Dans la luxueuse collection « Carnets d’architectes » des Éditions du Patrimoine, l’architecte et urbaniste Philippe Dehan, professeur à l’École nationale supérieure d’architecture de Paris-la-Villette, propose Jean Ginsberg, la naissance du logement moderne.

Riche de 140 illustrations de très bonne qualité, ce petit ouvrage (16×21 cm) est passionnant en ce qu’il touche à la question centrale des formes de l’habiter et renvoie non seulement à l’évolution des esthétiques architecturales et des matériaux, mais aussi à la sociologie et aux politiques de construction.

Un sobre moderniste

Mais au fait, qui est Jean Ginsberg ? C’est un architecte, un urbaniste et un maître d’ouvrage né en 1905 en Pologne et arrivé à Paris en 1924. Pour lui, tout débute vraiment dans les années 1930, quand il crée des immeubles de belle facture pour jeunes urbains aisés à la recherche d’une modernité esthétique et fonctionnelle, comme en témoigne l’illustration de la première de couverture. Car cet admirateur de Le Corbusier et héritier de la Charte d’Athènes (1933) oscille entre austérité apparente et innovation, dans la distribution spatiale notamment.

L’auteur présente un architecte très en vue dans l’après-guerre, à la tête d’une des plus grandes agences architecturales françaises. Il diversifie alors son activité en concevant des résidences, des logements intermédiaires et sociaux (Argenteuil, Massy, Les Mureaux). Ce tournant fonctionnaliste opéré en plein boom économique des années 1960 est marqué entre autres par l’édition de cartes postales célébrant ces architectures préfabriquées de béton. Ce qui peut sembler aujourd’hui cocasse. Les opérations de grande envergure découlent de critères fonciers nouveaux, où Jean Ginsberg peut œuvrer sur de vastes terrains agricoles vierges de tout aménagement, gages de créativité et témoins de l’étalement urbain francilien. Néanmoins, l’architecte ne s’enferme pas dans une orthogonalité forcenée. Bien au contraire. Jean Ginsberg épouse des formes plus libres, voire courbes, loin des chemins de grue qui dictent alors l’architecture normalisée des ZUP.

Fusion environnementale périurbaine et prestige monégasque

Par ailleurs, P Dehan montre que dès les années 1950 et l’émergence du concept de résidences, l’agence Ginsberg se singularise par des immeubles bas, implantés de manière assez libre dans des parcs, ce qui génère un agréable sentiment de fusion entre architecture et végétation. Les résidences de la Butte-à-la-Reine à  Palaiseau, de l’Abbaye à Meudon ou de la Porte-Jaune à Garches signalent ces choix.

Parallèlement, Jean Ginsberg soutient des projets qui associent des artistes et plasticiens, tel Vasarely, à la décoration des parties communes d’immeubles de standing, dans le 16è arrondissement parisien, par exemple. En outre, son agence accorde une attention particulière aux détails, à l’instar des poignées de portes, des boîtes aux lettres et autres panneaux électriques parfois produits en série et repris par d’autres agences. Développant cette veine haut de gamme, Jean Ginsberg signe quelques complexes urbains de prestige. Les Spélugues à Monaco (1971-1978) et leur toit-promenade qui fit école en offrent l’exemple le plus abouti. Association d’un hôtel de 650 chambres, d’une résidence de 150 appartements, de commerces de luxe, d’un centre de congrès et d’un auditorium de 1200 places, le tout édifié en porte à faux sur la Méditerranée, ce programme constitue sans doute le chef d’œuvre de Jean Ginsberg qui s’éteint à Paris en 1983.

In fine, l’œuvre de Jean Ginsberg voit converger trois constantes : une qualité constructive et technique (il fut l’inventeur de plusieurs procédés de construction), adossée à une inventivité renouvelée, soucieuse de qualité domestique.

© Vincent Leclair