Les auteurs : Richard Laub est diplômé de l’Université Libre de Bruxelles et de Carnegie Mellon (USA). Olivier Boruchowitch a été durant 10 ans le rédacteur en chef du news magazine Regards centré sur le Proche-Orient et le dialogue israélo-palestinien. Philosophe et journaliste, il est le coauteur de plusieurs ouvrages parus aux éditions Luc Pire et de publications pédagogiques dont Tolérance, des mots pour le dire – la démocratie citoyenne à l’épreuve du national populisme.
Bruno Modica est chargé de cours en relations internationales pour les formations Prépa-ENA – EMIA au CNED de Lille.

Cet ouvrage publié par Berg international peut apparaître comme un plaidoyer en faveur d’une paix juste et négociée au Proche-Orient. On peut difficilement s’y opposer. Pourtant, une fois refermé, il est difficile de ne pas avoir une sensation de malaise. L’argumentaire pessimiste des deux auteurs sur l’avenir compromis d’Israël peut apparaître comme une sorte de justification à la politique de l’État hébreu.
En effet, bien des conclusions de cet ouvrage apparaissent à première vue très discutables. Plus sans doute par l’interprétation qui peut en être faite que par le contenu même. Les auteurs assez pessimistes quand au devenir d’Israël présentent les difficultés de ce pays comme le résultat d’une logique infernale, celle du déni.

Ils n’ont pas forcément tort et l’aveuglement des palestiniens radicaux explique aussi le blocage de la situation malgré les accords d’Oslo.
La résolution de l’ONU en 1975 assimilant le sionisme « à une forme de discrimination raciale » a sans doute empêché que des ponts soient jetés mais dans le même temps, la guerre civile au Liban venait de commencer.
Et dans cette guerre civile, l’État hébreu n’ pas été neutre loin s’en faut.

Les auteurs dénoncent une certaine réprobation d’Israël mais dans le même temps, il n’est pas sûr que celle-ci ne soit pas fondée. L’aveuglement de secteurs entiers de la société israélienne fragilise incontestablement le pays. Entité fragile au territoire exigu, implanté dans une région instable, parcourue par les vents mauvais de l’intégrisme religieux disent-ils en parlant de l’état hébreu, mais la radicalisation n’est-elle pas aussi à l’intérieur du pays ? Ariel Sharon n’a-t-il pas voulu, pour des raisons électorales déclencher une seconde Intifada ? Le jeu trouble d’Israël avec le Hamas il y maintenant vingt ans, avec comme souci d’affaiblir l’OLP n’est-il pas revenu comme un boomerang ?
La constitution sur la bande de Gaza, d’un bastion intégriste que la guerre de représailles contre les attaques de roquettes est venu conforter. Il y a un an, les raids et bombardements aériens suivis par une offensive terrestre lancée le 3 janvier 2009. Cette offensive avait pour objectif de mettre fin aux tirs de roquettes Qassam du Hamas sur le territoire israélien. Le résultat final a été une radicalisation de la vie politique israélienne et dans le même temps une justification de la politique du Hamas, politique que subissent une majorité de gazaouis.

D’un certain point de vue, Israël tire avantage de cette situation. Le bastion du Hamas désormais strictement contrôlé, y compris par des drônes, est une sorte de repoussoir commode, pour toute solution du type, la paix contre les territoires.
La radicalisation des israéliens encourage de fait cette posture qui s’autoentretient au rythme des attentats suicide dont les auteurs dressent la macabre comptabilité.
Les Israéliens ont intérêt, au moins autant que les Palestiniens, à conclure une paix durable et à normaliser leurs relations avec l’ensemble de leurs voisins, affirment les auteurs, mais dans le même temps, il n’est pas sûr que l’aspect déséquilibré de leur argumentation éclaire vraiment la question.
Il est clair qu’Israël souffre depuis 1967 d’un processus de délégitimation, de plus les vraies causes de celle-ci , selon les auteurs seraient antérieures à la seconde guerre mondiale.
Certes l’antisémitisme n’est pas un phénomène nouveau et les lecteurs peuvent être surpris de cette affirmation. Pour autant peut-on considérer que l’on puisse d’un trait de plume réparer une injustice faite par un peuple par une autre à un autre peuple ?

Différents arguments sont ainsi présentés que nous reprenons dans la table des matières de l’ouvrage.

L’INSTABILITÉ GÉOHISTORIQUE DE LA RÉGION

La succession des dominations, revient sur l’histoire de la région, ainsi que la recomposition internationale après la seconde guerre mondiale.
L’inventaire des foyers d’instabilité autour d’Israël, ne donne pas lieu à contestation dans cette rgion à instabilité constante. On pourra toutefois argumenter sur la responsabilité de l’État hébreu dans cette situation notamment par des interventions ayant un effet destabilisant en terme de territoires ou même pour la gestion de l’eau du Jourdain.
Les auteurs reviennent également, sans doute en la dramatisant, ce qui vient à l’appui de leur thèse, sur la globalisation de la menace terroriste et la menace de prolifération nucléaire. L’hypothèque iranienne bouleverserait selon eux les équilibres mais l’on pourrait également nuancer en rappelant que l’équilibre de la terreur a pu, entre l’URSS et les États-Unis, entrer l’Inde et de le Pakistan plus récemment susciter une certaine sagesse. Après tout la seule puissance nucléaire de la région est bien l’État d’Israël. Il n’est pas sûr que cette hégémonie ait été source de stabilité jusqu’à présent.

LA PRÉCARITÉ DES APPUIS INTERNATIONAUX
En traitant de cette question, les auteurs font l’inventaire des résolutions de l’ONU, des postures des uns et des autres concernant Israël. de là à parler de l’isolement régional allant jusqu’à l’ostracisation, il a un pas qui n’est pas franchi. Dans Le pétrole et la Chine , les auteurs évoquent les actions de la Chine dans le conflit israélo-palestinien. le pays a une position ambigüe. Soutenant dans un premier temps l’OLP, avant de rééquilibrer les relations avec Israël pour obtenir des transferts de technologie, la Chine a choisi désormais de renforcer ses relations avec les pays arabes pétroliers, et même les autres, pour disposer de la sécurité de ses approvisionnements en énergie.
Dans cette situation, le fait que l’Europe soit devenue la grande absente n’arrange pas les choses. Par contre dans ce chapitre sur l’improbable pérennité de l’appui américain l’analyse apparait biaisée. Même le soutien de la droite américaine à Israël, appuyé sur des références bibliques, est interprété comme une menance à terme pour l’État hébreu. Les grandes tendances confinent à l’isolement concluent les auteurs d façon dramatique.

L’ensemble des éléments relevés semblent converger davantage vers la disparition d’Israël qu’en direction de l’inscription durable de son existence au sein d’un environnement qui ne s’est toujours pas résolu à accepter sa présence et vivant toujours, pour l’essentiel, cette manifestation de l’être-juif, au Moyen-Orient, comme une humiliation imposée par l’Occident.

Cette vision fantasmatique, idéologique et irrationnelle de l’existence d’Israël est probablement le facteur qui hypothèque le plus sérieusement, le plus lourdement, la pérennité de l’État hébreu parce qu’elle s’inscrit dans une longue tradition de dénégation du droit des Juifs de disposer d’un État, et de lier la justification de leur enracinement géographique à leur histoire.
Voici en quelques mots les conclusions des auteurs. On pourra objecter sur le problème bien réel des Palestiniens et de leurs revendications légitimes d’un État.
Mais ce drame humanitaire peut facilement trouver sa solution, nous ne parlons pas d’une solution factice mais d’une issue juste, honorable et respectueuse des demandes palestiniennes – solution équitable à laquelle Israël a tout intérêt à s’associer parce qu’il ne gagnerait rien à cultiver des conditions de vie détestables pour son voisin, qui resterait dès lors hostile à son encontre. Les solutions pragmatiques ont été globalement énoncées, à quelques nuances près, dans plusieurs plans de paix relativement similaires, de Taba à Genève. La difficulté n’est donc pas d’élaborer des solutions – l’étendue des paramètres et des options étant d’ailleurs très limitée – mais de créer les conditions politiques globales qui en rendent l’application possible, car le problème palestinien renvoie à la question israélienne qui elle, est beaucoup plus complexe.
L’hypothèse sous-jacente de tous ces plans de paix suppose, en effet, que la résolution du conflit israélo-palestinien épuiserait la question israélienne.
La résolution du contentieux de 1967 induirait mécaniquement celle de 1948. Or, rien ne permet de présumer l’automatisme de cette implication qu’au demeurant toute personne raisonnable ne peut que souhaiter, car les grandes tendances restent inchangées.
Alors, au vu de cette situation ainsi décrite: L’acquisition de la technologie nucléaire par l’Iran – dont le président souhaite rayer Israël de la carte -, et la domination de Gaza par le Hamas qui ne veut pas entendre parler d’un traité de paix avec Israël, entre le départ précipité de Tsahal du Liban en 2000 et la pluie incessante de roquettes sur son territoire, entre l’incrimination des Juifs dans la publication des caricatures de Mahomet et la légitimation dans le monde musulman des attaques du Hezbollah, entre l’échec américain en Irak et la multiplication des mouvements d’armes clandestins en direction des pays frontaliers d’Israël, comme le Liban ou la Syrie, il semblerait qu’il reste peu de place pour une solution raisonnable.

De là à considérer qu’Israël n’a pas le choix et qu’il faudra continuer à soutenir une politique qui remet en cause les droits des palestiniens et qui auto-entretient une spirale de la violence qui justifie cette même politique de force, il y a pas que les auteurs, malgré leurs bonnes intentions , risquent de voir franchis. On s’étonnera pour conclure de l’absence de réflexion réelle et argumentée sur la construction de ce mur des séparation en Cisjordanie qui crée de façon choquante une situation d’apartheid. Le mot n’est pas dénué de sens, mais on n’en voit pas d’autres à utiliser.

Bruno Modica