Calype est une nouvelle maison d’édition qui nous a été présentée cette année aux Rendez-Vous de l’Histoire de Blois, par son directeur de la collection Destins, Cédric Michon, historien, ex-directeur des Presses universitaires de Rennes. La collection « Destins », sera composée de petits ouvrages biographiques. Jackie Kennedy, Napoléon et Catherine II de Russie et Soliman le Magnifique sont les quatre premiers ouvrages de la collection, parus en octobre 2022. Le texte de l’ouvrage ne doit pas excéder 100 000 signes, ce qui est très peu, et correspond à un demi Que-sais-je ? L’éditeur affirme accorder un soin tout particulier à la facture du livre : choix du papier, de la typographie, de la quatrième de couverture, de l’image de la première de couverture. Le livre est conçu pour être lu en une ou deux heures, pour être accessible à tous par la langue et par l’absence de connaissances pré-requises.
Hélène Harter signe la biographie de Jackie Kennedy. Professeure à la Sorbonne, elle est une spécialiste des Etats-Unis et vice-présidente du conseil scientifique de l’Institut des Amériques. Elle a publié Les présidents américains : de Washington à Biden (2002, coécrit avec André Kaspi), Pearl Harbor (2021), La Civilisation américaine (avec François Dupaire et Adrien Lherm, 2020). Ecrire une biographie dans un format aussi réduit impose de faire de clairs choix problématiques. Bien que le sujet soit à priori léger, Hélène Harter l’a choisi car il permet « d’entrer dans l’intelligence d’une époque », et de montrer que la vie de Jacky Kennedy est pleinement autonome et participe de l’histoire des États-Unis. Elle n’a pas été seulement l’épouse et la veuve de John Kennedy. Elle a vécu encore vingt ans après la mort de son second mari, l’armateur Onassis, période au cours de laquelle « elle se réinvente », travaillant dans le monde de la culture et de l’édition. Ce compte-rendu reprend la structure de l’ouvrage.
Jacqueline Lee Bouvier
Jacqueline Lee Bouvier est née en 1929 dans une riche famille venue de France au début du XIXe siècle. Elle a l’éducation d’une enfant de la haute bourgeoisie et toute sa vie elle s’attachera à pouvoir vivre dans la richesse et le confort. Divorcée, sa mère se remarie à un homme très riche et Jackie vit heureuse dans une famille recomposée. Elle intègre une prestigieuse pension pour jeune fille, puis une non moins prestigieuse université de filles. Elle se distingue par « son intelligence, son goût pour les arts, la littérature et la poésie », étudie l’histoire, la littérature, les arts et le français. Après une année d’étude en France, elle peut se prévaloir d’une éducation internationale. Elle commence à son retour aux États-Unis une carrière de journaliste, reporter photographe. Elle rencontre John Fitzgerald Kennedy pendant l’été 1951. C’est un playboy, mais on est loin du coup de foudre : il ne pense qu’à la politique, elle trouve ce monde vulgaire. Il n’est ni amoureux, ni attiré par le mariage. Mais il va se présenter aux élections sénatoriales et sait qu’il est nécessaire de se marier s’il veut réussir sa carrière politique. Son père, patriarche du clan Kennedy, voit une belle opportunité dans cette jolie femme « dont il perçoit tout le potentiel pour la carrière de son fils ». La cérémonie du mariage, le 12 septembre 1953, avec ses 1300 invités est d’un faste démesuré. « En épousant John Kennedy, elle est devenue un personnage public et médiatique. »
L’épouse du sénateur Kennedy
John consacre l’essentiel de son temps à la vie politique et la délaisse, elle est seule à la maison. On attend d’elle qu’elle crée un foyer chaleureux pour son mari, rien de plus. Le couple dépend financièrement du patriarche Kennedy et elle doit composer avec un clan envahissant. John a une vision très traditionnelle du mariage : la vocation de Jackie est la maternité. Après avoir échappé de peu à la mort suite à une intervention chirurgicale, il se relance dans la politique. Mais il a aussi de nombreuses maîtresses. Elle veut bien ne rien voir ; mais quand il abandonne toute discrétion, elle part en Europe. De retour, le couple achète une vaste maison en Virginie. John s’impose comme l’espoir des démocrates pour l’élection présidentielle de 1960. En 1955, après que Jacky ait accouché d’une petite fille mort-née, le couple est au bord du divorce. Deux ans plus tard c’est la naissance de Caroline.
John met en scène son couple dans sa campagne électorale de 1958. Elle l’accompagne peu, n’a pas de conviction politique et n’aime pas serrer les mains d’inconnus. Mais quand elle prend la parole, en anglais, en espagnol ou en italien, son impact est grand : « Elle constitue un plus indéniable dans une campagne qui accorde une importance sans précédent à l’image ». En novembre 1959, elle accouche de son fils John Jr, en l’absence de son mari qui vient d’être élu président des États-Unis. Elle est épuisée physiquement et nerveusement.
A la Maison Blanche
Convaincue que son rôle est de s’occuper du président elle « confirme sa conception conservatrice du couple ». Elle impressionne par son charme et par sa tenue qui témoigne d’un rare sens de la mode. Elle est le centre de l’attention du pays, une célébrité internationale. Elle rayonne, fait réaménager les appartements. La vie à la Maison Blanche rapproche le couple et la famille. Elle sélectionne drastiquement les événements qu’elle honore de sa présence : événements culturels et accueil des dignitaires étrangers. Elle se fait l’ambassadrice de la mode et de l’industrie textile américaine à une époque où la haute couture américaine n’existe pas. Elle ne joue pas de rôle politique.
En avril 1963, elle perd de nouveau un enfant à la naissance. Elle plonge dans la dépression. Pour lui changer les idées, sa sœur lui propose une croisière sur le yacht de son amant, l’armateur grec Aristote Onassis, un séducteur à la réputation sulfureuse que la justice américaine accuse de fraude fiscale. La presse l’attaque durement et son mari est jaloux. Elle lui reproche la multiplication de ses maîtresses à la vue de tous. Mais en public, elle se tait. « Elle sait qu’un scandale mettrait un terme aux chances de réélection de son mari en novembre 1964. Or, elle a pris goût à la vie à la Maison Blanche et à son statut de First Lady. »
Être la veuve de l’Amérique
Exceptionnellement, en novembre 1963, elle accompagne son mari au Texas, car « il sait que son charme fait des miracles et qu’il en aura besoin dans cet État ». A Dallas, il fait décapoter la limousine pour que le public puisse voir le couple présidentiel Elle est profondément choquée par la mort de son mari, qu’elle aimait malgré tout, d’autant plus que les conditions sont horribles, son tailleur est imprégné de la cervelle et du sang de John. On lui administre des sédatifs. Dans les jours qui suivent, elle force l’admiration. Les images des obsèques vont entrer dans la mémoire collective. Elle devient une icône, l’incarnation du deuil de l’Amérique. Elle déménage, s’installe à New York dans un vaste appartement. Son beau-frère Robert la soutient de son affection et est un père de substitution pour ses deux enfants. Elle travaille à enraciner la mémoire de son mari.
Puis elle reprend les voyages, refusant de se laisser étouffer par son statut de veuve. Elle n’accepterait de se remarier qu’avec un homme qui lui assurerait le train de vie auquel elle est habituée. Onassis sera celui-là. Elle est en croisière avec lui quand elle apprend l’assassinat de Robert Kennedy, son ami.
Jackie O : Les années Onassis
Jackie Kennedy ne se reconnaît pas dans La Femme mystifiée que décrit Bety Friedan dans son livre de 1963. Son émancipation en 1968 passe par le mariage comme sa mère le lui a appris. Les sentiments « sont indéniables », mais les deux fiancés envisagent un mariage d’intérêt. Elle voit en lui un riche protecteur qui lui permet de recommencer sa vie loin des États-Unis. Pour lui elle « constitue un faire-valoir inespéré », étant la célibataire la plus convoitée du monde. Une nouvelle vie commence pour celle qui se fait appeler Jackie Kennedy Onassis. Elle est encore plus riche, mais rapidement elle s’ennuie tandis qu’Onassis se lasse et reprend sa liaison avec Maria Callas. D’autre part, il perd son fils dans un accident d’avion et connaît des revers financiers. Elle retrouve New York où bientôt elle est au chevet de son mari malade. Il meurt le 15 mars 1975. Elle se retrouve veuve pour la seconde fois.
Jackie par elle-même
La fille d’Onassis veut la priver d’héritage. Pour éviter un long contentieux, elle accepte une somme forfaitaire de 20 millions de dollars pour solde de tout compte. Pour la première fois de sa vie, elle est indépendante financièrement à 45 ans. « Elle vit la vie des femmes des élites de la côte Est, entre vie mondaine et culturelle, et engagements pour la communauté. » Elle poursuit son œuvre de défenseur de la mémoire de John Kennedy et inaugure la très belle bibliothèque Kennedy à Dorchester, à l’entrée du port de Boston.
Femme de culture décidée à reprendre une vie professionnelle, elle rejoint le monde de l’édition en 1975, et « se consacre à son travail avec énergie et talent ». Elle se refuse à écrire ses mémoires mais accorde en 1979 une interview à un journal féministe. « A 50 ans, elle n’a plus besoin d’un homme pour exister », mais elle se lie avec Maurice Tempelmann, riche diamantaire qui existe par lui-même et lui apporte la sécurité affective qu’elle a toujours recherchée. Il est l’homme qui a partagé le plus longtemps la vie de Jacky Kennedy. Ses enfants deviennent des adultes équilibrés. Sa fille sera nommée ambassadrice au Japon par Obama, en Australie par Biden.
En janvier 1994, on lui diagnostique un lymphome. Elle meurt le 19 mai, à 64 ans. Lors de ses obsèques, le président Clinton, très ému, lui rend hommage, et Jessie Norman entonne les cantiques. Elle a choisi d’être inhumée aux côtés de son premier mari, au cimetière militaire d’Arlington, s’inscrivant ainsi dans l’histoire des États-Unis
« Elle est révélatrice de l’évolution du statut des femmes sur soixante ans »
Tout au long de l’ouvrage, aux différents moments de la vie de Jackie Kennedy, l’auteure se livre à une réflexion sur la femme de son époque C’est une femme cultivée qui a fait des études de littérature à la Sorbonne, qui a arrêté de travailler au mariage, comme les femmes de son époque. Elle est une femme qui évolue dans une société où, à partir des années 1960, l’égalité des droits s’impose comme un combat et où les mœurs se libèrent. Au temps où les femmes se libèrent et cherchent à exister par elle-même, elle entend reprendre une vie professionnelle.
La photographie de couverture
Aux RVH de Blois, Cédric Michon et Hélène Harter ont insisté sur le choix de la photographie de couverture qui, dans l’esprit de la collection, doit avoir un sens et ne doit pas « mentir sur le contenu du livre ». Elle fut la femme la plus photographiée de son époque. L’image iconique de Jackie Kennedy est celle de la jeune, belle et élégante First Lady, aux tenues inspirées de la haute couture française. Parmi les 9000 photographies du fond Gettyune image détenue par Bridgeman, le choix a été fait d’une image en noir et blanc de Jackie à cheval, prise en 1968, qui « propose un contrepoint à l’image iconique ». « On la découvre au naturel, cavalière et libre (…) Elle est entre deux mondes. Sa monture évoque les images américaines de la conquête de l’Ouest. Sa selle rappelle son goût pour l’Europe et sa culture raffinée, ce continent qu’elle choisit en refaisant sa vie avec Aristote Onassis.»
© Joël Drogland pour les Clionautes