Au mois d’avril dernier, l’historien Maxime Michelet, spécialiste de la IIe République et du Second Empire, président des Amis de Napoléon III, a publié un ouvrage consacré à L’invention de la présidence de la République, préfacé par un autre spécialiste éminemment connu et reconnu sur le sujet Éric Anceau. Cette invention, qui se confond avec la personne de Louis-Napoléon Bonaparte, est déroulée sur 14 chapitres qui suivent un ordre chronologique allant du retour des Bonaparte en France au coup d’état et au rétablissement de l’Empire.

Le chapitre un « le prince de la république » débute avec le retour de Louis-Napoléon Bonaparte en France le 28 février 1848 après la chute de Louis-Philippe. Il est alors à l’époque peu entouré mais entouré par une poignée de fidèles. Si son retour ne suscite pas de polémique dans un premier temps cette dernière ne tarde pas. Dès lors, Louis-Napoléon Bonaparte fin tacticien, avance prudemment en refusant notamment de se présenter aux élections en avril 1848. Ce n’est bien sûr, que partie remise.

Le chapitre deux « inventer la présidence », choisit à juste titre de revenir sur cette nouvelle fonction. La part belle est faite aux débats qui agitent à l’époque la classe politique et notamment, l’auteur mentionne à juste titre le fameux débat qui a opposé, entre-autre Jules Grévy à Lamartine en octobre. En dépit des efforts et des arguments des opposants et de la crainte de certains de voir Louis-Napoléon Bonaparte, et d’autres, de se faire élire finalement l’article 43 est adopté par 627 voix contre 130 (page 53). Enfin, l’auteur procède une nouvelle fois à une mise au point salutaire : la seconde république n’était pas un régime présidentialiste dans la mesure où le président dispose alors de pouvoirs faibles comme le remarque de manière fort opportune sans doute le meilleur connaisseur de la fonction de l’époque : Alexis de Tocqueville (page 46). Mais (car il y a toujours un « mais ») il est certes faible mais essentiel comme le souligne un des sous-titres du chapitre, par la grâce que lui octroie le suffrage universel masculin, grâce et puissance qu’un certain nombre de députés redoutent très vite.

Le chapitre trois intitulé « élire le président » suit logiquement la chronologie. Michelet analyse la campagne présidentielle la première de l’histoire, les diverses candidatures et les stratégies qui émergent alors. Les divisions de rigueur : Bugeaud se retire se rallie à Bonaparte car il ne souhaite pas favoriser Cavaignac, le favori de l’assemblée, qu’il déteste. Le prince-candidat (page 66) est interpellé. Il répond, mais un avancement premier, son programme, illustrant son idée selon laquelle l’élection présidentielle est avant tout la rencontre d’un peuple avec un prince, dont le nom est un principe (page 69).

Le 10 décembre l’élection a lieu. Le dépouillement prend plusieurs jours. Le 14 décembre Louis-Napoléon Bonaparte franchit la majorité minimum requise pour être élu (2 millions voix). Le 17 il en est à 5 millions. Ce phénomène, vécu comme un raz-de-marée, est alors perçu comme le triomphe de l’ignorance des campagnes pour les uns, le « février des campagnes françaises » pour les autres (Karl Marx). Mais comme le souligne l’auteur, l’analyse immédiate ne tient pas, et illustre à la fois le fossé politique immédiat entre les villes et les campagnes mais aussi et surtout les mémoires révolutionnaires différentes qu’entretiennent les deux milieux. Pour les campagnes ce vote incarne la mémoire de 1789 et non celle de 1848, la mémoire lointaine s’impose sur la mémoire immédiate, la dynastie Napoléon incarnant par excellence la première.

Dans la foulée du chapitre trois, le lecteur qui souhaitera respirer avant d’aborder la suite des événements politiques, pourra, à ce stade de la lecture, se porter tout de suite au chapitre six qui s’étend sur la vie au palais Élysée, nouveau lieu central de la vie politique française.

Le 20 décembre, l’investiture a lieu. Louis-Napoléon Bonaparte s’installe à L’Élysée. Le chapitre quatre analyse les premiers temps de la présidence : la composition du gouvernement, les concessions obligatoirement faites par Louis-Napoléon notamment aux partisans de Tiers. Le passage le plus intéressant concerne une fonction aujourd’hui totalement oubliée : celle de vice-président de la république, unique, dont la charge consiste essentiellement à assurer l’intérim de la présidence et à diriger le conseil d’État. Peu de pouvoir en somme mais une charge prestigieuse malgré tout qui fait penser à celle exercée actuellement par le président du Sénat. Le premier gouvernement, qui est surnommé « le ministère de la contrariété », montre que les débuts sont difficiles pour le nouveau président avec très rapidement une première accusation qui tombe à son encontre et que la postérité ne démentira jamais, celle de violation de la constitution.

Les chapitres sept et huit sont complémentaires et analysent la « présidence napoléonienne » et donc, logiquement, la question des rapports entre « le peuple et le président ». Une place majeure est accordée à la politique développée à la mémoire napoléonienne avec l’organisation de cérémonies mémorielles comme celles organisées aux Invalides en mai et août 1849 par exemple. En cet axe mémoriel, une place particulière est faite à Jérôme, alors dernier frère vivant de Napoléon Ier. Pour autant les fidèles du premier empereur adhèrent-ils unanimement à Louis-Napoléon ? Non, comme en témoigne l’incident survenu lors d’un voyage à Dijon en août 1849. Un vieux grognard, Claude Noizot, qui avait suivi Napoléon Ier sur l’île d’Elbe et qui était resté fidèle à sa mémoire, n’hésite pas à reprocher vivement à Louis-Napoléon venu lui rendre visite, la déportation d’un ami dont le tort fut d’avoir participé à la tentative insurrectionnelle du 13 juin (page 165).

Le chapitre huit revient sur quelques aspects de la politique du prince-président et la manière dont il impose un style nouveau pour un dirigeant. Tout en s’inscrivant dans le sillage des pratiques sociales classiques inhérentes à un chef d’État, tout en étant fidèle aux grandes lignes tracées dans ses écrits, l’extinction du paupérisme en tête, il est le premier à l’ancêtre du salon de l’agriculture inaugurant par-là, une tradition désormais incontournable : tout chef d’État ou de parti politique se devant actuellement d’y apparaître et de s’illustrer afin de montrer son lien avec les campagnes. Le champ des visites officielles du chef de l’État s’élargit et s’ancre dans la modernité avec l’inauguration des lignes de chemin de fer et la multiplication des visites d’intérêt économique. Le président VRP que l’on connaît actuellement est né … Vive le président !… Et vive la république ? La question ainsi posée en sous- titre s’attarde sur les oppositions à Louis-Napoléon Bonaparte qui, déjà, émergent durant son mandat. La région de l’Est et Dijon se distinguent sensiblement en manifestant ouvertement son hostilité à Bonaparte.

Les chapitres suivants analysent l’évolution de la vie politique et son glissement vers le coup d’état. Les tensions, les ambitions et les divisions de la classe politique sont analysées parallèlement à la logique et la mécanique menant au coup d’état de décembre 1851. Le chapitre neuf, « l’émancipation : le gouvernement du 31-octobre » revient sur les premières failles politiques qui apparaissent entre l’Élysée et le Palais-Bourbon à l’occasion des débats concernant la dotation présidentielle en mars 1849 (page 229) et les recompositions politiques observables à cette époque de la présidence alors en posture délicate. Le conflit avec l’assemblée est ouvert et ce n’est non sans mal que Louis-Napoléon récupère par exemple ses droits de chef des armées après une longue bataille politique. Mais reste une question et une volonté : celle de sa réélection, apriori impossible selon les termes de la constitution dont il demande la révision. Le chapitre 10 titré : « l’affrontement, les gouvernements de janvier » s’ouvre sur le scandale de Satory qui éclate le 10 octobre 1850. Les vivats impériaux scandés à l’occasion, certes minoritaires, provoquent un véritable scandale et le mécontentement de l’assemblée. L’année 1851 révèle l’impasse avec un projet de révision de la constitution qui est rejetée le 19 juillet. Mais, comme le souligne Maxime Michelet « était-elle seulement envisageable avec une assemblée comptant plus de 200 députés démocrates – socialistes ? » (page 269). Le chapitre 11 qui est justement centré sur ce projet de réforme, ne manque pas de revenir sur la candidature qui a à l’époque le plus inquiété Louis-Napoléon Bonaparte : celle de Martin Nadaud, promu par le journaliste Émile de Girardin.  Le lecteur le sait, le conflit est irréversible. Michelet nous livre un récit, parfois haletant où la tension entre les différents protagonistes est perceptible.

Le coup d’état approche… et, bien entendu l’auteur ne peut s’empêcher d’effectuer un parallèle avec l’oncle en intitulant le chapitre 13 « le 11 frimaires an LX ». Il s’ouvre sur la soirée du lundi 1er décembre 1851 : Louis-Napoléon réunit les principaux acteurs du coup d’état qui est imminent. Ce chapitre fort utile permettra notamment aux professeurs de classe de première d’expliquer concrètement comment un coup d’état s’organise, la question revenant régulièrement chez les élèves : affichage massif sur les murs de la capitale prise de possession des ministères clés dont celui de l’intérieur par Morny, diffusion de circulaires au préfet, détachement de soldats dispersés aux points stratégiques de la capitale … Mais si l’émotion est partout, l’étonnement est nulle part par comme le souligne à l’époque Le constitutionnel (page 301). Les barricades sont construites le matin du 3 décembre indiquant qu’un début de résistance s’opère, mais sans succès. Le rappel de l’épisode de la fusillade des boulevards au cours de laquelle l’armée ouvre le feu sur la foule au niveau des boulevards Poissonnière, Montmartre et des Italiens marquent les mémoires par sa brutalité mais brise toute nouvelle tentative de résistance. Point important, c’est à ce moment-là comme le rappelle l’auteur que les républicains prennent conscience (enfin pourrait-on rajouter) que la République ne pourra pas se construire sans les masses rurales (page 312).

Le dernier chapitre « la république du président » débute au lendemain des résultats du plébiscite et la promulgation de la constitution du 14 janvier 1852, rédigé par Rouher selon les grandes lignes posées par Louis-Napoléon. La confiscation des biens de la famille d’Orléans est prononcée, manière radicale de casser une trop grande influence potentiellement nuisible du parti orléaniste qui s’est rallié. Les sommes obtenues sont reversées aux sociétés de secours mutuels, aux logements ouvriers, mesures certes scandaleuses par le procédé mais annonciatrice de la future politique sociale. Peu à peu le glissement se fait avec une certaine forme de prudence (il affirme ne pas vouloir rétablir l’empire encore) mais tous les signaux indiquant l’évolution politique à venir sont donnés. Ainsi, la rhétorique change. Louis-Napoléon Bonaparte n’est plus seulement le président de la république, puisqu’à partir du 15 janvier les documents sont désormais adressés non plus au président de la république mais au prince-président de la république, ou Monseigneur. Le 10 mai 1852 a lieu devant l’école militaire une distribution des aigles impériaux à l’armée, tandis que le 15 août, fête commémorative instaurée par Napoléon Ier le 19 février 1806 est restaurée, et que le nom de Napoléon III est apposé sans complexe aux Tuileries en octobre. Enfin, la question dynastique se pose et donc celle de son mariage. Jusqu’alors, Miss Harriet Howard, une actrice anglaise, principal soutien moral et financier et surtout compagne de Louis-Napoléon depuis 1846, pense devenir la future Impératrice des français, il n’en sera rien. Le chapitre se termine d’ailleurs sur un prénom : Eugénie.

La restauration impériale est effective le 2 décembre 1852 date choisie par Napoléon III pour se placer dans la droite ligne du sacre de 1804 et de la victoire d’Austerlitz en 1805.

La conclusion fait quant à elle un bref bilan de la mémoire négative entourant Napoléon III après la défaite de Sedan le 2 décembre 1870. Si, comme le rappelle très justement Michelet l’histoire a été écrite par les vainqueurs, il est essentiel de rappeler que : « Louis-Napoléon Bonaparte a fondé la présidence de la république en incarnant en incarnant sévices et ses vertus, en fournissant à la postérité un exemple mal assumé et un épouvantail particulièrement efficace », analyse oh combien pertinente au regard de la vie politique actuelle depuis 1958.

Avec une écriture fluide laissant une belle place à des extraits issus des sources primaires, Maxime Michelet aborde ici une période mal connue et prend soin de revenir sur les clichés et les idées reçues. Loin de la légende noire établie par Victor Hugo et la Troisième République, Michelet dresse ici un portrait du prince Président, bientôt Empereur, où ses paradoxes, ses ambiguïtés mais surtout son habileté politique se révèlent au fil des 14 chapitres. A ce titre cet ouvrage, hautement recommandable sur le plan professionnel, constitue une excellente mise au point scientifique à laquelle les professeurs ayant en charge le programme de Première pourront se référer.