Un ouvrage qui résume un colloque organisé par l’université d’Angers à un économiste peu connu du mouvement agrarien français. Des contributions difficiles d’accès pour les non spécialistes de l’histoire économique, mises en première partie dans le contexte historique de la pré-révolution agricole qui précède la révolution industrielle.
Briaune
Briaune

L’exercice des comptes rendus de lectures sur le site des Clionautes et en direction des abonnés d’H Français est souvent stimulant dès lors que l’on accepte, comme un défi de sortir de ses spécialités. Avec cet ouvrage qui réunit les contributions du colloque transdisciplinaire consacré à Jean-Edmond Briaune, économiste et agronome, acteur de la révolution agricole dans l’Indre, l’auteur de ces lignes se retrouve projeté très loin de la géopolitique et des rives de la méditerranée.

 

Pourtant, la découverte de ce personnage, un fils de notables de Châteauroux est parfaitement intéressante pour comprendre des aspects de la vie de province au XIXe siècle. Cette France provinciale immobile ou que l’on croit telle dans cette période située entre la chute de l’Empire et l’avènement du second, prépare pourtant les grands bouleversements de la révolution industrielle et ceux de la « fête impériale » si l’on reprend le titre de l’ouvrage consacré à cette période dans la nouvelle histoire de la France contemporaine.

Briaune est présenté par les rares spécialistes qui le connaissent comme le « représentant le plus remarquable de la pensée agrarienne française .» Toutes les notices de présentation de cet ouvrage reprennent d’ailleurs comme une antienne cette formule du dos de couverture, sans doute rédigée par Jean-Pascal Simonin. Il faut pourtant aller plus loin, malgré le caractère imposant de ce livre, superbement réalisé d’ailleurs, à la typo-composition plaisante et doté d’un index, de notices bibliographiques et enrichi de quelques illustrations.

œœœL’agrarisme est un courant d’opinion, apparu à la fin du XVIIIe siècle qui a la particularité, comme les corporations, de réunir tout le monde rural, du journamlier au grand propriétaire foncier. Ce sont des associations, des sociétés d’agriculture qui permettent, alors que le concept de syndicat n’est pas encore inventé, qui se donnent pour mission de défendre et de promouvoir un milieu spécifique, le monde rural.
Mais dans le même temps, la pensée des agrariens comme Briaune s’inscrit dans une démarche éducative. Permette le développement des espaces ruraux, dans une période où le problème de la surproduction ne se pose pas. Il s’agit au contraire, en étudiant le plus possible les techniques qui donnent de bons résultats de les diffuser pour le mieux être de tous et notamment en fournissant une alimentation abondante et de qualité. L’agriculteur aura alors confirmé son statut de nourricier ce qui bénéficiera en retour au monde rural quelles qu’en soient les composantes, du chatelain au plus huble des brassiers.

Si les dirigeants de l’agrarisme sont des exploitants avisés et souvent prospères, leurs troupes sont au contraire souvent décalées et en retard. Cela explique aussi la persistance au cœur du XIX siècle de tensions fortes dans certaines parties du territoire. L’agrarisme est une réponse corporatiste à une situation difficile pendant laquelle l’agriculture française voit cohabiter modernisme et tradition. Les hommes comme Briaune essaient de réfléchir ainsi aux moyens de résoudre à la fois la question sociale et les déficits de production.

Enfin, car la France n’est déjà plus à cet époque un isolat protégé par des frontière étanches, grâce notamment au traité de libre échange signé en 1860. Dans une certaine mesure, les lois Méline sont peut-être le résultat, après la mort de Briaune de la victoire des agrariens, contre leurs propres théoriciens, pour la plupart opposés au protectionnisme.

Dans cet ouvrage en trois parties, et composé de contributions d’économistes et d’historiens, la première consacrée à la vie et l’œuvre de Briaune dans son contexte économique et social est tout à fait remarquable. On apprend dans le détail le mécanisme de ces crises de subsistances persistantes et leurs conséquences dans la partie consacrée aux émeutes de 1847 vues par le procureur du Roi.
On retrouve là les vieux débats sur la taxation et sur la liberté économique à partir du prix du pain, preuve s’il en est que l’agriculture s’attarde encore dans les modèles économiques d’avant 1789.

Jean Edmond Briaune dont les opinions politiques et religieuses sont assez mal définies est avant tout pragmatique. Il cherche notamment dans le débat sur les biens communaux à optimiser l’utilisation de ces terres tout en choisissant la formule libérale de la vente aux particuliers plus que la location. Cette question des biens communaux, assez sensible dans l’Indre, est à relier à ce processus qui commence au XVIe siècle en Angleterre, c’est-à-dire le mouvement des enclosures. Ce dernier a permis l’accumulation primitive du capital dans les campagnes et la proto industrialisation favorisant le décollage industriel au XVIIIe siècle.

Les agrariens français, forts sans doute de cet exemple et de cette réussite ont voulu, à l’instar de Briaune, s’inscrire dans cette démarche qui cherche à associer pragmatisme et efficacité économique.
Les autres parties de l’ouvrage relèvent très précisément de l’histoire économique et analysent les modèles de Briaune notamment sur la relation prix récoltes et sur les méthodes permettant de stabiliser ces prix, y compris par le recours à l’importation.
Signe des temps, les penseurs agrariens de cette époque sont aussi des cultivateurs. Et après avoir réalisé l’essentiel de son œuvre avant 1860, Jean-Edmond Briaune s’est retiré sur ses terres mettant en pratique ses propres théories. Il semblerait que son exploitation ait largement prospéré, ce qui finalement peut en confirmer la validité.

Bruno Modica © Clionautes