Bruno Modica est chargé de cours en relations internationales dans le cadre de la section préparatoire de l’ENA à l’IEP de Lille
Interné d’office… Du camp de Beaune-La-Rolande à l’hôpital psychiatrique de Fleury-Les-Aubrais. Les cahiers d’Abraham Zoltobroda

On ne présente plus l’action du Cercil (Du camp de Beaune-La-Rolande à l’hôpital psychiatrique de Fleury-Les-Aubrais.) qui a déjà publié plusieurs ouvrages dont le remarquable
Pithiviers – Auschwitz 17 juillet 1942, 6 h 15. de Monique Novodorsqui-Deniau présenté
Février 2006. http://www.clionautes.org/?p=1041
Cette fois-ci, toujours avec une qualité d’édition majeure, ce sont les cahiers d’Abraham Zoltobroda qui retiennent l’attention. Le travail de mise en perspective historique est réalisé par Isabelle von Bueltzingsloewen et Benoît Verny qui analysent ces cahiers traduits du yiddish par Batia Braun. Arrêté lors le la rafle du billet vert, La première opération organisée à Paris au printemps 1941, d’Abraham Zoltobroda est le seul survivant de ce groupe de 37 personnes hospitalisées qui ont fréquenté l’asile de Fleury Les Aubrais.

La rafle du billet vert est moins connue que celle du Vel d’Hiv. Il est vrai qu’elle a été menée il est vrai sans publicité, presque clandestinement. Elle a concerné 6 494 hommes âgés de 18 à 60 ans, exclusivement des Juifs étrangers qui, plusieurs mois après le recensement de la fin 1940, ont reçu un simple « billet vert » à leur domicile. Ce billet les invitait en termes laconiques à se présenter, le 13 mai et 14 mai 1941, pour « examen de situation », accompagnés d’un parent ou d’un ami dans quelques centres parisiens. Cette convocation était un être un piège et l’examen » se transforme en arrestation pour 3 747 hommes. Ils sont immédiatement acheminés vers les camps de Pithiviers et de Beaune-la-Rolande, dans le Loiret, où ils restent pour la plupart plusieurs mois, jusqu’aux premières déportations.
Parmi les internés certains ont essayé d’échapper à leur sort en simulant sans doute des troubles psychiatriques où en faisant valoir des problèmes de ce type aux autorités sanitaires.

La trajectoire personnelle d’Abraham est exceptionnelle. Sur les 37 personnes hospitalisées, 11 ont pu rester à l’Asie. Mais peu à peu libérés de cet établissement, ils ont tous été déportés dans différents convois tandis que Abraham, animé d’une farouche volonté a pu survivre. Il doit également la vie à la ténacité de sa femme Rosa et à l’engagement du Docteur Caron, le médecin chef de cet établissement.

Les cahiers sont un témoignage étonnant sur la vie dans ce camp. L’obsession est la survie dans un milieu où règnent à la fois la loi du plus fort et la solidarité. Les gendarmes sont facilement corruptibles et, moyennant quelques « coups à boire », permettent aux internés de s’approvisionner dans les commerces voisins.
Parmi ces internés, Abraham fait mention de Trotskistes qui cherchent, en vain, à susciter des réactions collectives, mais le témoignage est lacunaire sur cet aspect de la question. Il est vrai que les internés étaient tenus à une stratégie de survie individuelle même si une caisse de solidarité a été mise en place permettant d’acquérir des produits alimentaires.

Le courage des médecins

Arrêté en mai 1941, Abraham rentre pour la première fois à l’Asile en août, il est renvoyé au camp, puis ré-interné grâce à l’action du médecin chef qui atteste de sont incapacité à supporter la détention. De fait, Abraham va organiser sa vie dans l’asile, profitant de la complicité des infirmiers et d’une partie du corps médical. Il quitte cet établissement au bout de deux ans et demi pour Sainte Anne en même temps que 16 autres malades le 16 mars 1944. Il est élargi à la libération.

Le destin de sa femme et de ces enfants est également surprenant. Arrêtée avec ses enfants elle est internée à Rivesaltes avant d’être assignée à résidence à Lacaune.
Le témoignage d’Abraham est émouvant car il décrit un univers étonnant où l’homme se révèle dans ses grandeurs et ses bassesses. Les égoïsmes, les lâchetés quotidiennes voisinent avec la débrouillardise et la générosité. On retrouve ici aussi les inégalités sociales. Ceux qui ont pu prendre suffisamment d’argent avant la rafle ont parfois aidé leurs co-détenus., sans espoir de retour parfois.
L’ouvrage mérite très largement d’être cité dans le cadre de la préparation au concours national de la résistance dont le thème est « L’aide aux personnes persécutées et pourchassées en France pendant la Seconde Guerre mondiale : une forme de résistance ».
On comprendra l’intérêt de cet ouvrage qui montre l’action des personnels de santé qui, à leur niveau, et en prenant des risques, ont pu jouer dans ce domaine un rôle important mais largement méconnu.

Une fois de plus cette édition se révèle de grande qualité. Tous les documents reproduits sont parfaitement lisibles et les photos de cette vie dans la France des années trente éclairent aussi le quotidien de ces juifs polonais qui ont essayé de fuir les persécutions en se réfugiant en France avant qu’une machine de mort n’en rattrape une grande partie.

Bruno Modica © Clionautes