Jean Calvin est né le 10 juillet 1509, voici tout juste 500 ans. Comme à chaque commémoration, la production historiographique est d’un niveau très variable. Parmi les publications de qualité, on signalera l’essai d’Yves Krumenacker, les numéros spéciaux de la revue Histoire et Religions ou du Bulletin de la Société de l’histoire du protestantisme français, enfin quelques-unes des œuvres du réformateur de Genève, remarquablement éditées par Olivier Millet (Droz) ou par Francis Higman et Bernard Roussel (Gallimard, collection de la Pléiade). Conçu de manière didactique – des encadrés thématiques ponctuent l’ouvrage, qui s’achève par un « glossaire-index » et une « chronologie » –, le livre de Marianne Carbonnier-Burkard, maître de conférences à l’Institut protestant de théologie à Paris, constitue une très bonne introduction à la vie et aux œuvres de Calvin.

Une courte entrée en matière présente les enjeux de cet essai, « condenser une vie indissociable de discours et d’institutions complexes, et en même temps […] la déplier, en quête de l’autoportrait paradoxal de Calvin, l’homme de la parole qui cherchait à être ‘recoi’, caché en un refuge » (p. 12). L’ouvrage se décline en cinq parties, qui suivent le parcours de Jean Calvin, de sa naissance à Noyon (actuel département de l’Oise) à sa mort à Genève, en 1564.

Apprentissages

Les premières années, celles de « Calvin avant Calvin », sont les plus difficiles à reconstituer. Beaucoup d’éléments manquent ou restent conjoncturels. De l’enfance de Jean Cauvin, fils de Gérard, homme d’affaires du clergé à Noyon, on ne sait presque rien, si ce n’est qu’il reçoit la tonsure en 1521 (p. 16). Ses études à Paris et aux facultés de droit d’Orléans et de Bourges sont mieux connues. C’est au début des années 1530 que se place un changement majeur : Calvin, selon ses propres termes, se convertit à la « vraie pitié » et à la « pure doctrine de Dieu » (citations, p. 25-26). À la Toussaint 1533, Calvin prête au moins la main à un discours prononcé par le recteur de l’université de Paris, Nicolas Cop, discours nourri par la pensée d’Érasme et par les thèses de Luther. Face à la répression orchestrée par le pouvoir royal, le Picard est contraint de se réfugier près d’Angoulême, chez son ami Louis du Tillet. En 1534, dit Marianne Carbonnier-Burkard, « Calvin fait partie des chefs du réseau clandestin des évangéliques parisiens, en lien avec Strasbourg » (p. 32). L’affaire des Placards (octobre 1534) précipite la fuite vers la Confédération helvétique.

Entre Bâle et Strasbourg

Le séjour bâlois (janvier 1535-mars 1536) est fait de rencontres et de lectures. Calvin rédige et publie ses premiers textes théologiques, en particulier l’Institution de la religion chrétienne, parue en latin en mars 1536, sorte de « catéchisme pour les évangéliques » mais aussi manifeste adressé au roi François Ier (p. 41). Après un détour par l’Italie et une échappée ultime en France, Jean Calvin est à Genève en août 1536. Au terme d’un processus complexe, la cité du lac Léman vient de passer à la Réforme. Calvin est alors en position d’assistant de Guillaume Farel. Il est qualifié de « lecteur en la sainte Écriture » dans les documents contemporains. Calvin et Farel sont cependant chassés de Genève en avril 1538. Appelé par Martin Bucer, le premier trouve refuge à Strasbourg, où il reste près de trois ans (septembre 1538-août 1541). C’est dans cette ville libre d’Empire que Jean Calvin épouse Idelette de Bures (août 1540). Il prêche, organise l’Église, prépare et publie une nouvelle édition de l’Institution (en latin, en 1539, puis en français, en 1541). Le retour à Genève a lieu en septembre 1541.

L’installation définitive à Genève

La reconstruction, la réforme de l’Église de Genève sont expliquées dans la troisième partie de l’ouvrage. Le « gouvernement de l’Église » est organisé en quatre « offices » ou « ministères » par les Ordonnances ecclésiastiques du 20 novembre 1541 (pasteurs, docteurs, anciens, diacres). Le consistoire est « l’organe de la ‘discipline ecclésiastique’ » (p. 67). Une nouvelle liturgie et un nouveau catéchisme sont édictés. Ces changements suscitent naturellement des tensions. Un sommet est atteint avec l’affaire Servet, du nom de ce théologien iconoclaste condamné au bûcher par le Conseil de Genève et exécuté le 27 octobre 1553. Calvin, à la manœuvre même si la condamnation n’est pas de sa responsabilité, se justifie durant les mois qui suivent, condamnant les « erreurs détestables » de Michel Servet. Un peu plus tard, Théodore de Bèze, collègue de Calvin, répond aux accusations de Sébastien Castellion, auteur d’un traité au ton très vif paru à Bâle. Marianne Carbonnier-Burkard rappelle ici une fameuse phrase rédigée par ce dernier, restée inédite jusqu’en 1612 : « Tuer un homme, ce n’est pas défendre une doctrine, c’est tuer un homme » (citation, p. 89). Cet épisode a largement contribué à façonner la légende noire de Calvin, peint sous les traits d’un cruel tyran, pourfendeur impitoyable des « hérétiques ». Ainsi, en 1936, dans son Castellion contre Calvin ou conscience contre violence, ouvrage maintes fois réédité, l’Autrichien Stefan Zweig fait encore du réformateur de Genève un dictateur et un idéologue, « organisateur d’un régime de terreur » (p. 11). Les dernières années de la vie de Calvin sont plus sereines. Elles sont notamment marquées par l’inauguration d’une Académie (1559) et par une nouvelle édition de l’Institution (en latin, en 1559, puis en français, en 1560).

À cette époque, l’agitation n’est plus à Genève mais en France, où la Réforme fait sa mue. La quatrième partie revient ainsi sur l’épanouissement et l’organisation du protestantisme dans le royaume. Depuis Genève, Calvin « tente de contrôler » un mouvement qui ne cesse de prendre de l’ampleur à partir de 1555 (p. 112). Des Églises réformées sont dressées « à la genevoise ». En mai 1559, un synode clandestin est réuni à Paris. Une Confession de foi et une Discipline y sont adoptées. Si les communautés françaises « se reconnaissent unies sur un modèle […] fortement inspiré de Calvin », elles s’écartent aussi sur plusieurs points des Ordonnances ecclésiastiques de Genève (p. 118). Étrangement, Marianne Carbonnier-Burkard ne fait pas référence ici aux travaux de Bernard Roussel, pourtant décisifs sur cette question. Ce chapitre se termine par une évocation de la première guerre de Religion (1562-1563), contemporaine des derniers moments de la vie de Jean Calvin. Celui-ci s’éteint le 27 mai 1564. L’auteur, spécialiste reconnue de la mort et de sa mise en écriture, y consacre quelques pages, concluant avec force un ouvrage aussi pédagogique que solidement adossé aux problématiques développées par l’historiographie la plus contemporaine.

Luc Daireaux © Clionautes