Marie-Paule Caire-Jabinet est docteure en histoire médiévale, professeure honoraire de classe supérieure au lycée Lakanal de Sceaux (92) ainsi que maitre de conférences à l’Institut d’études politiques de Paris (75).
Elle a publié plusieurs ouvrages dont une Histoire des Auvergnats et des Bourbonnais chez Nathan en 1979 ; une Chronologie de la France chez Nathan en 1998 et une Histoire des religions en France, XVIe-XIXe siècles chez Armand Colin en 2000.
L’ouvrage est découpé en cinq chapitres :
-Chapitre 1 – La période médiévale : une histoire chrétienne.
-Chapitre 2 – Les temps modernes : de l’historien de cour à l’érudit.
-Chapitre 3 – L’histoire adulte : de Voltaire à Lavisse.
-Chapitre 4 – L’Histoire en question.
-Chapitre 5 – « Tournant » des années 1980 et recompositions historiographiques.
L’auteure revient sur les origines du terme « histoire » ; terme ambigu en français car il désigne à la fois le récit et la science historique. Ambiguïté levée chez les Allemands qui utilisent le terme historie pour désigner la connaissance et geshichte pour parler de la science historique. Puis, elle souligne que le monde de la recherche historique est traversé par deux interrogations : celle des pratiques du métier d’historien et celle du décloisonnement de la science historique. Enfin, elle rappelle que le terme « historiographie » signifie « l’art de l’histoire ». Autrement dit, l’historiographie est l’histoire de l’histoire.
Chapitre 1 – La période médiévale : une histoire chrétienne.
L’histoire médiévale manque d’autonomie intellectuelle car elle trop ancrée dans une vision chrétienne. Ce serait une histoire moralisatrice, truffée d’erreurs et sans méthode. En réalité, il existe une méthode dès le VIIIe siècle où les sources sont listées. Au XIe siècle, on distingue déjà les documents officiels des documents proposant une vision narrative de l’histoire. Au XIIe siècle, il y a une réelle volonté de s’appuyer sur des sources qui sont d’ailleurs relativement variées (documents officiels, ruines, monuments, témoignages) mais souvent mal analysées faute de méthodes. Les textes sont critiqués, dès le XIIe siècle on vérifie l’authenticité des documents. Les productions sont diverses : annales, chroniques rédigées en latin.
Une histoire avant tout produite par les clercs. D’abord les évêques, notamment Grégoire de Tours (538-594) qui écrit en 573 une Histoire des Francs en dix livres. Les évêques produisent beaucoup d’histoires épiscopales, des vies de saints fondateurs pour légitimer les droits épiscopaux. Des hagiographies et livres d’histoire ecclésiastique ou universelle sont écrits par les moines notamment entre le Xe et le XIIIe siècle avec une réussite importante pour l’abbaye de Saint-Denis, principal centre historiographique du royaume de France. Les Laïcs développent une histoire nationale en français, notamment des récits de croisade. Un livre fournit la base de toute histoire des croisades, celui de Guillaume de Tyr, Histoire du royaume latin de Jérusalem, écrit en 1220. Les Laïcs font aussi des chroniques surtout pour un public aristocratique. C’est une histoire partiale, servant avant tout les intérêts du commanditaire. L’histoire va aussi servir le politique, on écrit des chroniques où on parle de bataille, diplomatie, vie de cours etc. En somme, l’auteure nous livre une histoire riche qui s’élargit progressivement à un public varié et qui joue un rôle de plus en plus important dans le politique mais qui reste encore réservée aux élites. Elle développe ses méthodes même si elle reste construite à des fins moralisatrices ou par intérêt.
Chapitre 2 – Les temps modernes : de l’historien de cour à l’érudit.
Les faits servant plus le style que la science dans les chroniques sont supprimés pour laisser place à plus de réflexion. L’histoire s’ouvre à un public bourgeois, cultivé et instruit. La production est davantage utilisée à des fins politiques dans un contexte d’affirmation de l’État. L’humanisme permet de renouer avec l’Antiquité, le protestantisme insiste sur l’importance de la critique sur des documents originaux. Une nouvelle histoire voit le jour avec une méthode s’inspirant des juristes et des philologues. On peut retenir le travail d’enquête d’Étienne Pasquier Recherches de la France en sept livres écrits entre 1560 et 1607. On voit aussi apparaître des théoriciens de l’histoire comme Jean Bodin (1530-1596) et Lancelot Voisin de La Popelinière (1541-1608) qui propose d’écrire une histoire englobant tous les aspects de la vie, toutes les époques et ouverte sur de nouveaux horizons.
Le XVIIe siècle est marqué par un temps d’arrêt dans la réflexion. Cela peut s’expliquer par l’instrumentalisation de l’histoire par le pouvoir royal, la place prise par la rationalité des sciences face à une histoire proposant des récits naïfs et truffés d’erreurs, et par la nécessité d’assimiler les acquis passés du XVe-XVIe siècles. Le siècle n’est pas complètement à l’arrêt puisque des disciplines annexes sont fondées par les antiquaires et par l’intense activité des Jésuites et Bénédictins qui produisent des instruments de travail importants comme les glossaires. Par ailleurs, des institutions importantes sont fondées pour encadrer et encourager la recherche. Un personnage central : Jean Mabillon (1632-1707) qui écrit en 1681, De re diplomatica où il propose une méthode d’identification des documents.
Chapitre 3 – L’histoire adulte : de Voltaire à Lavisse.
Au XVIIIe siècle, Voltaire est le premier à joindre l’érudition à la réflexion philosophique. Dans ses Considérations sur l’histoire de 1744, il réfléchit à une méthode et plaide pour l’utilisation des documents originaux, une chronologie précise et un renouvellement des sujets. Il veut élargir les sources et faire une histoire totale. Il écrit un Essai sur les mœurs et l’esprit de la nation en 1756, une histoire universelle sur les hommes. Une part des progrès des siècles précédents est anéantie par la Révolution française. Beaucoup de documents ont été détruits, des ordres fermés tout comme des universités et des bibliothèques. C’est en Allemagne que l’histoire érudite avec méthode se développe.
Le renouveau vient au XIXe siècle. Deux périodes passionnent : le Moyen Âge et la Révolution française. Une histoire souvent partisane, beaucoup d’historiens utilisent l’histoire pour appuyer leurs convictions. C’est une période qui voit l’institutionnalisation de la discipline. On forme des spécialistes pour diriger les archives qui sont fondées dans chaque département, François Guizot créé un comité des travaux historiques en 1834, l’histoire acquiert une place essentielle au lycée et a un programme dès 1838. Le vide institutionnel se comble progressivement. Le peuple est mis en avant dans cette histoire romantique. On peut retenir l’œuvre de Jules Michelet (1798-1874) qui cherche à écrire une histoire intégrale et qui a ouvert un immense chantier : histoire des représentations, des structures politiques, économiques et sociales. Dans cette période on peut aussi remarquer Numas Denis Fustel de Coulanges (1830-1899) qui est un des premiers historiens à concevoir et appliquer une méthode rigoureuse qui annonce l’école méthodique. La question scolaire devient cruciale après la défaite de 1870, tout comme la place de l’histoire à qui on assigne un rôle idéologique : former les esprits à l’amour de la patrie. Des structures nouvelles apparaissent, des sociétés spécialisées. La passion pour les archives et les documents officiels fait disparaître pour un temps l’histoire du quotidien et des sentiments.
L’école méthodique va mettre en place une méthodologie rigoureuse où l’historien doit pratiquer une critique interne et externe des documents. Cet intérêt pour les documents conduit à produire une histoire surtout évènementielle. En 1898 Charles-Victor Langlois et Charles Seignobos publient, Introduction aux études historiques. Ce livre pose les cadres de la méthodologie. L’école possède une revue, la Revue historique fondée en 1876 par Gabriel Monod. Il faut souligner aussi le rôle d’Ernest Lavisse (1842-1922) auteur de nombreux manuels de l’enseignement primaire et d’instruction civique. Il a beaucoup travaillé sur les questions d’enseignement. Sa plus grande œuvre : L’Histoire de France dont il est à la direction. C’est au XIXe siècle que l’histoire devient une science. L’école méthodique pose les principes pour plusieurs décennies avec une influence jusque dans les années 1930.
Chapitre 4 – L’Histoire en question.
Le début du XXe siècle est marqué par une montée en puissance des sciences sociales. Au sein de la Revue de synthèse historique se retrouvent ceux qui ne veulent pas uniquement faire du récit. Son fondateur Henri Berr pense que l’histoire peut devenir la science des sciences, celle qui va les coordonner. On y retrouve des géographes, historiens, économistes entre autres. Dans les années 1920, l’histoire est critiquée car trop tournée vers la nation. D’autres champs de recherche naissent notamment l’histoire quantitative avec Ernest Labrousse (1895-1988). On retiendra son travail novateur : Esquisse du mouvement des prix et des revenus en France au XVIIIe siècle, 1933.
1929 voit la fondation de la revue des Annales d’histoire économique et sociale. Cela marque une rupture avec l’école méthodique qui est fortement critiquée. Les historiens des Annales s’intéressent à l’actualité, au présent, collaborent avec les autres sciences sociales et notamment avec la géographie. La thèse de Fernand Braudel (1902-1985) est un très bon exemple de géohistoire, La Méditerranée à l’époque de Philippe II, 1949. S’ils ne sont pas les seuls historiens importants de ce mouvement, on retiendra les fondateurs : Lucien Febvre et Marc Bloch. Ce dernier ouvrira d’ailleurs la voie à l’histoire culturelle avec ses Rois thaumaturges en 1924.
La 3e génération des Annales conduit à une « nouvelle histoire » influencée par l’affirmation de la sociologie après la Seconde Guerre mondiale. Cela marque le début de la démographie historique auteur d’historiens comme Pierre Goubert, Beauvais et le Beauvaisis, 1960 ou encore François Lebrun, Les hommes et la mort en Anjou aux XVIIe et XVIIIe siècles, 1971. L’histoire économique se renouvelle également grâce aux progrès de l’informatique qui fait apparaître l’histoire sérielle. Fernand Braudel, père fondateur de la nouvelle histoire écrit une thèse, Séville et l’Atlantique, 1955-1960, où il propose une approche singulière du temps (une histoire immobile, une histoire des structures et une histoire évènementielle). L’histoire des mentalités prend de l’ampleur et est à la mode dans les années 1960 avec des historiens comme Philippe Ariès, L’Homme devant la mort, 1977. Histoire politique et histoire antique connaissent quelques renouvellement.
Chapitre 5 – « Tournant » des années 1980 et recompositions historiographiques.
Dans les années 1980, un fossé se creuse entre le grand public et le monde universitaire. Cela est dû en partie à l’atomisation de la recherche et l’hyperspécialisation qui n’a pas grand intérêt pour le grand public. Les idées neuves en histoire viennent de l’étranger. Notamment la micro histoire venue d’Italie avec Carlo Ginzburg, Fromage et les vers. L’univers d’un meunier du XVIe siècle, 1976. À partir de l’étude d’un individu cette histoire reconstruit les réseaux auxquels il a appartenu. En Allemagne se développe une histoire du quotidien avec notamment Alf Lüdtke, Histoire du quotidien, 1989. Les Annales répondent par un « tournant critique » fin des années 1980 et l’histoire s’ouvre plus aux autres disciplines. C’est le retour aussi de la biographie à partir des années 1970 et de l’évènement accompagné d’une relecture des travaux des historiens méthodistes. L’historiographie émerge également et devient une préoccupation importante.
Les années 1980 marquent un tournant avec le développement de l’histoire culturelle qui serait une histoire sociale des représentations autour d’historiens comme Alain Corbin, Philippe Ariès, François Dosse, Michel Pastoureau et Dominique Kalifa. L’histoire culturelle a une influence considérable sur les approches ouvrant la voie à la prosopographie, à une histoire comparatiste ou encore à de la socio-histoire. De manière générale c’est l’histoire sociale qui est profondément modifiée avec un large décloisonnement. Par exemple, l’histoire du genre se développe à la fin des années 1980. Un champ de réflexion sur la construction sociale des identités féminine et masculine relevant du socio-culturel et non du biologique. L’histoire du genre s’intéresse à la famille, à la parentalité, au sexe, au corps… Une revue spécialisée dans le genre est créée en 2007 : Genre et Histoire ou encore depuis 2013, Clio, Femmes, Genre et Histoire. L’histoire politique qui ne s’était jamais complètement arrêtée se renouvelle dans les années 1970 autour de René Rémond, François Bédarida, Jean-Pierre Rioux et Michel Winock. Ces trois derniers fondant la revue Vingtième siècle. Revue d’histoire en 1984. Enfin, un nouveau champ apparaît, celui de l’histoire du temps présent notamment avec la création en 1978 de l’Institut d’histoire du temps présent.
Les années 1980-1990 sont marquées aussi par les débats entre mémoire et histoire. Les historiens se retrouvent sollicités dans des procès, subissent une pression de la demande sociale sur des questions sensibles. Cette intervention du public et de la politique a conduit les historiens à créer en 2005 un comité de vigilance des usages de l’histoire. L’histoire se renouvelle aussi avec la percée de l’histoire mondiale autour de l’histoire antique et moderne d’un part. D’autre part, la percée de l’histoire globale se fait autour de l’histoire contemporaine. Cette approche permet de dépasser les frontières, de faire des comparaisons. C’est une histoire connectée avec des objets d’étude souvent dans la longue durée. Peu d’historiens français sont encore dans cette démarche par rapport aux anglo-saxons. Citons par exemple, Serge Gruzinski, Les quatre parties du monde, Histoire d’une mondialisation, 2004 ou Patrick Boucheron (dir.), Histoire du monde au XVe siècle, 2009.
Dans sa conclusion, l’auteure souligne combien les Français semblent passionnés par une certaine histoire produite par le cinéma, l’industrie du jeu vidéo, la télévision souvent en décalage avec la recherche universitaire. Ce décalage s’observe bien autour de la mémoire. Alors que la société, des groupements, des communautés, attendent des historiens une réponse au devoir de mémoire, la production scientifique ne permet pas de répondre aux attentes de ces groupes. Le décalage se fait aussi entre une société de l’immédiat qui veut des interprétations rapidement et le travail de l’historien qui, par essence, demande du temps.
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Ce livre offre une très belle synthèse sur l’historiographie française. Comme son titre l’indique, il reste une introduction sur le sujet qui pourra être profitable à toute personne souhaitant découvrir l’historiographie ou la redécouvrir. L’ouvrage est facile à lire avec un découpage très clair et une synthèse de la production historique classée par thème en fin d’ouvrage. Pour aller plus loin, il faudra se tourner vers le manuel Histoire et historiens de Jean-Maurice Bizière et Pierre Vayssière chez Hachette, mais aussi et surtout vers les deux ouvrages d’historiographies chez Folio sous la direction de Christian Delacroix, François Dosse, Patrick Garcia et Nicolas Offenstadt.