À l’heure de la remise d’un livre blanc sur l’immobilier pénitencier et du blocus de certains établissements par le personnel pénitentiaire, la parution de l’ouvrage d’Olivier Milhaud, maître de conférences en géographie à Paris-Sorbonne permet d’éclairer la situation et de comprendre les enjeux spatiaux et citoyens de l’enfermement carcéral.

C’est en tant que membre du GÉNEPI (Groupement Étudiant National d’Enseignement aux Personnes Incarcérées) que l’auteur a choisi de réaliser sa thèse de doctorat en géographie sur les prisons françaises dont est tiré le texte publié ici. Si son engagement militant biaise peut être l’étude menée, il a le mérite d’aller au-delà d’un simple constat d’une situation tendue, voire très tendue et d’interroger le lecteur en tant que citoyen sur ce qu’est l’enfermement et à quoi celui-ci peut-il servir dans une société. La prison, en tant que réponse spatiale à des problèmes pénaux, joue à la fois sur la proximité et la distance : elle tient à distance les criminels et les délinquants (présumés ou condamnés) tout en conservant l’objectif de réinsérer les détenus à la vie de la cité.

Cette géographie des contacts et des écarts a surtout été exploitée à partir des années 2000, dans la lignée d’études remarquées (Erving Goffman, 1961 ; Michel Foucault, 1974 ; Roger Brunet, 1981). Loin d’être une « institution totale » coupée du monde, la prison ne forme pas un espace à part mais constitue un système ouvert sur son environnement à toutes les échelles. Cette porosité ne facilite pas, pour autant, une enquête sur les prisons françaises. Pour comprendre ces organisations spatiales à différentes échelles, l’auteur a eu recours à des bases de données confidentielles, des entretiens avec l’administration, avec les architectes des prisons mais également avec les riverains des prisons puis avec 31 détenus choisis par l’administration pénitentiaire. Les biais de l’enquête menée sont analysés : échantillon réduit de prisonniers choisis par les autorités pour leur exemplarité, pas d’accès aux familles lors des parloirs sans compter l’engagement militant de l’auteur : « Je reconnais ma position explicitement, comme chercheur non dénué de motivations personnelles et politiques. Je suis touché par la détresse des détenus, j’ai été engagé dans une association comme le GÉNEPI, j’ai oscillé tout au long du travail entre carcélo-centrisme (la prison est inévitable), abolitionniste pur et simple (la prison comme système trop coûteux socialement, moralement et financièrement dont il est illusoire de chercher un substitut) et réductionnisme (réduire drastiquement le nombre de détenus par le recours à d’autres sanctions). » (p. 67).

Ces limites n’enlèvent rien à la qualité de l’étude menée permettant de comprendre les contradictions du dispositif carcéral à l’échelle nationale, locale et interne basées sur les tensions entre relégation et proximité, ouverture et porosité. Si la prison est présente sur l’ensemble du territoire national, dans le cadre d’une vision républicaine de desserte égalitaire du territoire en termes d’équipements publics, la géographie des maisons centrales ou des centres de détention relève davantage d’une logique de relégation. Cet éloignement des grandes agglomérations complique non seulement la réinsertion sociale des condamnés mais limite les contacts que ceux-ci peuvent avoir avec leur famille pénalisée par les carences des transports en commun desservant ces espaces pour se rendre aux parloirs. À ces difficultés d’accès s’ajoute le « tourisme pénitentiaire » des détenus (entendre par là les déménagements de ceux-ci d’un établissement à l’autre) compliquant la tâche des familles pouvant résider loin du centre de détention et contraintes à chaque fois de refaire des démarches pour bénéficier de parloirs. La métropolisation et la gentrification des centres-villes s’accompagnent d’une délocalisation d’établissements vétustes vers les espaces périurbains ou ruraux où le foncier est le moins coûteux. Si ces implantations peuvent faire l’objet de phénomène NIMBY, certains élus cherchent à attirer ces équipements dans le cadre d’un projet de territoire en misant sur l’installation du personnel pénitentiaire pour éviter une dépopulation et la fermeture de certains équipements : l’implantation d’une prison se « monnayant » souvent par l’octroi de subventions non négligeables.

L’architecture compartimentée de la prison est analysée en suivant l’emploi du temps des détenus comme leurs déplacements au sein de l’établissement, le tout appuyé sur des schémas, quelques plans ou photographies. Les discontinuités et partitions spatiales sont légions avec l’extérieur comme à l’intérieur de l’enceinte. Pour autant, « l’idée que le dispositif permette « à chaque instant [de] surveiller la conduite de chacun, l’apprécier, la sanctionner, [de] mesurer les qualités ou les mérites » (Foucault, 1993 [1975], p. 168) se révèle fausse. » (p. 185). Les entretiens avec les détenus révèlent les latitudes existantes au sein des établissements pour entrer en contact avec des autres prisonniers ou même des éléments extérieurs (téléphone portable, parloirs sauvages), d’échanger des produits (système du yoyo, par exemple), pour « personnaliser » sa cellule, d’autant plus que les nouvelles structures très automatisées réduisent les contacts avec les surveillants procédant à des ouvertures de portes à distance. Les extraits d’entretien permettent de prendre la mesure de ces ajustements avec la norme et de la réalité quotidienne vécue par les détenus, de comprendre comment l’espace de la prison est territorialisé dans le cadre d’une véritable « lutte des places » (Lussault, 2009) entre détenus en fonction de leur ancienneté dans l’établissement ou de leur appartenance à une bande.

Cet ouvrage achève non seulement de convaincre sur les limites du système carcéral et du « tout répressif », mais interroge également sur la réhabilitation faite dans les centres des villes des espaces pénitentiaires ou comment l’architecture de la prison est sublimée dans le cadre, par exemple de l’installation de l’Université Catholique de Lyon au sein des anciens locaux panoptiques dans le cadre du quartier Lyon Confluence. Comment faire d’une marge un centre !

Catherine Didier-Fèvre © Les Clionautes