle est bien présente, on regrettera l’absence du cadre dans lesquelles elles ont été effectuées : sur dalles au sol ou sur des parois, sur rocher, quantités représentées sur un site, etc. On pourra s’en faire néanmoins une idée avec une petite recherche d’image sur internet.
Styles et techniques des gravures.
L’ouvrage montre donc les images rupestres typiques de l’expression artistique du Maroc. Même si l’inspiration reste maghrébine, saharienne, dans le choix des sujets traités, elles restent très différentes par leur style sauf en ce qui concerne le style de Tazina qui est présent dans tout le Sahara et même s’il reste avant tout et surtout animalier dans le Tazina marocain. L’auteur se pose aussi la question de la présence du style lybico-berbère notamment pour les petites représentations qui n’implique pas le cheval ou celle de l’existence du style atlasique remarquable seulement par son thème.
Au final il conclue que le style des gravures rupestres du Maroc est peu narratif, sans trop de détails, de préférence individuel (c’est l’idée de la bête qui est préférée) avec bien sûr quelques exceptions.
Les techniques comme la percussion (piquetage), le frottement (polissage, incision) sont en fonction de la nature pétrographique du support (granite mais surtout grès L’auteur ne mentionne pas les gravure sur marbre découverte en 2009 au sud de Smara. La roche utilisée, le marbre, reste un support exceptionnel.). Laquelle des deux est la plus ancienne ? Rien n’est simple car il n’existe pas de station « pure » : elles ont été fréquentées à différentes époques montrant de ce fait des thèmes et des styles différents. Le trait est, dans l’immense majorité des cas, précis, sans reprise ni bavure. Serait-ce les œuvres de quelques graveurs ? La question se pose en effet de savoir s’il y eut des graveurs particuliers Des relevés ont été effectués ça et là, à plusieurs centaines de kilomètres, présentant des « astuces » stylistiques « signant » l’œuvre (comme les pattes antérieures croisées de l’éléphant ou du bœuf). ou s’il y a eut une « démocratisation » et une « désacralisation » de cette forme de communication. C’est pour cette seconde possibilité que penche l’auteur.
L’analyse thématique.
Si les 3 premiers chapitres sont consacrés aux objectifs et méthodes, à la présentation du domaine rupestre du Maroc et aux techniques et styles , les 7 suivants sont consacrés à l’analyse thématique proprement dite avec les catégories suivantes : l’homme, les animaux (domestiques et sauvages), les armes, chars et cavaliers ainsi que les pièges (preuves d’une civilisation pastorale qui pratiquait toujours la chasse). Les représentations humaines font l’ouverture de l’ouvrage même si ce n’est pas les plus fréquentes (4 % de l’ensemble gravé). C’est donc un choix de mettre l’homme en premier (seul ou avec le bœuf ou l’éléphant) car « dans des zones où il est aujourd’hui difficile de vivre », cette « image (…) est (…) la plus émouvante qui soit ».
Les 3 derniers chapitres, regroupent les gravures qui prennent un aspect plus mystérieux ou sont les moins connus : A chaque fois, la ou les 3-4 pages de textes, présentent d’une part, les « entrelacs », les « spirales » et les « croix » puis les « énigmes » et les « chimères » et d’autre part, les « jeux », les « idoles » et les « inscriptions ».
Les « entrelacs », « spirales » et « croix » représentent parfois 30 % des gravures dans certains sites. Elles sont « sans signification directe pour nous » mais « relèvent d’une symbolique complexe » et « sont des marqueurs civilisationnels ». Mais beaucoup de questions restent en suspens et l’auteur se contente prudemment de ne pas y répondre. Les « énigmes » sont, soit des images auxquelles chaque lecteur pourrait donner une explication différente, soit des images difficilement identifiables en raison des dégâts de l’érosion, des destructions de carriers, de trafiquants ou « d’iconoclastes ignares ». Enfin, d’autres encore sont « des personnages vaguement fantomatiques » ou « à allure de diablotins ». Enfin, les « chimères » sont des animaux fabuleux qui peuvent avoir été maladroitement exécutés ou qui sont « réellement délirants » sans faire partie du style de Tazina pour lequel les membres sont prolongés au-delà de tout réalisme ou sont surnuméraires.
Les gravures nommées « jeux » ne sont en fait que des points alignés qui peuvent ressembler aux jeux subsahariens de l’awélé et du mancala mais ceux-ci ne sont plus traditionnellement pratiqués dans cette partie de l’Afrique. Les idoles dites en violon, celles que Malhomme appelait « Grandes Déesses méditerranéennes », ne sont peut-être que les représentations les plus anciennes du Haut Atlas et rappelleraient des cultes anciens hérités de l’Espagne voisine. Enfin, quant aux « inscriptions », elles sont présentent dans la majorité des sites mais «sont la plupart du temps discrètes, voire très petites ». Déjà expliquées Les travaux du linguiste Pichler ont révélé que les patronymes d’anciens Berbères apparaissaient fréquemment., reste la question de leur datation. Mais, là aussi, l’opération est difficile. En effet, les images, notamment les anthropomorphes avec écriture imbriquée, n’ont peut-être pas forcément été faites par le même lapicide. C’est là, en tout cas, la partie ultime de l’art rupestre puisqu’elles en sont sa dernière manifestation au début de l’apparition de l »écriture.
Un scénario ?
La conclusion de l’auteur est plus qu’intéressante. En effet, elle propose un scénario, une histoire des gravures rupestres au Maroc (non une explication) : les peuples pasteurs se réfugiant dans l’Atlas seraient passés progressivement des peintures polychromes du Sahara au style Tazinien et aux gravures en même temps qu’ils perdaient peu à peu le naturalisme des œuvres originales. Les représentations n’auraient plus montré l’activité quotidienne mais auraient pris une valeur symbolique. La sacralisation des animaux auraient été atténuée. Puis, peut-être vers le deuxième millénaire, le Néolithique marocain aurait exposé des signes de contacts avec l’Espagne. Ce serait ensuite « la montée en puissance des représentations d’armes, relayées bientôt par le cheval », événements qui iraient de pair avec la disparition de la grande faune sauvage.
Conclusion.
Ainsi, « Images rupestres du Maroc » offre au public, spécialiste ou non, une lecture thématique et analytique précise des gravures du domaine pré-saharien et montagnard, principalement de l’Anti Atlas et du Haut Atlas.
On regrettera seulement l’inadéquation entre le texte et les illustrations : il faut parfois faire des allers et venues incessantes entre plusieurs dizaines de pages pour trouver les images correspondantes à la lecture (sauf vers la fin où ce décalage est comblé). De même, l’absence de localisation, sous forme de cartes, manque cruellement pour celui qui ne connaît pas la région ; une seule est présente à la fin de l’ouvrage et encore, sans légende et avec des étoiles sans nom comme marqueurs des principaux sites. Cependant, et Alain Rodrigue y fait référence régulièrement tout au long de son livre, les nombreuses dégradations, destructions et pillages de sites l’ont peut-être amené à la plus grande prudence. Mais à l’heure d’internet, on trouvera facilement des noms précis des sites et leur localisation et si l’ouvrage ne comporte aucune photographie, le lecteur pourra, là aussi, en trouver facilement, relevant ça et là quelques unes qu’il aura vu dans l’ouvrage.
La lecture de cette typologie peut sembler répétitive, contraignante parfois, mais, la qualité et la précision de la description notamment en ce qui concerne la morphologie animale, l’analyse de l’image et le scénario de fin d’ouvrage donnera aux lecteurs assidus un plongeon et une vue d’ensemble, une synthèse, sur cet « art » rupestre qui s’est étalé sur trois millénaires.